Liens du sang, liens d’histoire, liens de culture
Un de nos collaborateurs s’efforce dans le dialogue qui suit de répondre à sa fille qui l’interroge sur ses origines :
– Cécile: « Dis moi papa comment est-il possible que je sois si blanche alors que ma sœur est si brune ? »
– Le père : « Cela s’explique par nos origines, par le mélange dont nous sommes issus, par la génétique. Tu as entendu parler à l’école des lois de Mendel. C’est à partir de pois de formes et de couleurs différentes qu’il a établi les lois de l’hérédité. Ce qui vaut pour les pois vaut aussi pour l’homme : dans une même famille les enfants d’un même père et d’une même mère peuvent avoir un teint, une couleur de cheveux ou une taille différents en fonction de leurs ancêtres. Tu le constates toi même sur notre propre famille. »
– Cécile : « Quels peuples se sont mélangés, métissés pour donner naissance aux Réunionnais d’aujourd’hui ? »
– Le père : « La population réunionnaise, comme tu t’en doutes, s’est constituée au fil du temps de multiples apports : européens, malgaches, africains, indiens ou chinois… Au début du peuplement de notre île, il n’y avait pas beaucoup de femmes et guère d’européennes. Les premiers colons d’origine européenne ont épousé certes des Françaises comme Françoise Châtelain mais aussi des Indo-portugaises comme Domingue Rosaire ou des Malgaches comme Marie Toute… Cet apport malgache est important en particulier au début de notre histoire. Notre famille qui est l’une des plus anciennes de l’île porte le nom de Fontaine, un nom bien français assurément, mais il suffit d’étudier l’arbre généalogique des Fontaine, notre arbre généalogique, pour nous rendre compte de l’apport malgache. »
– Cécile : « Tu es tout le temps plongé dans des recherches généalogiques. Qu’est-ce que tu as découvert ? »
– Le père : « Commençons par le premier de tous les FONTAINE de la Réunion : notre ancêtre, Jacques FONTAINE, né à Paris, arrive vers 1665 à Bourbon ; il épouse en 1671 une jeune Malgache, Marie Anne SANNE. (Tu remarqueras que ta dernière sœur porte aussi le prénom d’Anne, un clin d’œil de l’Histoire, sans doute !)
On trouve également mention dans notre arbre de Julien ROBERT, apparenté aux FONTAINE. On ne choisit pas toujours sa famille comme dit Maxime Le Forestier dans sa chanson « Etre né quelque part ». Ce n’était pas vraiment un homme recommandable. Il a fini aux galères, mais avant cela il a eu le temps d’avoir nombre d’enfants d’une autre Malgache, Perrine CAMPELLE.
Continuons !…Tu sais que ta grand-tante Lucida FONTAINE, que tu aimes bien, est née DUGAIN. Son ancêtre Gilles DUGAIN a épousé en 1687 la Malgache Cécile MOUSSE. Comme tu vois, nos liens avec les Malgaches sont multiples…
Et ce n’est pas fini : ta grand-mère maternelle est une NATIVEL, elle est descendante de Pierre NATIVEL dont l’épouse était la malgache Thérèse SOLO ! Le mari de cette même grand-mère s’appelait Roger PAYET. Il descendait d’Antoine PAYET dit La Roche, marié en 1677 à Louise SIARANE… encore une Malgache.
Dans notre arbre généalogique figure également Athanase TOUCHARD arrivé en 1671. Il épouse en 1676 la jeune Elisabeth HOVE, originaire de la grande île. Elle lui donnera 11 enfants, de quoi s’occuper vingt quatre heures sur vingt quatre…
Enfin n’oublions pas qu’un autre Français qui fait partie de nos ascendants, Georges DAMOUR, prend pour épouse une malgache nommée Marie TOUTE.
Tu vois donc combien le sang malgache coule en nos veines, même si pendant longtemps ce fait fut passé sous silence. On a fait de la Française Françoise CHATELAIN la grand-mère de tous les Réunionnais, ce qui est assurément ambitieux mais ne correspond pas tout à fait à la réalité. Certes elle a fait trois mariages, mis au monde dix enfants qui ont donné une nombreuse descendance…Mais à côté d’elle, Marie TOUTE (1), Malgache, qui a eu quinze enfants, ou Félicie VINCENTE (Indo-portugaise) qui en a eu douze peuvent également prétendre à ce titre. »
– Cécile: « … Mais nous sommes aussi d’ascendance plus complexe ! Nous avons dans nos veines du sang européen, africain ou asiatique et le sang malgache est déjà bien dilué » …
– Le père : « Tu as raison. Mais je voulais d’abord te parler de notre ascendance malgache qui a été longtemps maintenue dans le « fénoir ». Une autre fois, si tu le veux bien, nous aborderons les autres apports.
Terminons aujourd’hui avec les liens des Réunionnais et des Malgaches. il y a là toute une histoire qu’il nous faut redécouvrir : il n’y a pas eu uniquement les femmes malgaches du début du peuplement ; il y a eu aussi les dizaines de milliers d’esclaves malgaches introduits pour la mise en valeur de l’île. Il faudrait parler encore de l’histoire du marronnage, du rôle des Réunionnais dans la conquête de Madagascar au 19e siècle, de la poursuite de l’engagisme jusqu’au début du 20e siècle (introduction des Antandroys du sud de la Grande île), sans oublier la tentative avec Raphaël BABET d’implantation de Réunionnais à la SAKAY vers 1950. Tu vois, notre histoire ne se comprend pas sans l’histoire de nos relations avec Madagascar. »
– Cécile: « Tu m’as parlé surtout de liens du sang avec les Malgaches et tu as mentionné nos relations politiques pas toujours pacifiques avec l’île Rouge ! Mais qu’est-ce qui reste de la présence malgache à la Réunion ? »
– Le père : « Nos liens ne sont pas uniquement des liens du sang ; ils sont aussi d’ordre politique, économique, géographique, culturel. Sans entrer dans trop de détails – et il y aurait pourtant des choses à dire sur l’alimentation, sur la musique, sur les croyances, sur la littérature – je me contenterai de te parler de la topographie réunionnaise et de notre langue créole.
C’est parce que la traite esclavagiste a amené un grand nombre de Malgaches pour cultiver le café et la canne à sucre que notre île a gardé le souvenir d’un certain nombre d’entre eux qui ont préféré la liberté à « des jours plus cléments passés dans l’esclavage », comme le dit le poète Lacaussade. Ils ont laissé leurs noms (ici la légende rejoint l’histoire) à certains sites tels que DIMITILE, ANCHAING ou CIMENDEF. Les trois cirques de CILAOS, SALAZIE et MAFATE portent également des noms malgaches qui remontent aux premiers Marrons qui y ont trouvé refuge. Sans compter tous les noms de lieux, Bé-Massoun, Bé-Cabot, Bélouve, Bénare commençant par « Bé » ce qui signifie en malgache « grand » : exemple Bélouve : grande forêt.
De même en matière de langue, notre langue maternelle comporte bien des apports malgaches : nous mangeons des « bichiques », petits alevins qui remontent les rivières
en certaines saisons pour s’engouffrer dans nos « vouves ». Nous fabriquons des meubles en bois de « natte ». Nous admirons les beaux « mahots » qui poussent dans nos forêts. Nous chassons les « bibes », insectes aux longues pattes, hors de nos maisons. « Nous allons arracher les fataques » (2), disait souvent ton grand-père. C’était les mauvaises herbes de nos champs. Les premiers mots que j’entendais ma tante Jeanne répéter à son retour de Madagascar étaient le « sakaf » que mangeait son « zazakel » de trois ans.
Les « Mahoules » ou petits Blancs des Hauts de l’île braconnaient nos « fanjans »(3) et les revendaient en « misouk »(4) aux bourgeois de la ville il n’y a pas si longtemps. Ils portaient aussi sur leurs dos une « soubik » où ils cachaient le « faham »(5) pour la tisane du soir ou le rhum arrangé. Nos cuisines d’antan où l’on faisait cuire nos « songes »(6) possédaient un « farfar », une petite réserve à maïs, oignons… au-dessus de l’âtre. »
Sur ce : « Veloma atopko ! »
C. FONTAINE
(1) Last but not least, j’ai participé à une recherche menée par le « service de génétique » du docteur Cartault. Elle m’apprend que mon ADN mitochondrial appartenant à l’haplogroupe E1 est originaire de Madagascar.
(2) Les fataques sont des sortes de cannes fourragères qui poussent à l’état sauvage.
(3) Fougère arborescente qui une fois coupée sert de support à des orchidées…
(4) Misouk : en douce, en cachette.
(5) Faham : une orchidée odoriférante.
(6) Songe : tubercule comestible.
Il est vrai qu’il faut du recul avant d’arriver à parler des choses qui font mal. Mais j’ai aimé le côté pédagogique et affectueux de cette réponse d’un père à sa fille, possible de nos jours.
Bien des humiliations enmagasinées dans les mémoires au fil du temps, complexes de couleur de peau, de »cheveux-cognés », de tailles ou de corpulences héritées, de patronymes difficiles à porter, auraient pu être évités si ce dialogue avait été possible plus tôt.
Seules peuvent y parvenir, en dehors du temps qui passe et cicatrise les blessures, l’information, l’éducation et le dialogue.
C’est alors seulement qu’on peut voir le précieux héritage de ce mélange de races: qualités humaines, richesses des cultures et des langues, savoir-faire multiples.
Merci , C. Fontaine, pour ce texte tolérant et pacifique. H. Payet.
C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai découvert il y a bien des années les terres du Sud malgache et la région de Fort-Dauphin quittée par Marie Anne SANNE, mon aïeule, et aïeule de tant de Réunionnais aujourd’hui. Et il y a aussi de l’émotion à relier avec le passé à travers les mots qui nous sont venus de la Grande Ile. Un article très efficace pour dire une histoire complexe.
Merci Papa. Je suis très émue de ton papier sur Madagascar, sur mes ancêtres. Très émue que tu mettes en scène ce dialogue entre toi et moi. Tu es précieux papa. Merci des liens que tu tisses avec le passé, et qui expliquent tant de choses sur mon présent.Merci de l’évocation de ton papa, de mon pépé qui est resté en moi, et que tu fais surgir par l’image des fataques…merci.
ta fille Cécile.
bonjour a tous !!! merci beaucoup pour ces quelques lignes!j ai appris beaucoup de choses; ça a ravivé mes souvenirs d’ enfant. ça fait 2 ans que je fais mon arbre; les gens que vous avez cité en font partie .je suis arrivé jusqu en 1600; dommage je ne peux pas aller plus loin.j ai quitté la Réunion il y a 40ans pour venir en Metropole comme postier!!! amitiés
bonjour et merci pour ces précisions
s wickers un descendant
Bonjour je suis de la famille Fontaine,l’un des premiers colonisateurs de la Réunion et je suis fièr de mes racines et de mon histoire par vos recherches très super pour l’histoire de la Réunion . j’ai refait l’arbre généalogique de ma famille et de mes descendants. J’ai retrouvé tous les noms.
bjr , bravo pour l histoire je suis aussi une descendante de cette famille et fière de l être.
je suis aussi de cette famille et j’ai pu faire l’arbre, de l’arrivée du premier Fontaine en 1665 à mon grand père né le 22 11 1877 à st joseph. J’aimerais savoir où acheter des livres sur ce sujet? merci !
Je ne suis pas vraiment de votre avis sur Julien ROBERT, si vous examinez les minutes du procès Vauboulon dont je dispose d’une copie, il apparaît qu’il a été plutôt embarqué au nom du roi dans une affaire qui ne le concernait pas vraiment.
Il n’aurait pas rendu un prisonnier dont il avait la garde à la marine royale s’il avait été au courant d’un complot.
C’est si vrai que dans notre famille, mon père nous a martelé toute notre enfance de la nécessité de dire la vérité au risque d’y perdre la tête !
Il est quand même à l’origine de la création de la ville de Saint André.
Antoine FONTAINE est quand même le plus franc des vauriens du monde ! (Père Barrassin).
bonjour à tous et merci pour l’ interet porté à nos racines communes;
pour completer l’arbre généalogique dont vous faite parti, j’ aurais aimé quelques photos ou anecdotes ou documents pour completer ce travail de memoire colective qui nous rassemble.
voici mon mail swickers21@hotmail.com
au plaisir d’echanger
stephane wickers
geneanet