Pendant les vacances, alors que les enfants se traînent autour de la maison, se chauffent tels des caméléons au soleil du mois d’Août, n’ont de goût à rien, parce qu’aujourd’hui sera comme hier, comme avant-hier et comme le jour précédent, il arrive parfois, qu’en un éclair, une idée surgisse: pourquoi ne pas aller en excursion ? Pourquoi pas une « partie » au bord de la rivière, dans le sud pour changer un tour ?
Dans le Sud ? Au fait, pourquoi pas le Sud ? Aussitôt tous les endormis renaissent à la vie ; le plus indolent d’entre eux frétille d’énergie. En deux temps, trois mouvements tout le monde est paré.
Mais le Sud, à vrai dire, par où cela commence t-il et où cela finit-il ? Vous ne le savez pas exactement ? Ne vous tracassez pas, faites moi confiance, laissez moi vous donner la clé, toutes les clés nécessaires pour reconnaître le Sud, le vrai Sud profond !
Pour commencer, ouvrez bien les yeux !…Si vous arrivez par Saint-Pierre, dès que vous verrez de la verdure à ne plus savoir qu’en faire, c’est là qu’est le grand Sud ; mais faites bien attention parce qu’il y a toutes sortes de verdures ; A commencer par le vert bleuté de la feuille de choka, le vert des feuilles tendres du manguier qui tirent vers le rose, et puis la couleur vernissée de la feuille de jacquier, sans oublier la teinte du longose, celle du vacoa, celle encore du badamier… Et puis cela change tout le temps ; la même verdure n’est pas tout à fait pareille, de bonne heure le matin, dans l’ardeur de midi ou encore le soir à l’heure où le soleil met le feu à la mer. Ah, mes amis ! Ici dans le Sud, il y a tant de nuances, tant de variétés de vert, qu’un peintre aurait de quoi perdre la tête devant son tableau inachevé.
La verdure, voilà bien la première clé pour le Sud !
Mais le Sud, c’est aussi le bleu, couleur de l’océan. Je dis bien l’océan et non la mer qui est faite pour les vacanciers, pour les enfants tendres ; cette mer qui se contente de vous chatouiller les pieds. Non, ce n’est pas de celle-là qu’il s’agit. Je veux parler de l’océan en furie quand il monte en rouleaux sous le chabouk du vent, quand il se gonfle en montagne d’eau. C’est alors une armée qui se lance à l’attaque, qui assomme, qui chavire qui ne recule que pour revenir avec plus de force, plus de détermination ; l’océan est prêt, dans son élan, à mettre à bas le cap Méchant, à renverser la grande muraille de la pointe de Manapany. Depuis le jour où La Réunion est née, ce combat se poursuit sans relâche, jour et nuit…Le cap tient bon, résiste encore, mais quoiqu’il fasse un jour ou l’autre l’océan en viendra à bout.
L’océan, c’est bien là la deuxième clé pour le Sud !
Mais, dites-moi que serait le grand Sud, s’il n’y avait pas le volcan ? Tout là-haut, masqué par les nuages, le Vieux grogne, maugrée, « margogne » dans son sommeil ; Mais peut-on parler de sommeil ? En réalité il fait seulement semblant de dormir. Les gens du Sud connaissent bien ses manières. Ils savent, en fin de compte, que c’est lui qui commande, lui qui décide, lui qui choisit son heure…C’est vrai qu’ils vont faire leurs dévotions à la vierge au parasol, qu’ils adressent leurs suppliques à Saint-Expédit quand ils sont pris dans les contours malaisés de la vie, mais dans le tréfonds de leur cœur quel est celui qu’ils admirent réellement ? Vers qui va leur respect ? Devant qui tremblent-ils de crainte ? Qui occupe leurs pensées, si ce n’est le volcan ? Car il n’y a personne qui puisse lui barrer la route quand il descend de ses hauteurs en fleuve de feu. Ah, il n’a pas son pareil pour casser- briser, pour brûler, pour réduire à néant. Mais en même temps il est capable de construire, capable de faire grandir notre pays ; Le poète ne dit-il pas en effet :
Roche sur roche,
Feu après feu,
Cimenté par la main du volcan,
Notre pays pousse, et pousse encore,
S’efforçant d’atteindre le ciel… »
A dire vrai, la voilà bien la troisième clé pour le Sud !
Tous les gens qui viennent dans le Sud, qu’ils habitent La Réunion ou qu’ils ne soient que de passage, n’en ont pas toujours claire conscience, mais pressentent confusément que là, devant eux, sous leurs pieds, quelque chose d’important, un mystère est entrain de s’accomplir ; ils assistent aux premières loges à la Genèse, ils admirent, pleins de crainte respectueuse la Création Du Monde.
Traduit du créole par R-D.G.
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