Ceci constitue la suite et fin de notre article sur le Petit Séminaire de La Réunion. Christian Fontaine, ancien élève du Petit Séminaire, s’est prêté de bonne grâce à l’interview réalisée par DPR 974. Nous l’en remercions bien vivement.
Question : Tu arrives à la fin de ta scolarité au Petit Séminaire. As-tu toujours l’intention de devenir prêtre ?
Réponse : Non, absolument pas ; je crois que j’ai lentement mûri la décision de ne plus continuer dans cette voie. J’écris alors à mes parents pour leur dire mon intention de changer d’orientation et leur demander leur avis. Ils me répondent qu’ils me comprennent tout à fait.
Si les curés, de leur côté, connaissent ma décision, (je suppose qu’ils ont dû lire ma lettre, car les lettres des séminaristes étaient systématiquement lues) ils ne réagissent pas ouvertement : ni demande d’explication, ni réprimande. Ceci s’explique, peut-être, par l’arrivée d’un nouveau directeur de l’institution, le père Bail (2) qui est plus jeune que le père Berthou qu’il a remplacé. Il a une autre vision de l’institution, est plus ouvert sur l’extérieur : je n’en veux pour preuve que les spectacles, les représentations théâtrales que les petits séminaristes vont donner dans les paroisses…Donc, pas d’éclats ni de reproches…
Reste le problème de trouver un Lycée où m’inscrire, à St-Denis ou au Tampon (à l’époque les deux seuls lycées de l’île). Je ne suis pas seul. Nous sommes plusieurs à quitter le Petit Séminaire. Je pense que nous nous sommes concertés et que nous étions tous d’accord pour choisir le Lycée du Tampon. Mon père va donc voir M. Hibon de Frohen, le proviseur. Celui-ci est apparemment heureux de notre arrivée et fera tout pour créer la section de grec qui lui manquait. Nous pouvons donc poursuivre nos études avec les mêmes matières qu’au Séminaire.
Q : Pour quelle raison as-tu renoncé à continuer vers la prêtrise ?
R : Pour plusieurs raisons. La raison déterminante est que je me rends parfaitement compte que je n’ai plus la vocation, si tant est que je l’aie jamais eue. Je ne me vois pas devenir prêtre, et les jeunes filles ne me laissaient pas indifférent. D’autre part j’en ai assez de la vie au Séminaire, des corvées, des punitions corporelles, de certains contrôles et de certaines hypocrisies.
Depuis 5 ans j’ai aussi souffert de l’éloignement d’avec ma famille. Les vacances où je pouvais retrouver ma famille posaient également problème, n’étant pas calquées sur celles de l’Enseignement public : on reprenait tôt en janvier, alors que les autres ne recommençaient qu’en mars ; en juin, nos vacances étaient plus longues que celles du Public. J’étais toujours un peu en porte-à-faux par rapport à mes frères et mes sœurs… (Les jeunes prêtres arrivant de France étaient aussi sensibles à cet éloignement de leur famille. Cf. la lettre d’un jeune prêtre
« zoreil » adressée à l’évêque de Saint-Denis en décembre 1928 : « … Monseigneur, on a beau quitter son pays pour l’amour du Bon Dieu, il n’en reste pas moins vrai que la douleur des séparations vous mord quelquefois au cœur lorsque vous arrivez en un pays où vous ne connaissez personne et où vous n’êtes pas connu… »
Q : Tu parles d’éloignement, d’isolement, mais ton père avait une auto, il aurait pu venir te voir, et puis il avait le téléphone, le courrier…
- Cilaos était – est toujours un peu – le bout du monde pour les Réunionnais. Mon père avait certes une vieille Peugeot 203, mais qui n’aurait jamais pu faire le trajet dans ces montagnes aux interminables lacets (Ceux de la Plaine des Palmistes, ceux de la Plaine des Cafres, puis, pour couronner le tout, ceux de Cilaos). Je n’étais pas le seul dans cette situation. (Il y avait bien pire : François Grondin, par exemple, originaire de Salazie, passait, à pied, par le Cap Anglais, empruntait un sentier de cabris sauvages, accompagné d’un parent qui l’aidait à transporter sur des kilomètres et des kilomètres ses bagages pour venir à Cilaos.)
Pour ce qui est du téléphone, à l’époque, on n’était pas encore à l’ère du portable où l’on peut téléphoner cinquante fois par jour pour la moindre raison ou sans raison aucune, pour le plaisir de bavarder. À l’époque le téléphone était rare (Combien de téléphones y avait-il à Cilaos à l’époque ? un ? deux ? Celui de la Mairie ? Celui de la postière ?) et ne servait que pour les grandes occasions, pour annoncer un décès par exemple…
Q : Mais tu avais quand même la possibilité d’écrire à tes parents ?
R : Bien entendu. Cela se faisait régulièrement (on nous incitait d’ailleurs à le faire), mais on ne pouvait se permettre d’exprimer notre sentiment profond sur tel ou tel professeur et sur ses méthodes « novatrices » en matière pédagogique. Je me souviens de la raclée magistrale qu’un élève de 5e a reçue pour avoir écrit noir sur blanc ce que tout le monde pensait tout bas d’un professeur. Il a été tout de suite après renvoyé avec armes et bagages dans ses foyers. Que faire alors ? Alors les Séminaristes s’autocensuraient comme les soldats de 14 qui affirmaient qu’au front tout allait pour le mieux…Certains anciens du Séminaire m’ont raconté qu’ils faisaient passer subrepticement le courrier vers l’extérieur par des élèves externes, natifs de Cilaos et en retour ces derniers étaient récompensés par du chocolat par exemple. En fait, on ne devait pas outrepasser certaines règles dites ou non dites. Dura lex, sed lex !
Q : Tu es donc allé au Lycée du Tampon, mais au Tampon, tu n’es pas beaucoup plus près de ta famille…
R : C’est vrai, mais je suis quand même en famille. Je vis chez une tante, Lucida Fontaine, veuve et institutrice, qui m’a accueilli comme son fils et m’a hébergé pendant 2 ans. Chaque week-end je pouvais rentrer à la maison si je le voulais.
Q : Ton isolement au Séminaire était-il total ? N’avais tu pas des copains à qui te confier ?
R : Certes, si la vie a été un peu plus agréable, c’était principalement à cause des camarades : ensemble nous nous défoulions grâce au sport (souvenons nous de l’adage latin : « Mens sana in corpore sano »), aux jeux au Trou Pilon, aux randonnées à la Roche merveilleuse, au Piton des Neiges, au Bras Sec… C’est comme cela que des amitiés se sont affirmées : vers mes 15 ans, j’apprends à mieux connaître un jeune séminariste, originaire de Cilaos, Dominique P. qui me prend en amitié et me fait connaître sa famille. Il vient aussi chez moi pendant les vacances. C’est chez lui que je bois pour la première fois le vin de Cilaos que son père fabriquait, à partir du fameux raisin « Isabelle » qui, paraît-il, rendait fou. Dominique P. se destinait à la prêtrise. Il a fait un an au séminaire de Dax, mais est bientôt rentré à la Réunion, ayant compris qu’il n’avait pas la vocation.
Q : N’y avait-il pas, parmi les prêtres, les enseignants, quelques uns plus compréhensifs que d’autres ?
R : Bien entendu : Le P. Mayer, par exemple, m’a marqué qui tenait à manger la nourriture des Séminaristes et non celle réservée à « l’encadrement ». Je me souviens aussi d’un laïc, d’origine suisse, Paul Jubin, professeur de mathématiques et excellent pédagogue. Je n’ai pas non plus oublié le père Ritter qui m’a donné le goût du français. Et deux anecdotes me reviennent ici en mémoire qui témoignent que nous avions parfois de bons moments.
Q : Lesquels?
R : Nous finissions parfois par oublier notre isolement, car les prêtres s’efforçaient de nous cultiver par différents moyens. Nous allions de temps en temps au cinéma dans la salle qui était en dessous du Séminaire. C’était l’enthousiasme quand on nous annonçait, par un dimanche après midi pluvieux, qu’on allait nous y conduire. On nous invite un jour à voir « Quand passent les cigognes… », un superbe film de Mikhaïl Kalatozov (1957). Quand Tatiana embrassait Alekseï, le Père Ritter fermait les yeux et demandait à un élève de lui dire quand cela se terminerait. Ses voisins se faisaient alors un malin plaisir de ne rien lui dire et le brave Père Ritter gardait les yeux fermés bien plus longtemps que nécessaire ! Est-il besoin de préciser que les films étaient à l’époque bien innocents par rapport à ceux d’aujourd’hui ?
Une autre fois nous sommes allés voir la prestation d’un acteur qui déclamait des poésies parfois toutes nouvelles pour nous. On restait bouche bée en l’écoutant déclamer entre autres poèmes « Le hareng saur » de Charles Cros.
Une autre anecdote m’a concerné directement : je me souviens d’une fête paroissiale sur la place de l’église, où nous pouvions aller après la messe. Mon seul problème était que je n’avais pas un sou vaillant. Le père Berthou, voyant mon air déconfit, s’enquiert de ma situation : « As-tu un peu d’argent ? » Je lui répondis négativement. Il sortit alors une petite somme de sa poche et me la remit. Je n’en revenais pas. J’étais heureux. Je pouvais faire comme les autres : m’acheter une boisson, jouer aux petits chevaux. Je mise alors une petite somme et je gagne. La somme était multipliée par deux ou trois. Je mise à nouveau et je gagne encore. Tous les joueurs sont épatés et je continue de jouer…Est-ce utile de préciser que la chance tourne et que je me retrouve Gros-jean comme devant ? Cela m’a servi de leçon et je ne suis jamais devenu « accro » aux jeux de hasard.
Q: Qu’est à présent devenu le Séminaire ?
R : Il a fermé en 1972, six ans après mon départ. Peut-être parce que sa « rentabilité » en nombre de prêtres était insuffisante. Dans les années 1990 certains locaux ont été utilisés par un restaurateur, puis par des associations locales. À l’heure actuelle l’ensemble est dégradé et les derniers incendies n’ont rien arrangé. Il n’y a que peu d’espoir d’une restauration. Une association des anciens a été autrefois créée, je crois, par le Père Maxime Grondin, un enfant de Cilaos (1911-1997). Ces dernières années, je retrouve régulièrement les anciens avec l’association présidée par Jean-Bernard DEVEAU. Notre but serait, outre la rencontre annuelle, de ne pas perdre tout ce patrimoine et nous avons en projet d’écrire nos mémoires pour nos enfants, ce qui ne serait déjà pas si mal.
Notes :
- Le P. Michel Bail est né en 1929 (France) et décède en 2009 en France.
- Le Père Berthou, né en 1904 (France) arrive à Cilaos en 1927. Décédé vers 1980 en France.
Récit très intéressant
: c’est une autre époque. Pour ma part, je n’ai connu à Dijon que les Frères des Ecoles chrétiennes : dans les familles nombreuses (comme la nôtre), leur stratégie était toujours la même : dire aux parents : ‘ »parmi vos enfants, il y en a bien un qui pourrait nous rejoindre ou rejoindre le clergé ».
Bonjour
je découvre avec grand intérêt votre post sur le petit séminaire .
Ayant été moi même à peu près à cette époque pensionnaire ayant connu les prêtres que vous citez sans oublier le pére Hoareau et l’abbé Aubry ( ses poèmes et chansons déjà ) aujourd’hui évêque de la Réunion .
J’ai en mémoire la préparation du bicentenaire de la Réunion et la chorale que le séminaire avait envoyée pour les cérémonies à Saint Paul et pêle-mêle la construction du terrain de foot au trou Pilon où nous étions tous à taper du pied en rang pour tasser le terrain etc.etc.
quel réveil de souvenirs ……
Merci
Henri-Paul Grondin
6ème et 5ème au séminaire.
Étant née à Cilaos, je découvre avec grande surprise votre article. Il est si important de ne pas perdre de vue ces belles et poignantes histoires.