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Archive for the ‘Architecture’ Category


Nos deux orateurs centrent aujourd’hui leurs interventions  sur la question  de l’esthétique dans l’œuvre de Jean Bossu.

 

Mr Ledoyen : Revenons, si tu le veux bien, sur «l’esthétique » des constructions de Bossu, si l’on ose employer ce mot. Tu ne vas quand même pas te pâmer là-devant ?…

 

Mr Lejeune : il y a un dicton fort connu qui nous dit que des goûts et des couleurs on peut discuter à perte de vue…Mais je voudrais d’abord, à ce propos, te rappeler que les goûts changent : l’on a dit le plus grand mal de la Tour Eiffel et de l’immeuble Lecorbusier à Marseille que l’on nommait «  la maison du fada » (1) ! Et aujourd’hui ces réalisations sont des repères incontournables en matière architecturale…Parlons plutôt de Jean Bossu …C’est d’abord quelqu’un dont le style a évolué des années 50 à sa mort dans les années 80. Il n’est pas resté figé dans un style, dans une forme. On sent au début une certaine rigidité, et plus on avance, plus on sent une opulence, un certain baroque qui n’existait pas dans l’architecture à La Réunion. (2)

Mr Ledoyen : Là, je t’attends au tournant : Tu ne vas quand-même pas me dire que tu tombes en extase devant la Poste Centrale de Saint-Denis ! Cet édifice de Jean Bossu est un défi à l’architecture créole traditionnelle.

 

Mr Lejeune : La Poste, il faut la resituer dans la perspective de la rue Maréchal Leclerc : Saint-Denis n’avait pas de centre. Pas de place, pas de monument qui indique la centralité. Que fait Bossu ? Il donne un centre à Saint-Denis.

L’auvent du central téléphonique, rue de la Compagnie.

Il crée un repère au milieu d’une ville au plan en damier où les places (celles de la rue de Paris) sont des places « de circulation » et non « des places à vivre ». En fait, de la fin des années 50 jusqu’au début des années 70, Bossu va structurer tous les carrefours de la rue Maréchal Leclerc : d’abord la séparation des rues Félix Guyon et Mal Leclerc avec un bâtiment d’angle remarquable, puis une partie du carrefour de Ravate, enfin le croisement avec la rue Jean Chatel (le bâtiment où se trouve Pardon, le magasin Badat, la bijouterie). Tout cela c’est à Bossu qu’on le doit… Aujourd’hui on ne voit plus rien à cause des enseignes envahissantes et laides qui masquent tout

Mr Ledoyen : Pour moi, la Poste est une « verrue » qui défigure complètement le centre-ville de Saint-Denis.

Poste Centrale de Saint-Denis.

.Mr Lejeune : Décidément il n’y a que la case traditionnelle créole qui trouve grâce à tes yeux ! Je n’ai rien contre ; je suis même pour, mais le patrimoine créole ne s’arrête pas en 1850, békali !… Il y a eu depuis une évolution et des réalisations qui font partie intrinsèque de notre patrimoine moderne. C’est le cas de la Poste …Ce sont malheureusement les constructions modernes-bas de gamme qui nuisent à l’idée que l’on devrait se faire de l’architecture de Bossu : le souci de Bossu n’était pas de calculer le profit maximum, contrairement à certains promoteurs  d’aujourd’hui et de naguère. A la différence d’autres architectes,  c’est aussi un véritable artiste : Comment expliquer que la Poste, avec ses multiples étages n’écrase pas le reste de la ville ? En fait Bossu a joué intelligemment en décalant sa tour ; il y a d’abord la partie basse du bâtiment, la « galette » qui reste à la hauteur des constructions qui l’entourent, le magasin Salojee Badat, la « Ville de Paris » entre autres. Bossu a observé ce qu’il y avait aux alentours et a d’abord placé son bâtiment avec un certain recul et cette tour il l’a élevée au fond de la « galette » pour qu’elle n’étouffe pas tout le reste : c’est un signe moderne au Centre-ville de Saint-Denis que l’on voit de loin et qui en même temps n’écrase ni les immeubles environnants, ni les passants. (3)

Mr Ledoyen : Décidément tu es atteint de dithyrambisme aigu quand il s’agit d’architecture moderne !!!

Mr Lejeune : Et pourquoi pas ? Soyons modernes ! Nous sommes au 21ème siècle, que Diable ! Il serait temps de se rendre compte que durant le demi-siècle qui vient de s’écouler on a construit beaucoup plus à La Réunion que dans les 250 années précédentes. Tout n’est pas d’égale valeur, tant s’en faut, mais ce que nous a légué Bossu est une richesse pour notre chef-lieu. Cet élément de notre patrimoine de la seconde moitié du 20ème siècle est un symbole, un repère pour deux générations. Va-t-on continuer à le traiter avec mépris ? A le dénigrer sans le connaître réellement ? Si on ne le  connaît pas, si on ne le respecte pas, si on ne le protège pas, on va tout droit à la perte d’une part  inestimable de notre patrimoine dû à un architecte dont la valeur internationale est reconnue. (4)        Hall d’entrée de l’Immeuble des Remparts. (Ci-dessous).

 Mr Ledoyen : Tu n’as sans doute pas complètement tort, mais tu ne m’empêcheras pas de préférer l’architecture créole traditionnelle.

Mr Lejeune : C’est tout à fait ton droit. Du reste je ne vois pas pourquoi on opposerait systématiquement ces deux formes architecturales. Saint-Denis a une architecture moderne qu’il faut mettre en valeur à côté de son architecture traditionnelle de cases créoles, de jardins qu’il faut impérativement restaurer ; il est des quartiers à respecter comme on le fait pour le Carré français de la Nouvelle-Orléans. Ces deux formes architecturales doivent trouver leur juste place dans le projet global de Saint-Denis, ville d’art et d’histoire. (5)

 

 

Texte et images : R. Gauvin.

 Notes.

1) Le fada : se dit dans le sud de la France de quelqu’un d’un peu fou, de cinglé.

2) Une thèse récente d’histoire de l’art a recensé toute l’œuvre de Jean Bossu dont plus de la moitié se trouve à La Réunion.

3) Nous n’avons rien contre la convivialité et le petit commerce, mais l’on doit à la vérité de reconnaître que les petits bars-restaurants placés devant la poste dont elles encombrent l’entrée, empêchent également d’apprécier l’architecture de l’ensemble.

4) D’autres exemples de l’esthétique de Bossu peuvent se découvrir dans le hall de l’Immeuble des Remparts avec ses « vitraux » ou dans la villa de la route du Brûlé qui est une véritable réussite.

5) A lire : Jean Bossu, architectures 1950-1979, La Réunion ; collection « Itinéraires du patrimoine ». (Disponible au Caue à un prix modeste).

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Nous savons qu’au moins trois constructions de l’architecte Jean Bossu, à savoir la gendarmerie de Saint-Benoît, l’immeuble qui fait l’angle de la rue Félix Guyon et de la rue Maréchal Leclerc à Saint-Denis ainsi que la Direction de l’agriculture et de la forêt ont été inscrites, il y a quelque temps de cela, à l’inventaire des monuments historiques…Lors de leur incription un débat s’est engagé au sein de l’Association de Défense du Patrimoine ArchitecturalRéunionnais (ADPAR). Voici les positions qui se sont alors affrontées, représentées par deux membres de l’association : Mrs Ledoyen (Contre) et Lejeune (Pour).

Mr Ledoyen : Pour moi, ce qui fait l’intérêt de l’architecture à La Réunion, c’est la case créole avec son jardin, sa varangue, ses lambrequins, ses impostes et j’ai la conviction que Jean Bossu a, le premier, commencé à détruire l’harmonie du Saint-Denis d’autrefois…

Grand Case traditionnelle créole (Saint-Louis, La Réunion).

Mr Lejeune :Je ne le pense absolument pas, et je dirais en ce qui concerne ta position, qu’on ne peut rester cramponné sur le passé, sur une architecture qui a connu son heure de gloire au milieu du 19èmesiècle. J’ai le sentiment que nous sommes entrain, toi et moi, de recommencer la querelle des Anciens et des Modernes … Pourquoi pas, après tout ? Ces débats il faut les accepter. C’est comme cela que les choses avancent, sur la contradiction, sur le fait que l’on transgresse une certaine tradition pour laisser apparaître des formes nouvelles, aussi bien en littérature, en peinture qu’en architecture…Peut être manquons nous aussi de recul ; peut-être ne voyons-nous pas encore la qualité architecturale de ce qui a été construit depuis 70 ans environ et qui démontre la nouveauté, la créativité de certains architectes à La Réunion.

Mr Ledoyen : Je ne suis pas, par principe contre la nouveauté, mais je demande un peu de respect pour le passé, pour notre histoire ; on ne peut faire table rase de nos cases créoles et de leurs jardins. On ne peut, sous prétexte de densification dans le centre de Saint-Denis, faire de pseudo- cases créoles qui n’arrivent pas à masquer, à l’arrière, des  immeubles où l’on entasse appartements sur appartements. Il ne suffit pas non plus de coller des lambrequins sur un bloc de béton pour en faire une case créole ;  ces constructions qui prolifèrent ces dernières années, répondent au seul dessein des promoteurs de réaliser le maximum de profit sur la moindre parcelle de terrain et n’ont rien à voir avec le style et le véritable art de vivre créoles.

Immeubles  néo-créoles de saint-Denis

Mr Lejeune : je suis tout autant que toi révulsé de voir cette explosion de trompe-l’œil, ces imitations de style créole qui en fait  ne font preuve d’aucune créativité, d’aucune recherche esthétique, qui ne tiennent aucun compte des données climatiques… Cependant je te ferai remarquer que l’on ne peut condamner irrémédiablement l’emploi  du béton ; si l’on est passé du bois au béton, c’est que cela correspondait à une demande des Réunionnais eux-mêmes, à un besoin,  voire à une nécessité : autrefois l’on n’avait pas vraiment les moyens de lutter contre les carias (1) et les Réunionnais des générations précédentes vivaient dans la hantise de voir leurs maisons détruites par les « coups de vent » (2)… il fallait en outre donner un habitat durable à une masse de gens qui n’en avaient pas (On a vite fait d’oublier que dans les années 50, la moitié de l’habitat réunionnais au moins, était constitué de cases en paille ou d’abris de fortune, genre bidonvilles)…De là vient le succès du béton.

Mr Ledoyen : je ne suis pas systématiquement contre l’utilisation du béton, mais j’estime que le retour au bois est une bonne chose pour de multiples raisons et qu’il existe maintenant des techniques nouvelles et des traitements qui permettent de lui assurer une longévité certaine. Ce contre quoi je  m’élève, ce sont ces constructions en béton sans originalité, sans respect de l’environnement, sans âme : comme un architecte célèbre l’a dit avant moi et mieux que moi : une maison n’est pas faite uniquement pour protéger le corps de l’homme, elle doit lui assurer le bien-être et répondre à une recherche esthétique.

Mr Lejeune :je partage ton point de vue ; je crois seulement qu’à La Réunion on a essayé de parer au plus pressé et que trop souvent dans les années 50 et au-delà, bon nombre d’architectes se sont contentés d’utiliser des matériaux et d’appliquer ici des techniques, des modèles qui avaient cours en Europe ou dans le monde, sans prendre en compte les conditions climatiques et les traditions locales.  Mais il y avait d’autres architectes sur la place qui sortaient du lot, dont Jean Bossu. Bossu, tu le sais, sans doute, a commencé par faire l’école des Arts Décoratifs avant d’entrer dans l’atelier de Lecorbusier; il était considéré  d’ailleurs par Lecorbusier comme l’un de ses meilleurs élèves. Il fait partie des architectes reconnus, non seulement au niveau national mais aussi international : il a travaillé en Europe, en Algérie, mais en fait, la plus grosse partie de sa production se trouve ici, à La Réunion. Nous avons donc la très grande chance d’avoir chez nous nombre de réalisations d’un des grands novateurs en architecture du 20èmesiècle.

Mr Ledoyen : Je vois que j’ai affaire à un partisan inconditionnel de Bossu. Mais tu pourras difficilement me convaincre des qualités de l’architecture de Bossu du point de vue esthétique et encore moins en ce qui concerne l’adaptation au climat…

L’immeuble des Remparts

Mr Lejeune : en ce qui concerne le climat justement, prenons l’exemple de « l’immeuble des Remparts » que des créoles facétieux avaient appelé en manière de dérision « le classeur zorèy » (3). Sais-tu que les appartements ont de vraies varangues, qu’il y a là-dedans  de petits appartements sur le devant mais aussi de grands appartements traversants, extrêmement agréables à habiter, que l’air y circule librement, que les plafonds sont très hauts et qu’à l’origine les portes avaient un système de jalousies, que des claustras permettent à la lumière d’entrer tout en évitant la trop grande exposition à la chaleur ? La lutte contre la chaleur était d’ailleurs le principal argument de vente du constructeur ; la brochure disait en effet : « Vous avez dans ces appartements le climat de la Montagne en plein centre de Saint-Denis ! » (4)

Un autre exemple encore : quand Bossu a construit l’Ecole d’Agriculture de Saint-Joseph ou le bâtiment des Douanes à Saint-Denis, il a également imaginé un système de toiture double qui permettait à l’air de circuler et de rafraîchir ces constructions. Depuis, à l’immeuble de la douane à Saint-Denis, sous prétexte que les pigeons venaient y loger et s’en servaient pour tous leurs besoins (nidification etc) ; on a tout fermé, ce qui est une hérésie : il y avait certainement d’autres manières de faire pour éviter le recours probable à la climatisation qui a un coût considérable. Où donc est passé le respect de l’environnement ?

Mr Ledoyen : j’avoue humblement que j’ignorais tout cela…mais tu conviendras avec moi que du point de vue esthétique cela jure avec le style créole et je n’arrive pas… je ne suis pas le seul…à trouver du charme aux constructions de Bossu.…

Texte et photos de R. Gauvin…(à suivre)

Notes :

  • Carias : nom réunionnais des termites.
  • Ainsi appelait-on autrefois les cyclones.
  • « Classeur zorèy » : classeur fait pour le « rangement (sic) » des Zorèy, métropolitains nouvellement arrivés dans l’île.
  • « La Montagne », Quartier de Saint-Denis, situé sur les hauteurs et jouissant d’un climat plus agréable en été.

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 Le jour vint où le grand-père et la grand-mère Le Toullec, partis pour des cieux que l’on dit plus cléments, la maison familiale de ma femme fut mise en vente…(1) Ce n’était pas un palais, ni même une maison à étage, propriété de gros Blancs désireux d’en mettre plein la vue, mais une jolie case créole de plain-pied au bout d’une allée bordée de rosiers. Construite en bois sous tôle et bardeaux elle n’était plus de première fraîcheur : il fallait la vendre et partager les revenus entre les neuf héritiers (2).

Maison du 60 rue Sainte-Marie ; on remarquera sa varangue, ses losanges et ses lambrequins.

Apparemment personne ne pouvait ou ne voulait s’en rendre acquéreur : cela coûtait  un certain prix et il fallait, en outre, la restaurer de fond en comble. Dans l’assistance nombreuse des Hoarau et de leurs conjoints réunis autour de la grande table de la salle à manger, je remarquai soudain que ma femme semblait saisie d’un frétillement ; frétillement d’espoir ? d’excitation ? Des deux sans doute : c’est que l’idée avait germé en elle de vivre à nouveau dans la case où elle avait passé sa prime jeunesse, avec ses parents, ses grands-parents maternels, ses huit frères et sœurs…et sa nénène Simone.

Bien sûr il aurait fallu nous défaire de notre maison récemment construite sur les hauteurs de la ville avec vue imprenable sur l’Océan Indien. Mais mon épouse, quand elle voulait quelque chose, n’était jamais à court d’arguments, ceux de la raison certes, mais aussi et surtout ceux du cœur : nous pouvions, selon elle, vendre notre maison neuve, ce qui nous permettrait, d’avoir de quoi financer les travaux de restauration. Habiter au cœur de la ville, près des écoles, des collèges, des lycées, des terrains de sport et des cinémas nous mettrait à l’abri de la rude existence de parents-taximen, chargés en permanence de véhiculer leur progéniture vers différents lieux d’études et de loisirs.

Ma femme développa ensuite, entre quat-zieux, tout l’intérêt architectural que présentait la maison : la case n’avait-elle pas un  cachet particulier, typiquement créole : une disposition intérieure originale, une façade décorée de losanges mystérieux, des lambrequins tout en finesse ? Ses façades Est et Ouest n’étaient–elles pas recouvertes de beaux bardeaux de tamarin ? N’avais-je jamais contemplé son plancher en petit natte et en grand natte  aux couleurs contrastées? Sans compter sa varangue historique aux carreaux qui dataient certainement du début du 19èmesiècle ?

Hoarau témoignant de sa dévotion quasiment pontificale à la maison familiale.

Cette varangue – parlons en de la varangue ! – elle en avait des choses à raconter sur toutes les familles qui avaient habité là, les Lassais d’abord à la jonction du 18èmeet la première moitié du 19èmesiècles, puis L’abbé de Margeris qui fut vicaire de la cathédrale de Saint-Denis, les demoiselles  Vollard, et, last but not least, la famille, la tribu, le clan des Hoarau-Le Toullec : Ma femme avait encore à l’esprit les repas de famille du jeudi midi quand les enfants et petits enfants accouraient des quatre coins de l’île ; il ne serait jamais venu à personne le commencement de l’idée de rater le traditionnel rendez-vous hebdomadaire. Il fallait alors organiser deux services au repas de midi, dont le premier, consacré à la marmaille pendant que les adultes échangeaient des nouvelles de la santé, de la famille, de l’île et du Monde autour des pistaches, du rhum arrangé et de la limonade.

Grand-mère Le Toullec, entourée des enfants Hoarau, de leurs conjoints et de leurs enfants. (Année 1971).

La maison c’était assurément un élément important, mais ma femme  déclara qu’elle ne pouvait passer sous silence tous les arbres fruitiers qui faisaient l’attrait du jardin : les letchis centenaires, l’arbre à pain, le pied de mangues-carottes pour salades et rougails, la treille de raisin Isabelle (la vigne qui rend fou), sans oublier le camélia romantique qui poussait juste sous la fenêtre de Grand-mère. Ce n’était plus un jardin, c’était mieux qu’un verger, un véritable Jardin d’Eden, offrant de quoi manger, de quoi se soigner, de quoi jouer, de quoi vivre et être heureux.

Letchi centenaire et latanier argenté.

« Pourquoi pas ? » concédé-je dans une dernière tentative de détourner la question ; j’essayai, en effet, de faire valoir que la maison voisine, construite en dur par le Grand-père lui-même, avec des murs porteurs de quatre-vingt centimètres d’épaisseur au moins, semblait forteresse inexpugnable, à l’abri des cyclones les plus terribles comme il y en avait eu en 1940, en 1944, en 1948, sans compter leurs enfants baptisés de noms de jeunes filles plus ou moins ravageuses, Jenny, Carole et celles qui, par la suite, ne manqueraient pas de nous tomber dessus, entraînant force catastrophes aisément prévisibles. (Je m’élève, entre parenthèses, avec la dernière énergie contre cette attitude sexiste qui consiste à donner aux cyclones des prénoms féminins !)

Qu’avais-je suggéré là !!!… Ce fut pour mon épouse l’occasion de m’asséner un argument imparable: « Bien, me dit-elle, mais ne viens pas me canuler si dans ton blockhaus d’à-côté, tu te retrouves assiégé par une meute de spéculateurs  qui cerneront ta maison ! Ils monteront leurs bâtiments sur plusieurs étages : pour nous et notre famille, plus d’espace, plus d’air, plus de lumière ! Nous serons étouffés, écrasés, enterrés vivants ! »

Mon épouse avait du tempérament…Je dus m’avouer vaincu ! Nous achetâmes donc la maison créole et la restaurâmes… Elle avait vu juste : elle fut certes épargnée, car elle quitta cette terre pour l’autre monde et n’assista pas aux assauts des spéculateurs. Qui bénéficièrent de nombreuses complaisances pour ne pas dire de la complicité des autorités, chargées en principe de défendre notre patrimoine réunionnais. Je dus me battre contre  des gens qu’une seule chose intéressait : faire le maximum de fric. Ils baptisèrent le quartier des écoles « le carré d’or », révélant par là leur seule motivation.

Pour pouvoir continuer à vivre je m’arrangeais pour fixer à toutes les fenêtres des rideaux, qui cachaient la vue sur l’écran de béton tout en laissant passer la lumière, pour lancer des lianes à l’assaut des murs du voisinage, je n’élaguai plus les letchis et les manguiers. Au bout de quelque temps j’eus le sentiment d’être oppressé; je manquais d’air et de lumière et me lançai à la recherche d’un élagueur qui aurait exaucé mon voeu d’être à l’abri du regard des voisins et du béton environnant. C’était la quadrature du cercle, tout un art, que seuls des élagueurs de haut vol savent réaliser : il fallait élaguer ni trop ni trop peu.

La maison au milieu du jardin.

Je vis aujourd’hui encore dans cette maison et une question me taraude toujours : dans toute cette aventure je conçois sans peine que ma femme avec son vécu dans ce « lieu idyllique », ait été attachée à la maison de son enfance, mais que moi aussi j’éprouve pour cette maison, cette case créole, pour son histoire, son jardin, de tels sentiments relève de la magie et je ne peux m’empêcher de penser aux vers fameux de Lamartine :

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme

Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »

La liane de Mysore.

Quand un souci m’effleure l’esprit, il me suffit de faire le tour du jardin, de respirer le parfum capiteux du Franciséa,  de rendre visite aux oiseaux du paradis ou d’admirer la floraison des lianes de Mysore pour me sentir requinqué et je m’en retourne alors à mes occupations quotidiennes en imaginant qu’un des miens puisse un jour défier les spéculateurs et rester fidèle à la maison créole de la rue Sainte-Marie et à son oasis de verdure.

R. Gauvin.

 

NOTES :

  • Ma femme était la fille de Jeanne Le Toullec et d’André Hoarau.
  • Après avoir élevé leurs cinq enfants, les grands-parents Le Toullec avaient pris en charge les 9 enfants de Jeanne et André Hoarau, prématurément décédés.

Parmi ceux qui furent propriétaires de l’emplacement et de la case créole du 60 rue Sainte-Marie…

La famille Denis, Julien, Lassais: les Archives attestent le fait que cette maison, l’une des plus anciennes du quartier, appartint à la famille Lassais et ses descendants depuis la fin du 18èmesiècle jusqu’au 30 novembre 1859 où elle fut vendue à… Monsieur l’abbé Louis, François Margeris,en son vivant chanoine et vicaire général de Saint-Denis après la création de l’Évêché. J’ai voulu savoir si ces lieux avaient été consacrés par sa présence. Ma désillusion fut grande lorsque j’appris du père De Guigné, chargé des Archives de l’Évêché, à Saint-Denis, que normalement tout prêtre habite la cure, sauf si, habitant Saint-Pierre, Mr de Margeris avait un pied-à-terre à Saint-Denis ou s’il était à la retraite. Je reste donc dans le doute. Ce qui est certain, par contre, c’est que Mr de Margeris essaya en vain, par deux fois, de vendre la maison et finit par faire de sa nièce de Lisieux sa légataire universelle. Celle-ci revendit la maison à Mr de Fayard en 1883.

De 1936 à 1941 la maison fut la propriété du couple Ludovic Revest et Mme, née Legros. Mr. Revest était connu pour des articles journalistiques, suffisamment originaux pour qu’on les qualifiât de « revestades ».

En 1941 la maison fut achetée par les demoiselles Vollard, soeurs d’Ambroise Vollard, Réunionnais et marchand d’art parisien qui fit découvrir au public Van Gogh, Gauguin et Picasso entre autres. Il fut aussi à l’origine d’un don important d’œuvres d’art au Musée Léon Dierx à Saint-Denis.

Il n’est pas possible de citer tous les propriétaires qui se succédèrent dans cette maison : elle a  changé assez souvent de mains. Mais une performance fut accomplie en 1944 -1945 par Mr. Camille Auber, qui, après avoir racheté leur bien aux sœurs Vollard au prix de 162.500 francs de l’époque, le revendit un an plus tard pour 300.000 francs aux époux Hoarau-Le Toullec réalisant ainsi un substantiel bénéfice…Depuis lors la maison resta dans la même famille jusqu’à ce jour, soit 73 ans : un record !

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Profitant de la qualité de ses sols et de son climat tropical, la Réunion offre une végétation souvent abondante et luxuriante qu’il est essentiel de préserver et d’utiliser dans l’habitat.

 

La végétation représente, en premier lieu, un élément décoratif de la maison, mais elle lui offre surtout un confort thermique naturel. Il ne faut donc pas négliger les plantations. Pensez tout d’abord à la végétation existante : préservez les arbres actuels pour accompagner judicieusement les constructions. Estimez ce qui peut-être conservé et ce qui peut-être remplacé pour maintenir un maximum d’arbres sans gêner le chantier.

La végétation filtre le soleil entrant sous la varangue du CAUE.

La végétation filtre le soleil entrant sous la varangue du CAUE.

 

Il est aussi conseillé de planter abondamment les talus et les abords de la maison. La végétation favorise, en effet, un climat agréable autour de l’habitation par l’ombre qu’elle procure et abaisse la température ambiante en absorbant le rayonnement solaire. Au contraire, une cour entièrement bétonnée ou un mur de soutènement exposé au soleil accumule la chaleur qui rayonne alors  vers la maison. Le béton est un véritable accumulateur thermique qui chauffe l’air autour de votre case.

Pour bien se protéger du soleil, quelle que soit sa position dans le ciel, la végétation doit être de différentes hauteurs. Pour cela, privilégiez des arbres qui offrent naturellement de l’ombrage comme : le Bois noir, bien adapté pour les grands jardins, l‘Ylang-ylang, idéal pour les petits jardins, le Natte ou le Benjoin.

La grande allée de la Maison Larrée à Saint-Louis.

La grande allée de la Maison Larrée à Saint-Louis.

 

Les plantes et arbres procurent aussi un climat agréable car ils font écran aux vents tout en favorisant la ventilation. Ils oxygènent l’air et le rafraîchissent. Plantez également de part et d’autre de la clôture des arbustes variés et colorés ou des plantes grimpantes : cela cache partiellement la vue mais permet une bonne circulation de l’air.

En plus du confort thermique de la parcelle et de l’agrément de la cour, la végétation est indispensable au maintien de la terre et de la stabilité du sous-sol. Il est donc utile de la prendre en compte dans votre projet et de la protéger avant et pendant le chantier.

 Case de Saint-Denis au centre du jardin créole.

Case de Saint-Denis au centre de son jardin créole.

 

Si vous plantez abondamment, évitez la dispersion désordonnée et proscrivez les espèces étrangères à la région. Regroupez au maximum les espèces en fonction de leur taille, de leur volume, de leur couleur. Votre jardin participe au paysage de votre quartier. Vos arbres forment entre les maisons un petit écrin vert qui lie les bâtiments les uns aux autres et les protège de la chaleur. Il est important pour vous, votre santé et votre bien-être de reconstituer rapidement ce coin vert, frais et sécurisant qui donne une si grande unité à votre quartier. N’oubliez pas la règle d’or : votre jardin se conçoit avec la maison et non pas l’un puis l’autre.

l’esthétique va de pair avec la dissuasion : attention aux bougainvillées, qui s’y frotte, s’y pique !

l’esthétique va de pair avec la dissuasion : attention aux bougainvillées, qui s’y frotte, s’y pique !

 

Dpr 974 remercie le CAUE de son aimable autorisation de reproduire le texte ci-dessus. Site du Caue : http://www.caue974.com/fr/

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  1. Les trois premiers ponts suspendus de l’île (article du 25/01/2018 dpr (1))
  2. Le deuxième pont suspendu de la Rivière de l’Est

 

Il y eut plus d’un pont suspendu à La Réunion ! En un même siècle, furent construits et détruits les ponts suspendus de la Rivière du Mât, de La Rivière des Roches et de la Rivière de l’Est, ce dernier, anéanti en 1861 (1).

Il y eut donc plus d’un pont suspendu sur la Rivière de L’Est !

Voilà qui peut nous surprendre tant nous pouvions penser unique notre vieux pont, celui que nous connaissons. Un pont dont la réalisation longtemps différée se concrétisa à la fin du XIXème siècle. Un beau cas d’école.

 

Comme bien des ponts suspendus, il allie la grâce de ses câblages lancés dans le ciel à la pesanteur de ses 4 piliers en pierres maçonnées, arrimés aux remparts basaltiques à plus de 40 mètres au-dessus du lit du cours d’eau qu’il franchit avec légèreté sur près de 150 mètres de longueur. Il y a du plaisir à voir comment ses câbles porteurs de belle section, sortis des puissants massifs d’ancrage souterrains, situés 25 mètres plus loin dans les talus, semblent s’affiner en s’élevant au-dessus des piliers pour supporter son tablier par des suspentes qui dessinent un joli profil d’arc incurvé. Et il est fort intéressant aussi – si on ose un œil sous cette travée unique – de découvrir la structure métallique qui permet de mieux rigidifier l’ensemble et de mieux répartir le poids de l’ouvrage. Soit plus de cent tonnes de fonte, d’acier, de fer, d’alliage, etc. Un mécanisme faisant jouer des forces considérables ! Une belle rencontre entre l’art, la technique et la nature.

 

Le pont suspendu de la Rivière de l’Est, photo Marc David

 

Quelle est l’histoire de ce pont ? Et que nous dit-il de La Réunion de l’époque ?

Après la destruction du premier pont suspendu de la Rivière de l’Est, on peut s’étonner de la commande d’un pont de même type dans une période de moindre fortune pour de tels ouvrages en France, suite à l’écroulement du Pont suspendu d’Angers qui en 1850 entraîna un bataillon de soldats dans la mort. Mais la Rivière de L’Est, qui sourd du massif volcanique du Piton de la Fournaise, se charge des pluies abondantes de cette région de l’île et court dans des gorges vertigineuses et serrées en entonnoir, est un cas difficile ! Redoutée des hommes, elle n’est pas aisée à ponter. Son premier pont suspendu, « le plus remarquable de la Colonie », réalisé en 1842 à plus de 10 mètres du lit, fut anéanti en 1861 par une crue extraordinaire charriant les roches et débris d’un monstrueux éboulis (1). Les besoins humains et les nécessités économiques imposant rapidement un nouveau pont, la topographie des lieux poussa sans doute à éviter le choix d’un ouvrage à piliers multiples implantés dans le lit de ce cours d’eau.

 

Ancien pont suspendu de la Rivière de L’Est, Album de La Réunion, Antoine Roussin

Voici donc l’histoire de ce pont de sa conception à son inauguration, telle qu’elle apparaît à travers divers documents dont Le Mémorial de La Réunion (2) auquel nous avons emprunté nombre de données factuelles.

En 1861, la Colonie retient le projet de l’ingénieur Bonnin qui propose un pont suspendu (2) situé bien en amont de l’ancien, à un endroit où la rivière se resserre sur une centaine de mètres en prenant soin d’ancrer les piliers porteurs dans la roche à 40 mètres au-dessus de son lit. Ce qui devrait protéger le pont des crues et des éboulis. On lance la construction. Mais en 1867, le chantier s’arrête car la Colonie, qui traverse depuis peu une crise économique grave, liée à une soudaine baisse de rentabilité de la canne à sucre, ne peut plus assurer le coût des travaux. Au grand dam de l’entrepreneur Louis Julien qu’il faudra indemniser ultérieurement (2). Au regret des usagers sans doute qui durent longtemps avoir recours à une étroite passerelle suspendue aux restes des piliers du premier pont, voire à un passage à gué pour certains.

Une vingtaine d’années plus tard, en 1888, le Conseil général relance le projet (2) dans un contexte de réalisation de grands travaux accompagnant les mutations socio-économiques de l’île et suite dit-on à la mise en péril d’une délégation de conseillers généraux tentant de traverser la Rivière de l’Est… L’ingénieur et Chef des Travaux des Ponts et Chaussées Buttié s’adresse à la Compagnie Eiffel qui propose un type de pont classique en arc, et à Ferdinand Arnodin (2), un ingénieur et industriel français spécialiste des ponts câblés ; lesquels ont retrouvé dans les dernières décennies du siècle un nouveau souffle inaugurant une nouvelle génération de ponts suspendus, en France et ailleurs. De cette époque datent par exemple le pont de Brooklyn à New-York – long de presque 2 kilomètres –, Le Pont de L’Abîme à Cusy en France ou Le Pont de Biscaye en Espagne. (3)

Les responsables de la Colonie hésitent quant au type de pont à choisir. On est sensible aux observations d’un Rapport de 1888 émanant de De Jullidière, directeur du service des Travaux Publics (2). Et on opte finalement pour un pont suspendu (celui proposé par Arnodin) dans la continuité du projet initial mais intégrant les avancées de la technique des ponts suspendus, et qui a l’avantage (en apparence) d’être plus économique pour les décideurs car les piliers et l’accès au pont sont en partie déjà réalisés.(2) Commencés dans les années 1890, ces travaux d’envergure passent par l’assemblage en quelques mois des pièces détachées importées et en 1894 a lieu l’inauguration du pont par le gouverneur Danel. Quant aux ouvriers bâtisseurs, spécialistes ou manœuvres, nous ignorons les noms de ces hommes dont le courage et l’audace à lancer les câblages au-dessus du vide méritent notre estime. Mais on peut imaginer avec émotion, qu’autour de ce 4ème et dernier pont suspendu du XIXème siècle, palpitait le cœur d’une Réunion libérée des fers de l’esclavage, au visage plus multiple par l’accueil de nombreux engagés venus plus massivement d’Inde mais aussi d’autres continents.

 

Détails du Pont : section et pilier, photos M. David

 

C’est notre pont qu’ils ont bâti. Celui que nous connaissons. A quelques exceptions près. « Dans une période relativement récente, se trouvaient encore sur le site voie d’acheminement des marchandises, magasins et établissement des douanes » dit le site officiel de la ville de Sainte-Rose. Ont disparu également les cahutes des gardiens (et les gardiens) fixées par l’objectif d’Albany au milieu du XXème. Ont été faits aussi dans les années 60 et ultérieurement divers travaux de renforcement et de réfection.

 

Si ce pont suspendu a vaillamment survécu en 1927 à un éboulis monumental charrié par la rivière qui avait réussi à projeter des pierres sur son tablier à 40 mètres au-dessus de son lit (2), il accuse depuis le dernier quart du XXème l’outrage des ans, des vents, des pluies et des mutations démographiques et socio-économiques de l’île. On y avait toujours roulé à poids et vitesse limités, au pas presque, mais, vu l’intensification du trafic routier, il fallut le ménager. On construisit alors un nouveau pont routier dont l’inauguration en 1979 fut marquée par l’invitation au dialogue entre les cultures et croyances des hommes que l’histoire avait portés dans l’île (4). Pour ce nouveau pont, on choisit la sobriété : un simple arc en béton précontraint arrimé à des culées situées 50 mètres en amont de l’aîné… Etait-ce un clin d’œil au projet Eiffel ? Une nécessité technique ou financière ? Ou un signe de respect pour un vieux pont suspendu qui méritait seul de retenir l’attention du passant ?

Dessous du pont suspendu, photo M. David

Alors s’ouvrit une ère nouvelle pour ce vieux pont. Dégagé de toute circulation routière, nous l’avons mieux vu et encore mieux aimé. Nous avons vécu dans la familiarité des visites à l’ancêtre. Nous avons partagé avec lui les bonheurs et malheurs. Joie des mariages et des pique-niques sur l’aire aménagée non loin de ses piliers. Frissons des sauts à l’élastique au-dessus du vide ou souffrance des désespérés… Et nous avons surtout connu le plaisir et pour certains l’audace de marcher sur son plancher suspendu sur le vide. Ce qui n’est plus possible depuis l’arrêté municipal du 29 janvier 2016 qui interdit le pont aux piétons. Un véritable « crève-cœur » pour le maire Michel Vergoz mais une nécessité. Vu son état délabré, il « nécessite des travaux d’urgence » ainsi que le rapportent des articles de presse (5) de 2017 qui s’appuient sur un récent rapport d’expertise – « commandé par la mairie » – pointant la corrosion avancée de la structure « gravement altérée ». Tout en ouvrant la perspective de travaux de conservation et de réhabilitation qui engageraient la municipalité de Sainte-Rose, la Région-Réunion et l’Etat.

Nous saluons ces initiatives, même tardives, pour tenter de sauver notre vieux pont, le seul et le dernier de ce type à La Réunion. Certes, nous pouvons nous réjouir d’autres belles et audacieuses constructions contemporaines, tel ce merveilleux voilier posé sur la Route des Tamarins au dessus de la Ravine des Trois-Bassins et dont les grands haubans obliques, portés par deux mâts/piliers qui dessinent deux voiles dans le ciel, nous interpellent sur les mutations de la technique en matière de ponts, ici « extradossé » et « en béton précontraint » (6). Mais nous sommes aussi attachés à notre pont suspendu de la Rivière de L’Est. Un pont remarquable : inscrit aux Monuments historiques en 2014, signalé par des spécialistes, chanté, photographié par les amateurs et professionnels, les Réunionnais et les touristes venus de partout (7). Un pont aujourd’hui en danger. Avec les technologies dont nous disposons et au regard des fabuleux et invraisemblables ponts suspendus qu’on construit depuis des années dans le monde et en Asie plus particulièrement, on se dit qu’il faut agir pour sauver cet audacieux vestige de notre patrimoine.

 

Marie-Claude DAVID FONTAINE

 

  1. Cf l’article centré sur Les trois premiers ponts suspendus de l’île, édité sur dpr le 25/01/2018

https://dpr974.wordpress.com/2018/01/25/la-reunion-au-fil-de-ses-ponts-suspendus/

  1. L’histoire de ce pont est plus ou moins développée sur de nombreux sites et articles de presse ou d’ouvrages tels : La Réunion du battant des lames au sommet des montagnes de C. Lavaux (1973) et Le Mémorial de La Réunion, direction de H. Maurin et J. Lentge, Tome II réalisé par D. Vaxelaire assisté de M.C Chane-Tune (1978 à 1981) ; Monuments Historiques, Côte Est/ Grand Sud, notices S. Réol, DAC-oI, 2014.

On peut voir des images exceptionnelles du Pont suspendu de la Rivière de l’Est sur certains sites en ligne.

  1. Brooklyn bridge : pont suspendu avec haubans, Roebling, 1883. Pont de l’Abîme : pont suspendu avec haubans, 1887, F. Arnodin. Pont de Biscaye : pont suspendu et pont transbordeur, 1887/1893 ; intervenants : F. Arnodin et A. de Palacio (site structurae).
  2. On peut citer par exemple l’article du JIR du 2 mai 2016 dans lequel Idriss Issop Banian évoque « une cérémonie au cours de laquelle fut dite une prière commune, dans une communion fraternelle » réunissant Mgr Aubry et des représentants de diverses religions de l’île.

5.Parmi les articles de presse récents pointant ces problèmes, on peut signaler les articles du Quotidien (30/03/2017; 29/12/2017) et du J.I.R (01/02/ 2016 ; 28/12/ 2017).

6 Site structurae. Voir par ailleurs les nombreux documents en ligne sur ce pont extradossé.

  1. Le pont de la Rivière de l’Est, inscrit aux ISMH le 14 mars 2014, est en cours de classement. Il est signalé dans l’ouvrage de Marcel Prade : Les grands ponts du monde, Hors d’Europe, 1990. Agnès Gueneau fait allusion à ce « pont magique » dans La Terre-bardzour, granmoune, p 27. Michel Admette a chanté « Le pont d’la rivière de l’Est« . Ce lieu, l’un des plus visités de La Réunion a un réel intérêt patrimonial et touristique.

Annexe : Il existe de nombreux articles en ligne sur les ponts suspendus et leur histoire et évolution. Avec de très belles photos.

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  1. Les trois premiers ponts suspendus de l’île
  2. Le deuxième pont suspendu de la Rivière de l’Est (article annexe)

Il y eut plus d’un pont suspendu à La Réunion !

Et plus d’un pont suspendu sur la Rivière de L’Est !

De quoi nous surprendre tant nous pourrions penser unique notre vieux pont dont la silhouette se dessine pour notre plaisir sur l’écrin sombre des gorges profondes de la Rivière de l’Est qui dévale du massif volcanique du Piton de La Fournaise. Une belle esquisse !

Un pont suspendu, c’est en effet l’alliance de la grâce et de la pesanteur. C’est la légèreté des lignes qui se dessinent sur le ciel. Et la puissance des ancrages qui supportent les câbles porteurs, lesquels, passant par-dessus les piliers, soutiennent le poids du tablier par une série de suspentes (ou câbles) verticales. Un tel mécanisme met en œuvre des poids et des forces considérables. Il impose un savant équilibre entre l’art, la technique et la nature.

 

Pont suspendu de la Riviere des Roches, Album de l’île Bourbon, Adolphe d’Hastrel

 

Mais quand donc avons-nous eu d’autres ponts suspendus ? C’était dans le temps…

Certes on avait des passerelles, mais, pour ce qui est des ponts suspendus à vocation routière, notre île a connu, à l’instar d’autres pays, sa période faste au XIXème avec l’édification de 4 ouvrages ! En Europe – en particulier en Angleterre – et aux USA, la révolution industrielle avec l’essor de la sidérurgie avait favorisé leur implantation. Du premier quart du siècle datent ces ponts de première génération tels que (1) le Jacobs’Creek, l’Union Bridge, le pont d’Andance sur le Rhône (ces deux derniers encore en service) et deux de nos ponts réunionnais de la côte Est ! Voilà qui nous place parmi les pionniers !

A cette époque, la colonie, qui s’ouvre à l’industrie sucrière, lance des grands travaux routiers intiés par le gouverneur Milius puis ses successeurs. Il faut ponter de nombreuses rivières dont les puissantes Rivières des Galets, Saint-Etienne, de l’Est et du Mât, etc. On peut être sidéré du choix de la technique d’avant-garde des ponts suspendus pour deux de nos ponts de l’Est, alors que Bourbon se complaisait encore dans les fers de l’esclavage !

 

Pont de la Rivière du Mât, Souvenirs de l’Ile Bourbon, Antoine Roussin

Quels sont donc nos premiers ponts suspendus ? Ces ponts dont il ne reste que de rares images et des traces écrites qui laissent apparaître parfois quelques petits écarts, de dates en particulier.

Il s’agit d’abord des ponts de la Rivière du Mât et de la Rivière des Roches. Selon Louis Maillard, ingénieur colonial des Ponts et Chaussées, « Ces deux ponts suspendus, demandés en Angleterre en 1821, arrivèrent en 1824 et furent livrés à la circulation en 1827″ (2). Quant à savoir combien d’ingénieurs et d’ouvriers spécialisés embarqués dans l’aventure, combien d’hommes libres, de Noirs coloniaux, d’esclaves et de condamnés – peut-être – assurant des travaux complexes, combien d’accidents ? On n’en sait rien…

Ils étaient beaux dit-on… Magnifique le Pont de la rivière des Roches, avec « sa travée principale » et ses « petites arches » d’après le dessin fait par Le lieutenant d’Hastrel, de passage à La Réunion entre 1836 et 1837 (3). Un ouvrage charmant au vu de la gracieuse aquarelle bleutée réalisée à la fin des années quarante par Caroline Viard qui, sur ce sujet, surpassa la pointe sèche de Roussin (4). Un « beau pont suspendu » selon le Gouverneur Sarda Garriga (5). « Plus beau, mais moins solide que celui de la rivière du Mât », écrit M. Dejean de La Batie, délégué de la Colonie puis député de La Réunion de 1847 à 49 (3). Lequel pont de la Rivière du Mât semble susciter plus que la curiosité à ses débuts. Ainsi le citoyen Renoyal de Lescouble évoque-t-il dans son Journal d’un colon de l’île Bourbon sa visite du 15 février 1827 au « fameux pont » en ajoutant : « C’est un fort bel ouvrage mais dans lequel je n’ai rien trouvé d’étonnant, si non qu’il est incroyable que les Français soient encor obligés de s’adresser à l’Angleterre pour si peu de chose ». De manière moins équivoque, l’ouvrage jugé « solide et gracieux » par tel autre (4) est présenté comme « l’un des plus grands bienfaits que la partie au vent ait reçus jusqu’ici du gouvernement » selon l’ordonnateur P.P.U. Thomas (6).

Notre 3ème pont est le premier pont suspendu de La Rivière de l’Est. Achevé en 1842, il date comme ses aînés d’avant l’abolition de l’esclavage et se situe dans une époque de prospérité sucrière marquée par la relance des grands travaux. On ose alors un ouvrage sur la redoutable Rivière de l’Est qu’on passait auparavant quand et comme on pouvait, à gué ou sur des passerelles de fortune, ou qu’on évitait en utilisant la Marine de Sainte-Rose. Placé semble-t-il à 500 mètres en aval du pont actuel, dans une zone plus élargie, il surplombait les eaux de 10 à 20 mètres. « Admirez son pont suspendu, le plus remarquable de la Colonie », dit l’écrivain journaliste Eugène Dayot dans Bourbon Pittoresque paru en 1848. C’est « l’un des plus élégants, des mieux construits, des plus pittoresques » de l’île écrit ultérieurement le Docteur Jacob de Cordemoy en déplorant sa disparition (4).

 

Premier pont suspendu de la Rivière de L’Est, Album de La Réunion, Antoine Roussin

Comment fonctionnaient ces ponts suspendus ? La singularité de la technique et les impératifs sociaux économiques et climatiques soumettant ces ponts aux vents de la côte Est avaient suscité des règlements qui sont éclairants. Ainsi voici quelques extraits des arrêtés presque similaires relatifs à la police des Ponts de fer de la Rivière du Mât, des Roches et de l’Est datés des Gouverneurs de Cheffontaines, puis de Hell et notifiés respectivement le 1/09/1829, 3/02/1830, et 21/02/1840 (nous donnons l’arrêté de 1829 concernant la Rivière du Mât et mentionnons sommairement quelques modifications pour les autres, tous tirés du Nanteuil, Législation de l’île de La Réunion, section Ponts suspendus, tome IV, 1862) :

« Art. 1er : Il sera placé au pont en fer de la Rivière du Mât un gardien, qui aura à sa disposition un noir du service colonial pour l’aider dans sa surveillance. Le gardien est autorisé à porter une arme. »

« Art. 2 : Le gardien veillera à ce que les voitures ne puissent passer sur le pont que depuis 5 h du matin jusqu’à 7 h du soir. Après cette heure, le passage sera fermé. » (additif en 1840 : les gardiens doivent prêter serment)

« Art. 3 : Il ne pourra passer en même temps sur le pont qu’une seule voiture chargée, deux cavaliers et six piétons. » (modifications : en 1830 : sur chacune des voies du pont ; en 1840 : la charge maximale est de 2 000 kg à l’appréciation du conducteur des Ponts et chaussées ; un permis est nécessaire pour les grosses pièces : cylindres, pompes à vapeur, etc…)

« En aucun cas, il ne pourra être toléré de rassemblement sur le pont. Les hommes en troupe et les noirs en bande devront passer à la file. Les chevaux devront être mis au pas, les charretiers devront marcher à côté de leurs bêtes de trait, et les conduire par le collier. »

« Pour l’exécution de cette disposition, le gardien se tiendra toujours aux abords du pont sur une rive, et le noir sur la rive opposée. Un signal avertira de l’entrée d’une voiture sur le pont, pour qu’elle ne soit pas exposée à en rencontrer une autre. »

Art. 4 : Toute résistance au gardien sera poursuivie conformément aux articles 209 et suivants du Code pénal. »

 

Bref, il y a des règles de conduite et des aléas qu’on tente de prévenir, à La Réunion comme ailleurs… On peut sur ces points imaginer bien des scènes cocasses ou moins drôles ! Avant la destruction de ces ponts.

 

Les ponts détruits de la Rivière des Roches et de la Rivière  de l’Est, Album de La Réunion, A. Roussin

 

Quand et comment furent-ils détruits ? Trois décennies suffirent pour les anéantir.

On dit que le pont de la Rivière des Roches, souvent affecté par les crues, s’écroula en 1838 sous le poids d’un troupeau de bœufs (7) ! Est-ce l’effet d’un phénomène de résonance redouté quant à ce type de construction ? Est-ce cet effet que l’on avait voulu éviter par l’article 3 qui interdisait les attroupements et imposait de franchir le pont à la file ? Quoiqu’il en soit, après réparation, il fut ébranlé par des cyclones dont celui de 1844 et celui de 1850 qui l’a »renversé » selon un rapport du Gouverneur Sarda Garriga sur les dégâts du « coup de vent » dévastateur du 29 janvier 1850 (5).

Le Pont de la Rivière du Mât, dont certains louaient la solidité, révéla aussi des défaillances, ainsi celle d’un maillon de fer qui causa la mort d’un ouvrier d’après C. Jacob de Cordemoy (4). Consolidé sur une partie, cet ouvrage, que « la main de l’homme démolit » dans les années 1860 selon le Docteur Jacob de Cordemoy, montrait des signes d’usure en particulier son pilier central dit-on.

Quant au premier pont suspendu de la rivière de L’Est, il dura deux décennies et fut anéanti par l’éboulis monstrueux du 11 février 1861 consigné par le Docteur Jacob de Cordemoy (5), L’Annuaire de 1862 et les Notes de l’ingénieur Maillard (1) qui dit alors « il (le pont) vient d’être enlevé par une crue extraordinaire qui a fait ébouler des pans de montagnes, et comblé le lit du torrent de près d’un mètre au-dessus du niveau du tablier du pont ».

 

Bref, nos trois ponts suspendus furent détruits comme d’autres types de ponts malmenés par la furie des eaux, en particulier à La Réunion. Il fallut rebâtir. Dans les années 1860, on équipa la Rivière du Mât et la Rivière des Roches avec deux nouveaux ponts en fer de construction plus traditionnelle, tous deux en amont des anciens.

Quant à la Rivière de l’Est, un projet de pont suspendu resta suspendu 33 ans durant ! Avant d’aboutir au pont que nous connaissons ! Soit le 4ème pont suspendu de l’île en un siècle.

Et c’est ce projet de pont que nous suspendons jusqu’à notre prochain article.

 

Marie-Claude DAVID FONTAINE

  1. Le Jacob’s Creek Bridge, en chaîne de fer est construit aux Etats-Unis en 1801 et l’Union Bridge en 1819/20 au Royaume-Uni. Le Pont d’Andance, conçu par Marc Seguin, date de 1827 (références site structurae). Les Français amélioreront la technique en remplaçant les maillons par des câbles en fils de fer torsadés. Pour les 2 ponts encore en usage, on signale des travaux ultérieurs.
  2. Louis Maillard, ingénieur des Ponts et Chaussées en service à La Réunion pendant plus de 25 ans, fit paraître à son retour en France ses Notes sur L’Ile de La Réunion (Bourbon), chez Dentu en 1862 ( consultable en ligne). Selon C. Lavaux et Y. Perrotin, les 2 ponts demandés à l’ingénieur français Brunel qui travaillait en Angleterre ont été affectés in fine à La Rivière du Mât et des Roches.
  3. Adolphe D’Hastrel a fait paraître l’Album de l’île Bourbon en 1847, soit quelques années après son retour en France. Cet album « composé de 36 études, sites, costumes dessinés d’après nature » est précédé d’une Notice sur l’île Bourbon, écrite par M. Dejean de La Batie, Délégué de la Colonie.
  4. Publié après les les Souvenirs de l’ïle Bourbon (ou La Réunion), L’Album de La Réunion d’Antoine Roussin, paru de 1856 à 1876/1886, comprend des articles signés du Docteur Jacob de Cordemoy et de Camille Jacob de Cordemoy (apparentés et membres de la Société des Sciences et des Arts de La Réunion) ainsi que des lithographies des ponts suspendus (et autres) de l’époque réalisées par A. Roussin et ses collaborateurs. Parmi les articles retenus : La Rivière de l’Est, Dr.JC, Les gorges de la Rivière du Mât Dr.JC, La Rivière des Roches C.JC, Le Tour de l’île C.JC.
  5. Le Mémorial de La Réunion, direction de H. Maurin et J. Lentge, Tome II, réalisé par D. Vaxelaire assisté de M.C Chane-Tune. Article l’Ile aux ouragans, Tome III.
  6. P.P.U. Thomas, commissaire de marine-ordonnateur (fonction administrative) à Bourbon dans les années 1820  a publié Essai de statistique de l’île Bourbon considérée dans sa topographie, sa population, son agriculture, son commerce etc , 1828, (Prix de l’Académie Royale des sciences).
  7. La Réunion du battant des lames au sommet des montagnes de C. Lavaux, Patrimoine des communes de la Réunion, sous la direction de JL. Flohic. Le Mémorial de La Réunion, direction de H. Maurin et J. Lentge, Tome II réalisé par D. Vaxelaire assisté de M.C Chane-Tune.

Annexe : Bibligraphie élargie aux articles de journaux et Sites sur les ponts suspendus.

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Réédition de notre article d’Août 2011: L’actualité rejoint l’histoire avec la publication récente du JIR concernant la maison Drouhet. (28/09/2017)

la villa Saint-Joseph

Nous autres, Dionysiens, avons à Saint-Denis deux adjoints qui s’occupent jour et nuit d’urbanisme et de culture, un maire qui veut faire de sa cité « une ville d’art et d’histoire » ; nous disposons en outre d’un Plan Local d’Urbanisme répertoriant en jaune les bâtiments d’intérêt architectural voire de grand intérêt architectural» à préserver  à tout prix et surtout d’un Architecte des Bâtiments de France qui veille au grain…  Nous en avons de la chance : le patrimoine architectural de notre ville est en de bonnes mains ; nous pouvons dormir sur nos deux oreilles !

Certes, certes, certes… sauf que tout près du commissariat Malartic, à l’angle de la rue Colbert, se trouve la « villa Saint-Joseph », répertoriée sur la carte du PLU, que l’on s’apprête à démolir en missouque (2) : en lieu et place de la villa et du jardin doit s’élever un immeuble de bureaux «  le Levant du Jardin » de 14 mètres de haut et d’une superficie hors d’œuvre nette de 2586 mètres carrés. Tout cela bien sûr en toute légalité, avec toutes les autorisations requises, alors que l’ensemble se situe dans le périmètre du Jardin de l’Etat et du Muséum d’histoire naturelle, tous deux classés en totalité parmi les monuments historiques. Comment cela est-il possible ? Ne répondez pas tous à la fois…

Ce n’est pas tout : à l’angle des rues Sainte-Anne et Juliette Dodu se trouve un bâtiment construit probablement dans les années 1830-1840. C’est une maison qui possède tous les canons du style néo-classique et comporte de nombreux détails intéressants (frontons, moulures, travail original des tuiles, grand bas-relief dont il subsiste une petite partie). Aujourd’hui  l’on se met en toute hâte à la démolir avant même que le permis de construire n’ait été affiché et dans quelles conditions de sécurité ( ! ). L’on n’a gardé que la façade qui donne sur la rue et l’on a complètement éventré la façade arrière qui était encore intacte. On est curieux de voir ce que deviendra le projet : il y aura-t-il une surélévation ? Que restera-t-il de cette maison néo-classique qui, elle aussi, devait être protégée si l’on en croit le PLU, à moins que celui-ci ne soit considéré par certains que comme « chiffon de papier » ?

La maison Drouhet naguère… (3)
Last but not least, la maison Drouhet, située dans le fond de la Rivière Saint-Denis après le B.O.T.C. La maison, en jaune sur le PLU, se trouve en contrebas de l’ancien hôpital Félix Guyon, inscrit en totalité à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Il y avait à l’origine une boulangerie sur ce site, créée dans la première moitié du 19ème siècle. La boulangerie a été transformée en maison d’habitation (partie en pierre et partie en bois) avec un beau jardin. Sur ce terrain on a construit un immeuble en zig et un autre en zag ; pour retrouver l’emplacement de la maison il faut franchir un portail sécurisé, passer sous l’immeuble et l’on se rend compte que la maison Drouhet a été rasée sans autre forme de procès et qu’à sa place on a élevé en fer et en parpaings une pseudo maison créole, imitation de l’ancienne mais qui n’en a ni l’authenticité ni le charme.

… et ce que l’on en a fait…

Il serait intéressant de savoir à qui appartient cette bâtisse, car aucune indication n’est donnée ; il n’est point trace de permis de construire qui normalement devrait rester affiché tout le temps de la construction… Une fois de plus ces opérations semblent se dérouler dans la plus grande discrétion possible.
Autrefois les Réunionnais craignaient pour leurs maisons les carias et les cyclones. Il semblerait que la ville historique risque plus sûrement de disparaître grâce aux nombreux permis de construire qui font peu de cas, avec la bénédiction de l’actuel A.B.F, des préconisations du Plan Local d’Urbanisme (P.L.U). On parle de protection du patrimoine, on nous fait miroiter la perspective d’un « Saint-Denis, ville d’art et d’histoire » et pendant ce temps-là, comme dit le créole : «  Kabri i manj salade ! »

DPR974

(1)         Expression créole qui signifie que tout cela est bien joli, mais que la réalité est tout autre, qu’on veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes, qu’on nous berce d’illusions.

(2)         « En missouque » : en cachette, en douce. Les constructeurs font preuve d’une discrétion exemplaire et au lieu d’afficher le permis sur la façade qui donne sur la rue Malartic qui est très passante, on l’a placé rue Colbert à l’abri de trop de regards curieux.

 

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Connaissez-vous le lavoir de Casabona à Saint-Pierre ? Le plus grand lavoir de La Réunion ! 120 bassins qui, placés bout à bout s’alignent sur plus de cent mètres (1) entre l’actuelle rue Luc Lorion et la rue du Lavoir. Soit 60 grands bassins pour le lavage et le frottage du linge sur une pierre taillée en basalte, associés chacun et de manière contiguë à 60 petits bassins pour le rinçage.

Implanté sur une étroite parcelle gagnée sur les champs de cannes, dans les années 1930, ce lavoir était autrefois très fréquenté mais, avec la modernisation, il a été progressivement délaissé. On peut cependant y rencontrer quotidiennement quelques habitants proches et des femmes du quartier attachées à la lessive du jour. Ce bâtiment, inscrit aux Monuments Historiques depuis 2006, est un lieu populaire, gardien de la mémoire du quartier et des Saint-Pierrois.

Le lavoir vu de la rue Luc Lorion et vu de la rue du Lavoir – Photos Marc David

Comment comprendre l’attachement à ce lavoir d’autrefois ?

Il suffit de remonter le temps. Jusqu’à l’année 1932, celle qu’on peut lire sur une inscription gravée sur une plaque ogivale assujettie au soubassement d’un bassin plus central et portant ces mots d’hommage de la « Population reconnaissante au Maire de Saint-Pierre, Augustin Archambeaud, 1932 » (2). Voilà une inscription qui interpelle !

 

Qui donc étiez-vous monsieur Archambeaud pour mériter cette reconnaissance-là ? (Notre article se limitant à cette seule réalisation, sans engager les positionnements divers de monsieur Archambeaud dans son action de député et de maire dans le contexte politique de la première moitié du XXème siècle).

Un maire, docteur de formation, dans un temps difficile où les Saint-Pierrois, comme la plupart des Réunionnais, vivaient péniblement dans une colonie sous-développée et dépourvue de réseaux d’alimentation en eau potable et électricité (3). On s’éclairait alors à la bougie ou au pétrole et, comme l’eau courante n’arrivait pas dans la plupart des cours et maisons dans cette région où les eaux pérennes sont parcimonieuses, on charroyait de lourds récipients pleins du précieux liquide.

Dans les années 1930, Augustin Archambeaud remplissait son 2ème mandat de maire de Saint- Pierre. L’eau providentielle du canal Saint-Etienne (4) ne pouvait échapper à la sagacité de l’édile et de ses adjoints. C’est en effet ce canal, porté dès 1818 par la volonté et les intérêts solidaires d’hommes du Sud, achevé en 1827 et courant de La Rivière Saint-Etienne à Grand-Bois en passant par Casernes, qui avait favorisé le développement de la région de Saint-Pierre en permettant l’irrigation des champs, l’alimentation des usines sucrières tout en assurant les besoins domestiques des populations proches.

Un siècle après, ce canal offrait encore aux responsables de la ville, son opportunité pour la construction d’un lavoir en contrebas, grâce à une dérivation. On l’édifia près des champs de cannes, dans le quartier de Casabona, au plus loin de la Rivière d’Abord, à la lisière de la zone périphérique plus populeuse du Nord-Ouest de la ville et non loin de l’usine des Casernes.

 

La plaque à A. Archambeaud, photo M. David 2.  Vue aérienne du lavoir, © IGN 1950

 

La réalisation de ce lavoir est donc bien l’œuvre de l’homme politique soucieux du mieux vivre des populations mais il nous plaît d’imaginer l’homme et l’hygiéniste inséparables de l’édile qu’il était. On peut penser que Archambeaud, « le suppléant de la santé », avait sans doute rêvé que la grande lessive à l’eau courante et claire acheminée du canal éliminerait nombre de microbes et parasitoses et ferait reculer les maladies et la mortalité infantile effroyables en ces temps où un enfant sur 4 mourait avant 2 ans ! (3). On peut penser aussi qu’il avait vu œuvrer les femmes et hommes de son temps et entendu ou deviné leurs voix, que nous imaginons encore entendre…

 

Que pouvaient avoir dit ou pensé ces voix de femmes, d’hommes et d’enfants de ce temps-là ? Que la corvée d’eau pour alimenter les familles était bien dure. Plus pénible encore quand il fallait charroyer les baquets pour laver le linge ! Pire : dans une ville bâtie dans la pente ! Que les femmes avaient besoin de toutes leurs forces et de toute l’énergie de leurs nerfs, de leurs reins pour savonner, frotter, battre, rincer, tordre le linge… Qu’elles étaient épuisées par la rudesse du battoir et leurs mains épluchées par le gongon de maïs frottant sur la roche à laver. Qu’elles souffraient suffisamment de tous les manques de ce temps-là ! Et qu’elles rêvaient d’avoir au moins de l’eau à disposition !

 

Pour cela, ce lavoir, avec ses 120 bassins tous remplis, aux eaux claires, généreuses et gratuites répondait à leurs besoins, qu’il s’agisse des mères de famille souvent nombreuses ou des blanchisseuses qui gagnaient leur vie en faisant des « pratiques » pour des familles plus aisées. Car La Réunion était à mille lieux du premier salon des arts ménagers de Paris qui vantait les mérites de la machine à laver électrique que personne ici n’avait ! (5)

 

Replongeons dans ces années 1930 qui suivent la création du lavoir. Imaginons ces femmes nombreuses qui arrivent avec leurs bandèges remplis de linge, certaines accompagnées par leurs enfants et grandes filles. Elles portent capeline pour la plupart car le lavoir est à ciel ouvert à l’époque. Il y a celles qui ont leur jour et leur place attitrée, celles qui vous regardent de travers si vous avez osé vous installer là où elles sont d’ordinaire. Celle qui est là de grand matin, telle autre plus tard. Celles qui font sécher leur linge sur place, étendu à même le sol, celles qui le ramènent à la maison. Avec ses confidences et ladi-lafé, amitiés et inimitiés, solidarités et jalousies, le lavoir est un monde en miniature. Monde de femmes d’où les hommes ne sont pas absents ! On parle beaucoup d’eux ! Et, quand ils passent, des regards profonds s’échangent parfois… Bref, on entend battre les langues autant que les battoirs car à Casabona, comme dans tous les lavoirs du monde, on lave et on bat le linge en même temps qu’on brasse les bonheurs et malheurs du monde (6). Ecoutons-les ces femmes d’autrefois, entendues par delà les ans (7) :

 

– Mérsi méssié Archambeaud. Mé ou la-oubli mète fèy tole dessu ! Solèy i poike !

– Mète ot kapline Rosita sinon lève bone-hère ! Sinonsa alé lave ot linz, la-ba, la rivièr ! Ou va voir si solèy i poike pa !

– Domoun i di lo temps lé mové. Moin la peur ! Volkan la-bien pété en 31, siklone 32 la kasse toute !

– « Moi, j’ai tiré ma fille de l’école ». El té i fé pa rien. Issi, èl i apran la vie.

– Moin lé fatigué d’lave bann pikète-la ! Linz kaki lé lour ! Moin la-di mon bonnom : arète salir ! Lèsse amoin trankil !

– Tansion ! Ça, zabo lavoka dann tribunal. Kabe anvoy aou la zol ! Na larzan, mé lo linz lé sale mèm !

– Alon bingn dan leau prope avan d’rante la kaz ! I di Sin-Dni na in pissine. Anou ossi !

– Fanélie, alon shante lo pti shanson i vien d’sortir. Lé tro zoli !

– P’tit fleur aimée, P’tit fleur fanée, Dis à moin toujours, Couc c’est l’AMOUR…(7)

 

Le lavage et le séchage du linge au lavoir, photos Marc David

 

On vit alors se fortifier au cours des décennies l’âme de ce quartier populaire, accueillant et ouvert à tous et marqué par l’empreinte des familles historiques (8) installées dans les maisons proches du lavoir. On entendit battre les langues et les battoirs, alors que l’eau vive du canal Saint-Etienne coulait de bord en bord des 120 bassins du lavoir, vidangée par une bonde manipulée par les lavandières elles-mêmes. Jusqu’aux années 1950, ce lavoir était encore entouré de champs de cannes vers le nord et l’ouest comme on peut le voir sur des clichés connus qui laissent voir les lavandières œuvrant à ciel ouvert et le linge étendu au sol. Avec le temps, vinrent les changements comme l’étendage du linge sur des réseaux de fils tendus et plus encore, dans les années 70, ce que bien des blanchisseuses attendaient, le recouvrement de l’édifice avec un toit de tôle. Après la fermeture – qu’on peut trouver regrettable – du canal Saint-Etienne, on regarda alors davantage à la consommation de l’eau distribuée par la ville. On la plaça un temps sous la surveillance d’une gardienne du quartier (9) qui ouvrait et fermait les robinets, plus nouvellement installés, le matin et soir. Mais le lavoir restait bien fréquenté.

 

A partir des années 80, avec la densification de la population, le typique quartier du lavoir se trouva intégré au grand Saint-Pierre urbain et cerné par la ceinture périphérique dessinée par la 4 voies du Tampon et le boulevard Banks. Depuis, l’étroite bande du lavoir se devine à peine dans ce quartier ouvert sur la modernité avec son lycée, ses installations sportives, ses immeubles d’habitation, sa gare routière et les équipements en commerces, grandes surfaces et services. Avec la modernisation des modes de vie et d’habitat et l’usage plus démocratique de la machine à laver – qui soulage heureusement les femmes de la corvée de lavage du linge ! – le lavoir est bien moins utilisé, ici comme ailleurs. Mais le lieu reste vivant par la présence des habitants attachés à leur quartier, soucieux de sa sauvegarde et impliqués dans des projets associatifs. Il compte toujours ses fidèles et habitués. On peut y trouver celle qui « continue à faire comme avant » ou celle qui « préfère faire sa lessive au lavoir », telle autre profitant de l’eau offerte quand « la vie est chère, l’appartement trop petit » et la famille nombreuse. On peut y rencontrer des piliers de connaissances tel celui qui a « toujours vécu là » et dont la famille« a toujours été là »

 

Citerne avec dessin de Jace, Grand et petit bassins, Affiche – Montage Marc David

Au début de notre XXIème siècle, l’état de délabrement du lavoir étant préoccupant, un plan de réhabilitation est lancé en 2005 (8) par la ville de Saint-Pierre, car « La mairie ne veut pas rester insensible aux souhaits de ses concitoyens pour la pérennité de ce patrimoine historique », « véritable identité du quartier de Casabona ». Cette réhabilitation impliquant des jeunes dans un « Projet d’Initiative Locale », s’attachait prioritairement et selon les « recommandations du Service départemental d’architecture et du patrimoine » à des travaux portant sur la consolidation des plots soutenant l’édifice, la réfection du sol, des bassins et du toit abîmés. Le 12 janvier 2006, le Lavoir dit Casabona « est inscrit aux monuments historiques, en totalité, y compris le terrain d’assiette et la prise d’eau du canal Saint-Étienne ». Voilà qui reconnait l’intérêt du site. Mais, la rénovation et « la mise en valeur de ce lieu » (8) laissent à désirer et depuis, avec l’usure des ans, il reste encore à faire…

De nos jours, le lavoir affiche, hélas, un état regrettable avec des tôles arrachées, des bassins peu avenants qui, vidés de leur eau, ont juste le mérite de mettre en évidence le système de bonde et la circulation de l’eau qui se fait entre grands et petits bassins solidaires. Les montures métalliques et le toit sont rongés par la rouille. Mais on reste impressionné devant ce qui est le plus grand lavoir de La Réunion, et une rareté par ailleurs vu ses dimensions exceptionnelles. Et on y rencontre, heureusement, toujours des gens, accueillants et disponibles, prêts à parler du lavoir ou de la marche du monde…

 

Voilà donc un lieu de vie et un témoin de notre histoire qui mérite mieux. Dans ce quartier animé, populaire, gagné par la modernité, sommes-nous conscients, voyageurs, lycéens, sportifs et passants d’aujourd’hui, de la présence discrète de ce lavoir ? Il est repérable grâce à une ancienne citerne de sucrerie qui, postérieure à l’installation de l’édifice, « fait office de réservoir pour le quartier ». Cette citerne, faite de « feuilles de tôle boulonnées sur des fondations en pierre » et rouillées par le temps est recouverte d’un dessin de Jace figurant un gouzou émergeant semble-t-il d’une mousse abondante. A quand donc la grande lessive qui redonnera de l’allure à ce lavoir tout en préservant l’âme de ce quartier de Saint Pierre, Pays d’Art et d’Histoire ? Il appartient à tous, habitants, responsables et artistes de continuer à œuvrer pour la sauvegarde de ce lieu, pour que l’eau du lavoir de Casabona rassemble encore les femmes et hommes de demain.

Nos remerciements à ceux qui, au bord des bassins, ont partagé avec nous leur temps et leur savoir.

 

Marie-Claude DAVID FONTAINE

 

  1. Notre article, qui s’appuie sur des données factuelles tirées de documents et sites officiels, fait une correction quant à la longueur, vérifiée, du lavoir (110 mètres mesurés et non 250). Il imagine par ailleurs librement les années 1930 à partir de données d’époque.
  2. Pierre Edouard Augustin Archambeaud (1868/1937). Après des études de médecine, s’installe à Saint-Pierre. Est nommé « Ordinaire Suppléant de la Santé » en octobre 1898. Conseiller général, député de La Réunion de 1907 à 1914, maire de Saint-Pierre de 1902 à 1912, puis de 1926 à 1937. (voir sites et Le Dimanche magazine du 18 novembre 2001 sur A. Archambeaud)
  3. « En 1931, le taux de mortalité était encore de 33%, fondé en grande partie sur un impressionnant taux de mortalité infantile » Histoire de La Réunion De la colonie à la région, Y. Combeau, P. Eve, S. Fuma, E Maestri. En 1946, La Réunion « n’a aucun réseau de distribution potable et 10% seulement des logements en bénéficient. Elle n’a pas de réseau d’assainissement » E. Maestri et D. Nomdedeu Maestri , Chronologie de La Réunion (De la départementalisation à la loi d’orientation).
  4. On peut retenir Frappier de Montbenoit, Augustin Motais, Hoareau/Desruisseaux, soutenus par le gouverneur Milius.
  5. En 1923, premier salon des appareils ménagers au cours duquel la machine à laver est reine. En 1934, les frères Lemercier lancent une machine à laver bon marché et dotée d’un interrupteur horaire.
  6. La pièce de théâtre Le Lavoir de Dominique Durvin et Hélène Prévost, 1986, raconte un lavoir, à la veille de la 2ème guerre mondiale. Le succès de cette pièce traduite en 40 langues a été international.
  7. Traduction et notes : 1. Merci monsieur Archambeaud. Mais vous avez oublié le toit. Le soleil brûle. 2. Mets ta capeline Rosita, sinon lève-toi de bonne heure. Ou bien va laver ton linge, plus loin, à la rivière. Tu verras si le soleil n’y brûle pas ! 3. On annonce du mauvais temps. J’ai peur. L’éruption du volcan a été forte en 31, le cyclone de 32 a tout cassé. 4. Moi, j’ai retiré ma fille de l’école. Elle n’y faisait rien. Ici, elle apprend la vie. 5. Je suis fatiguée de laver ces linges de bébé ! (pikète : sorte d’alèse en tissu) Les vêtements en kaki sont lourds. J’ai dit à mon mari : cesse de salir ! Laisse moi tranquille ! 6. Attention ! Ceci est le jabot d’une robe d’avocat ! Un homme capable de t’envoyer en prison. Il est riche mais son linge est bien sale. 7. Allons se baigner dans l’eau propre avant de rentrer à la maison. Saint-Denis a sa piscine (depuis1932), nous aussi ! 8. Fanélie, allons chanter la chanson qui vient de sortir. Elle est trop jolie ! 9. P’tit fleur aimée, de G. Fourcade et J. Fossy, date de 1930 (graphie de Un siècle de musique réunionnaise, C. David et B. Ladauge).
  8. Le journal de la commune de Saint-Pierre, La voie du Sud, a consacré plusieurs articles au lavoir de Casabona. Le n° 27 de mars 2005, intitulé « Le lavoir de Saint-Pierre : une réhabilitation attendue », évoque ces « vieilles familles du lavoir : Familles Terro (surnom Premier), Madame Lucienne, Palma, Assoumani, Griboine, Abrillet, Varaine, Agathe, Saint-Alme, Agesidame, Pinel, Subijus, Servant-Tirel, Jetter, Presles, Timbou, Seychelles, Faconnier, Araye (Nandou), Sababady, Ramaye (Milien), Vavelin, Madame Louis Jessus… »
  9. Voir les sites en ligne ainsi que l’article du Quotidien du 4/02/05 .

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Fontaine de l’ancienne Mairie de St Denis

Fontaine de l’ancienne Mairie de St Denis

 

Après avoir écouté le marchand de pilules qui apaisent la soif et engendrent un gain de temps de cinquante-trois minutes en une semaine, le petit prince de Saint-Exupéry eut cette réflexion : » Si j’avais cinquante-trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine « .
Les fontaines sont sources de vie. Elles font partie de notre histoire, de notre paysage, de notre patrimoine. Qu’il s’agisse de la fontaine monumentale de la place de la cathédrale à Saint-Denis (en cours de rénovation) ou des blocs de béton pourvus d’un robinet (parfois de quatre) auquel on venait remplir son « fer-blanc » lors qu’on ne disposait pas de l’eau courante, ou encore d’un simple robinet, comme celui des rampes Ozoux au bas de la rivière, auquel on se désaltérait au retour d’un match à la Redoute, ou d’une baignade dans un « bassin » de la rivière Saint-Denis, la fontaine est le point de ralliement de toutes les soifs du monde. Mais nous aurions quelque difficulté aujourd’hui à marcher tout doucement vers une fontaine dans la ville de Saint-Denis. Elles sont pour la plupart asséchées, taries, bouchées, quand elles n’ont pas purement et simplement disparu.

Fontaine Tortue du bas de la Rivière.

Fontaine Tortue du bas de la Rivière.

 

Ces vers, extraits du poème « Saint-Denis », écrit en 1983, dressent déjà le constat :

Les fontaines taries hantent le paysage

Des rampes de la Source au rond-point du Jardin

Fontaines de la gare et de la rue Bertin

Dans ma quête assoiffée oasis ou mirages

Au plan historique, les premières fontaines sont apparues dans le paysage parisien au 12ème siècle. Les premières fontaines monumentales datent du 16ème siècle, telles la fontaine de la place des Innocents, dans le quartier des Halles, ou la fontaine Médicis, au cœur du jardin du Luxembourg. Au dix-neuvième siècle Paris compte quelque 2 000 points d’eau.

Au sortir de la guerre de 1870, un philanthrope britannique, du nom de Richard Wallace, finance de ses propres deniers l’installation à Paris de fontaines publiques, dénommées « fontaines Wallace » : ce sont de véritables œuvres d’art réalisées en fonte et dont les grands modèles atteignent 2m70 de haut pour un poids de 610 kg. Elles sont munies d’un gobelet métallique, retenu par une chaînette, permettant ainsi à tout passant de se désaltérer gratuitement. A défaut du gobelet de Richard Wallace, les fontaines de Saint-Denis permettaient néanmoins de se désaltérer, lorsqu’on arpentait les rues du chef-lieu sous un soleil de plomb (on ne circulait pas encore en voiture climatisée et on ne buvait pas de sodas glacés pour se rafraîchir).

Si nous pouvions faire une suggestion tant à la ville de Saint-Denis qu’au Conseil régional, ce serait de rajouter les Fontaines aux Pitons, Cirques et Remparts. Et pourquoi les fontaines de Saint-Denis (et des autres communes de la Réunion) ne feraient-elles pas partie du patrimoine réunionnais inscrit à l’UNESCO ? Il suffirait pour cela de remettre en état les fontaines existantes, de telle sorte qu’elles puissent remplir leur double fonction : celle de décor urbain en même temps que mise à la disposition des passants d’une eau potable et gratuite au niveau de la rue.

Dans la plupart des villes dans le monde, les plus beaux centres d’intérêt sont ceux réalisés autour de la magie aquatique (sans que l’on puisse pour autant parler de gaspillage, puisqu’il s’agit d’eau recyclée en circuit fermé).

Dans le département du Vaucluse, en Provence, la petite ville de Pernes-les-Fontaines ne compte pas moins de quarante fontaines, pour une population de dix mille habitants. Et pourquoi Saint-Denis-sur-Mer ne serait-elle pas aussi Saint-Denis-les-Fontaines ?

Dans les jardins Barre -Déramont

Dans la cour de « L’Équipement » à Saint-Denis…

 

Jean-Claude Legros

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Aux premiers signes avant-coureurs de l’été, les carias (1) déplient leurs ailes ; l’excitation les gagne ; sous la lampe allumée ils entament leur danse. Danse de mort, nombre d’entre eux vont crever. Mais aussi danse de vie, car mâles et femelles en trâlée trouveront la tranquillité d’une cachette pour se multiplier. Après cela, prenez garde !…Voici une maison créole qui fait la belle, toutes moulures dehors ; il n’est pas encore né le cyclone capable de l’abattre… Mais bien au chaud sous le  sol une société très organisée, la société des carias, est déjà au travail.

Couple royal de Coptotermes gestroi.

Dans cette société chacun a sa tâche : à la tête le roi et la reine. Cette dernière est là pour pondre et c’est chose qu’elle sait faire ; elle pond, elle pond, elle pond toujours, elle pond encore. Son ventre traîne à terre, elle n’arrive pour ainsi dire plus à bouger, mais les œufs, par milliers, continuent à débouler…Il y a également les soldats, chargés de surveiller les tunnels, de peur d’une intrusion ennemie. Il y a enfin les ouvriers, une véritable armée ! De tels ouvriers, quel patron n’aimerait pas en avoir ? Ils ne font jamais grève ; il ne leur viendrait  pas à l’idée de réclamer les 35 heures : Ils  travaillent jour et nuit ! Ils sont tellement acharnés au travail que rien ne peut les arrêter. Ils arrivent à passer partout, se faufilent sous terre, s’insinuent dans le placoplâtre, dans le bois, se glissent entre les fils électriques. Si la moindre fêlure existe dans le béton, ils suivront la fêlure pour trouver la fissure.

Ouvrier...

Un ouvrier…

 et un soldat (Coptotermes gestroi).

et un soldat (Coptotermes gestroi).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tout ce qui a nom bois, papier, linge, ils le croquent, le malaxent, l’avalent. Les journaux, ils les dévorent de la première à la dernière ligne. Ils transforment la charpente en dentelle de Cilaos ; les lambris sont réduits en poudre ; dans les cases en bois ils rongent le cœur  des planches qui garnissent les façades : la maison finit par ne plus tenir que par la couche de peinture qui la recouvre.

Des insectes passionnés de généalogie. (Collection A. VAUTHIER)

Des insectes qui ne font pas de quartier! (Collection A. VAUTHIER)

 

Les insectes qui ne font pas de quartiers! (Coll. A. VAUTHIER)

C’est tout ce qu’il en reste! A.D/ Archives des notaires (Coll. A. VAUTHIER)

Tout cela se fait bien sûr en douce ; lorsque vous vous apercevez que votre maison est cariatée, il est bien trop tard : le mal est fait ! Ces maudits carias ne respectent rien : lorsque la vierge de l’église de Saint-Pierre se rend compte de ce qu’ils ont fait de sa maison, il ne lui reste plus que ses beaux yeux pour pleurer.

Les carias sont une  vraie calamité. Vous seul, avec votre cuvette remplie d’eau, tenue à bout de bras sous la lampe, vous n’en viendrez pas à bout. Il nous faut unir nos efforts. Chacun, qu’il soit responsable, chercheur ou simple citoyen doit tout mettre en œuvre pou « Anpèsh, anpèsh karia-la, fé son pti Kaloubadia ! »(2), (3)

 

 

Robert Gauvin

Notes:

(1) Carias est le nom réunionnais des termites.

(2)  Pour empêcher « que le caria ne fasse ses dégâts en douce » comme le chantait dans un séga célèbre notre Maxime Laope national.

(3)  Kaloubadia= trafic, chose louche.

Nous remercions chaleureusement l’ORLAT (L’Observatoire Régional de Lutte Anti-Termites) pour l’information et la documentation apportées.

 

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