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Archive for the ‘coup de gueule’ Category


                              

Aou Bondië,

La pa ou-minm

La rantr architèk pou aranj Luniver ?

La pa ou-minm la-niabou démay

Tout sak, premié débu, té anmayé ansanm an dézord ?

La gingn sépar la tér èk la mér,

Le jour èk la nuite ?

La pa ou-minm la invant solèy ?…

(Photo Marc David)

Alorss trouv pa drol,

Si jordi mi domann aou in grin la lumièr

Srèss in mti klerté,

Pou moin konprann ousak mi lé,

Pou devine, dann fénoir, mon shemin,

Kan sréti in mti santié koudkongn,

Provik obout mi apersoi,

In Koin Trankil, in Bassin la Pé !

 

Parss la, toudbon, zafér lé sérië ;

Ogard ou-minm laba Manhattan :

D’anlèr le sièl in lavalass defë

La likid demoun par milié.

Par koté Jérusalem, linsandi lé pankor paré pou tinn ;

Déryér la montagn Kaboul nüaj la guér l’apo antassé

Minm si na pü tro gran shoz pou krazé.

(Photo Marc David)

Shak koté i prétan,

Sa in batay rant le Bien èk le Mal :

Le Bien lé dan zot kan, par lot koté le Mal.

Shak koté i avanss san tranblé :

Zot lé sür-é-sertin, azot zanfan Bondië,

Anfass la rass le diab ;

Shak koté i doute pa : Bondië lé avèk zot !

Kër klér, pou Bondië, zot lé paré pou tué,

Pou Bondië, kër klér, zot lé paré pou mor.

 

Bondië ! Ou i antann amoin là ?

Dieu, Allah, Yahweh, Vishnou,

Aou minm mi koz !

Ou té pa pou la pé, ou ? Ou té pa pou la vi ?…

Bann-la le fou, la tête la bloké !

Ou va lèss azot ankor lontan anserv out nom

Pou anbrouy léspri demoun ?

Pou fé pète la guèr ?

Pou fé gingn la mor ?

 

Di in mo, fé in jèss !…

Amont anou out shemin galizé,

Amont anou koman i fo fèr,

Pou k’nu gingn viv

An frér…                                                                                    Robert Gauvin.

 

 

 

 

 

A propos du poème :          « BONDIË LA PA OU LOTËR ? »

 

 

C’est le titre du poème final du recueil La Rényon dann kër de Robert Gauvin, que nous vous invitons à relire dans le désordre du monde d’aujourd’ui.

En effet, il nous faut bien constater que ni les armes, ni la violence, ni l’exclusion de l’autre – celui qui de soi diffère par son identité ou ses croyances –, ni les velléités d’impérialisme et la volonté de puissance ne se sont tues depuis la parution de ce poème en 2007 après la tragédie du 11 septembre et l’effondrement des tours de Manhattan. Guerres, exécutions, mutilations ou exils accablent toujours les hommes, hélas.

 

Alors, quand le monde s’ébranle, on voudrait retrouver le chemin de l’humanité. Mais sur qui compter ? Qui appeler au secours ? De qui attendre raison, soulagement ou compassion pour les malheurs du temps ?

 

C’est la grande question posée par ce poème en vers libres, avec les mots et les images qui sont les armes d’un poète dont la plume audacieuse semble osciller entre apostrophe, humilité ou colère, supplique, scepticisme ou accusation, voire mise en demeure de Dieu. Ce qu’on peut lire à bien des signes du texte, parmi lesquels la récurrence des formes interrogatives présentes dès le titre : Bondië, la p’aou lotër ?

 

Si l’apostrophe à ce Bondië peut paraître vive et caustique, dès même les premiers vers, qui font écho à la Génèse, peut-être est-ce en vertu de la toute puissance de ce dieu, considéré tel l’architecte de l’univers et cependant impuissant au regard des fléaux qui affligent le monde actuel. De quoi susciter une angoisse métaphysique, exaspérée chez le poète, par la pensée que, dans ce monde, on attise la haine de l’autre et la violence des conflits au nom même de Dieu, lequel devient alors la mesure du « Bien » et du « Mal », dans le combat qui oppose les « zanfan Bondiëu » à « la rass le diab ». Voilà qui fait enfler la voix de l’écrivain qui en vient à interpeller nommément « Bondiëu, DIEU, ALLAH, YAHWEH, VISHNOU ». Voilà aussi qui donne une portée nouvelle à la question de la responsabilité et de la toute puissance de Dieu, quand cette dernière passe par les mains des hommes qui prétendent agir en son nom : « Ou va less azot ankor lontan ansèrv out nom ? »

 

Sur ce point cependant, le poème ne lève pas les ambiguités. Mettre Dieu sur la sellette, le mettre en demeure de répondre de la folie des hommes qui le trahissent et lui refuser toute parole en suspendant le verbe divin, c’est renvoyer à un non-dit du texte. Poser la question Bondië, la p’aou lotër ?– le responsable – c’est à la fois laisser penser qu’il pourrait l’être mais aussi, peut-être, ne pas l’être. Alors, si « la p’aou loter », Bondië, qui donc le serait ? Serait-ce nous, les hommes, dont ces « zot », ceux-là qui sont évoqués dans le poème, tous emportés par la folie et l’inconscience ? A défaut de réponse, une seule voie s’impose esquissée par la voix même du poète, sur un ton plus humble et suppliant : l’espérance d’un monde plus fraternel, dans lequel « viv an frèr ».

 

Finalement, ce poème, qui donne à lire beaucoup de questions sans réponses, laisse à chacun une part de liberté pour interpréter les mots comme pièce à charge ou à décharge contre un Dieu dont le texte souligne ou le mutisme ou l’indifférence, ou l’impuissance, ou les manipulations qu’en font les hommes. Ce qui laisse ouverte la porte à la question même de son essence, voire de son existence.

 

Il y a donc à une belle pluralité de sens qui peut toucher ou heurter selon la force, la faiblesse ou l’absence des convictions religieuses de chaque lecteur. Peut-être, peut-il affecter certains d’entre nous, Réunionnais, de manière plus particulière par son caractère iconoclaste, ou par la force du dialogue intime noué avec Dieu, au vu des relations que nombre de Réunionnais entretiennent avec le Bondië, ou tel des dieux ou saints vénérés dans notre île.

Au-delà des sens ouverts par ce poème, il convient de rappeler qu’au terme de l’œuvre, ce texte met un point final à la section « Kan la kolér i lèv », dans laquelle Robert Gauvin interroge les maux d’une société réunionnaise aux miroirs trompeurs. Ainsi, entre l’intime et les manières d’être et de vivre d’une société créole affectée par la modernité, ce recueil s’inscrit-il dans une dimension plus large en reliant notre île au monde.

 

Marie-Claude DAVID FONTAINE

 

 

SEIGNEUR DIEU, QUI DONC EST RESPONSABLE ?…(1)

 

Dieu,

N’es-tu pas celui

Qui  s’est fait architecte

Pour mettre de l’ordre dans l’univers ?

N’es-tu pas celui qui a réussi à démêler

Le chaos originel ?

Celui qui a séparé la terre de la mer,

Le jour de la nuit ?

N’es-tu pas celui qui a fait naître le soleil ?…

 

Alors, ne t’étonne pas,

Si aujourd’hui je te demande un rien de lumière

– Ne serait-ce qu’un soupçon de clarté –

Qui me permette de me repérer,

De deviner dans l’obscurité mon chemin

– Même si ce n’était qu’un sentier coups-de-cognes- (2)

Pourvu  que j’aperçoive au loin

Un Coin Tranquille, un Bassin La Paix ! (3)

 

Car, à la vérité, la situation est grave :

Regarde toi-même vers Manhattan :

Du haut du ciel, un déluge  de feu

A liquidé des vies humaines par milliers.

Proche de Jérusalem l’incendie n’est pas près de s’éteindre,

Derrière les montagnes de Kaboul

Les nuages de guerre continuent à s’amasser,

Même s’il ne reste plus grand’ chose à écraser.

 

Chaque camp prétend

Qu’il s’agit d’une lutte entre le Bien et le Mal.

De ce côté-ci le Bien, de l’autre le Mal.

Des deux côtés on avance sans trembler :

Tous sont sûrs et certains d’être les enfants de Dieu

Face à l’engeance du Mal.

Le doute n’effleure aucun des deux camps : Dieu est avec eux !

Le cœur serein, pour Dieu, ils sont prêts à tuer,

Pour Dieu, le cœur serein, ils sont prêts à mourir.

 

Seigneur Dieu, m’entends-tu ?

DIEU, ALLAH, YAWEH, VISHNOU…

C’est à toi que je parle !

Ne voulais–tu pas la paix ?

Ne défendais-tu pas la vie ?

Ces gens ont perdu la raison!

Ils sont devenus fous furieux !…

Les laisseras-tu encore longtemps se servir de ton nom

Pour  semer la confusion dans l’esprit des Hommes,

Pour faire éclater la guerre ?

Pour faire triompher la mort ?

 

Dis un mot ! Fais un geste ! Indique nous le droit chemin !

Montre-nous ce qu’il faut faire,

Pour que nous puissions vivre

En frères !

 

                                                                                           Traduction DPR974.

  • Le texte et le titre en créole datent de 2007, une époque où l’auteur était sous le coup de l’émotion et de l’indignation suscitées par les attentats du 11 septembre. La traduction en français (faite en 2019) témoigne de son évolution, même si la situation mondiale ne s’est guère améliorée…
  • – Sentier coups-de-cognes : sentier parsemé de cailloux auxquels se heurtent les pieds nus.
  •  Lieux-dits de La Réunion aux noms évocateurs.

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( bis repetita…)

 

Dans un pays du bout du monde vivait un homme si pauvre qu’il n’avait ni revenu, ni toit pour s’abriter, ni même de repas assuré chaque jour. Abandonné de tous, fatigué des démarches qui n’en finissaient plus, des réponses évasives de l’administration, des promesses non tenues des décideurs, il n’eut d’autre choix que de chercher un petit coin de terre  où s’installer.

 

Au bord d’une ravine,  au milieu des aloès et des buissons de jambrosades, il dégagea une parcelle que personne ne revendiquait pour y construire son boucan et un lopin de terre où planter des patates douces, des brèdes, un pied de piment… deux-trois animaux, cabris ou volaille, lui permettaient  d’améliorer son ordinaire…l’eau de la rivière lui épargnait les factures de Véolia ou de la Cise … Quelques bougies lui évitaient d’avoir recours aux services tarifés de Bourbon-lumière.  C’était quasiment le paradis…

 

 

Loin de lui l’idée de s’enrichir, loin de lui l’intention d’enfreindre un règlement quelconque, loin de lui la volonté de nuire à qui que ce fût. Il vivait en marge de la société et pensait qu’on l’avait oublié. Cela dura nombre d’années…

AVANT

Mais c’était compter sans la loi qui ne dort que d’un œil et qui possède une mémoire d’éléphant. Revêtue de son uniforme, la LOI (1) était venue le voir, avait tenu un discours plein de mots ronflants auxquels il ne comprenait goutte. Il avait cependant senti comme une menace : la loi avait décrété que cette zone où notre homme tentait de survivre, était un espace naturel à protéger et qu’il fallait qu’il dégage, qu’il décampe, qu’il fasse place nette… Mais pour aller où Bon Dieu Seigneur ? !

C’était à n’y rien comprendre pour le vieil homme, qui en lui-même pensait qu’un « gramoune » (2)  de son âge, qui plus est à l’approche de la saison cyclonique, pouvait garder sa petite case, le matelas et les maigres ustensiles qu’il possédait : il avait toujours entendu dire que « dann péi déor konm la France,  i jète pa demoun dann shemin  kan la-fré i poik, kan la nèj i tonm ». (3)

Mais la justice  s’était prononcée, le Gouverneur (ou son successeur) avait ordonné l’exécution du jugement : force devait rester à la loi  et elle le resta! On est  dans un état de droit, que diable !

Le très-peu (4)  que le  « pov boug » possédait  fut sorti de la case, éparpillé sur le sol avant que la masure ne fût démantibulée : toute une vie, toute une humble intimité fanée aux quatre vents !

 

APRÈS

 

 L’homme était désemparé : qu’allait-il devenir ? Il ne lui restait plus que ses yeux pour pleurer…

 

Ce conte pourrait avoir une autre fin : à toi lecteur de l’imaginer !…

 

Huguette PAYET

 Notes :

  • Dans son patois, fort sympathique au demeurant, le mot la LOI désigne non seulement la loi = Lex (en latin) mais également celui qui la représente : le gendarme, le policier…
  • « Gramoune » : personne âgée.
  • « Dans des pays lointains comme la France, on ne doit pas jeter des gens à la rue, quand sévissent le froid et la neige. »
  • « le maigre trésor que le pauvre homme » possédait…

 

Post-Scriptum :Ce conte n’est rien moins qu’un conte de fées (d’ailleurs toute ressemblance avec des faits s’étant déroulés récemment dans une île du Sud-Ouest de l’océan Indien ne serait absolument pas fortuite). Il soulève un certain nombre de problèmes : il faut certes que la nature soit protégée, que la justice suive son cours, mais elle ne saurait faire fi de la moindre humanité. S’est-on posé la question du devenir de cet homme âgé, de son relogement, de ses moyens de subsistance ?

En outre si les autorités procèdent avec détermination contre cet homme en détruisant son habitation, combien de constructions bien plus riches sont construites dans l’illégalité ? A-t-on voulu faire seulement un exemple ou est-on décidé dans ce pays du bout du monde à utiliser la voie juridique et la manière forte contre les milliers de constructions illégales et contre les permis de complaisance ?

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La Cour de Londres vient de rendre son verdict suite à l’action portée devant elle par les Chagossiens. C’est un NON sans nuance opposé à la revendication chagossienne de retourner vivre aux Chagos, leur terre natale, d’où ils ont été déportés il y a un demi-siècle.

le pavillon des Chagos

 

Un bref retour en arrière n’est pas inutile pour comprendre l’origine de ce procès. En juin 2016, la Cour Suprême britannique a reconnu le droit des Chagossiens de faire appel si la Grande-Bretagne ne menait pas à bien les négociations promises par Theresa  May à l’ONU. Or quelques mois plus tard, le 16 novembre 2016, la même Theresa May a radicalement fermé la porte des Chagos aux Chagossiens. Elle a renouvelé pour 20 ans le bail consenti aux USA sans y inclure la moindre clause de droit au retour des Chagossiens.

A partir de cette trahison, Olivier Bancoult et les Chagossiens étaient en droit de repartir à l’assaut de la Justice britannique, et c’est ce qu’ils ont fait avec leur courage habituel, devant la Cour de Londres.

Si le jugement de cette Cour ne constitue pas à vrai dire une grande surprise, connaissant la mauvaise foi régulièrement mise en œuvre par la partie britannique, le cynisme dont se nourrit le jugement de mercredi dernier atteint des sommets. Les magistrats soutiennent en effet dans  leurs attendus (comme le rapporte « Le Quotidien de la Réunion » du 15 février 2019) que « la décision d’interdire aux membres de la communauté chagossienne de retourner dans l’archipel des Chaos pour des raisons de sécurité ne peut être jugée par une cour de justice » ! Autrement dit, la justice britannique n’a pas à intervenir dans une décision politique qui relève de la souveraineté britannique! C’est donc exclusivement le gouvernement britannique qui peut intervenir ! Bel échantillon de démocratie dans un pays qui se targue d’en être un modèle.

L’argumentaire de la Cour de Londres est d’une pitoyable fragilité. Il suffit de remonter toute la saga des procès des années 2000 à 2008, où chaque séquence était ponctuée par un jugement d’une Cour de Justice. A commencer par le jugement historique du 3 novembre 2000, où c’était bien la Haute Cour de Londres qui avait solennellement reconnu que les Chagossiens étaient  des autochtones des îles Chagos et qu’à ce titre ils pouvaient désormais retourner sur leurs terres.

 

Olivier Bancoult : « Nous ne baisserons pas les bras »

 

 

Manifestation des Chagossiens devant l’ambassade de Grande-Bretagne à Port-Louis.

 

Donc, comme l’a dit Olivier Bancoult, « nos droits sont toujours bafoués ». Déçu mais pas découragé, il affirme ce qu’il a toujours dit : « Nous ne baisserons pas les bras ». Lui qui a vécu l’exil à l’âge de quatre ans, lui qui a mené une lutte très dure, semée d’embuches, lui qui a vu disparaître des êtres chers qui n’ont pas atteint la terre promise, il est certain qu’il ne baissera pas les bras !

La décision de faire appel est d’ores et déjà prise. L’heure n’est à coup sûr pas à l’abattement. La lutte continue…  Qui peut dire par exemple, pour le procès en appel, si Theresa May sera toujours en place, solide à son poste !?

Un autre élément important va intervenir très prochainement dans le puzzle chagossien. Il s’agit de la Cour internationale de Justice de La Haye, qui va livrer son avis très attendu avant la fin de ce mois. Même si cet avis n’a pas le statut de ‘jugement’, même s’il n’est donc pas ‘contraignant’, il est certain qu’il aura un impact sur le déroulé des faits et gestes à venir, de la part des différents acteurs de ce dossier appelé à avoir un grand retentissement international.

Pour le Comité Solidarité Chagos La Réunion

Georges Gauvin, président

Alain Dreneau, secrétaire

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Il y a quelque temps de cela, passait sur France-Inter, à une heure très matinale,l’émission de Fabrice Drouelle intitulée : « Affaires sensibles ».Ce jour-là il était question des enfants réunionnais déracinés de leur île de l’Océan Indien à partir des années 1960 et transplantés dans le département de la Creuse (1).

Ce furent de 1963 à 1982, plus de 2150 enfants réunionnais, d’origine modeste, orphelins ou non, qui furent ainsi envoyés dans de nombreux départements français qui souffraient du dépeuplement de leurs campagnes (Lozère, Corrèze, Tarn, Gers, Pyrénées orientales etc.) alors que leur île connaissait chômage et misère, avec une population jeune qui s’accroissait rapidement. C’est en Creuse que beaucoup d’entre eux ont fini par atterrir, c’est pourquoi l’on parle la plupart du temps des Déracinés de la Creuse.
Pour arriver à ses fins, l’administration se servait souvent de la ruse pour convaincre parents ou grands-parents analphabètes. On leur faisait miroiter pour les enfants la perspective de la réussite, d’études donnant accès à de « bons métiers ». Il suffisait que les parents signent un formulaire rempli par d’autres… Mais ces formulaires, ils n’arrivaient pas à les déchiffrer et souvent, à la place des signatures, figurent une croix et des empreintes digitales…On donnait aussi aux parents l’assurance verbale que les enfants pourraient rentrer au pays pour les vacances ce qui, à notre connaissance, ne s’est jamais produit.

Sur ces 2150 enfants, un certain nombre s’est tiré d’affaire…plus ou moins bien…Mais d’après les recherches faites récemment il a été estimé qu’un quart, voire près d’un tiers des enfants ont connu l’échec, les mauvais traitements et de graves souffrances psychologiques : dépressions et suicides n’ont pas concerné uniquement quelques cas isolés ; il suffit de voir encore, à l’heure actuelle, les visages marqués par la tristesse de certains enfants de la Creuse devenus adultes, pour se rendre compte de tout ce qu’ils ont enduré.

Tristes Tropiques de la Creuse

L’émission de France-Inter «  Affaires sensibles » concernant les enfants de la Creuse est un document essentiel pour qui veut comprendre cette triste affaire. C’est pourquoi nous recommandons à nos lecteurs de s’y reporter. Mais il existe bien d’autres moyens à la disposition de ceux qui veulent s’informer : livres, émissions radio ou télé, articles de  journaux, rapport officiel qu’on pourra aisément trouver sur internet (2). Il est plus que temps que tous les Réunionnais connaissent la vérité sur ces pages douloureuses de notre histoire.

Sur le même sujet l’émission faite en collaboration par France 3-Nouvelle Aquitaine et Réunion Première intitulée : « Loin, si loin… Les Réunionnais de la Creuse »commence par une fiction traitant de cette affaire ; un débat s’engage ensuite avec la participation d’anciens enfants transplantés à Guéret. Ce débat, particulièrement émouvant, est révélateur de la manière dont on a arraché des enfants à leur île, à  leur famille, à leur culture pour les transplanter à 10.000 km de chez eux. L’un des cas les plus intéressants est celui de Mme Andanson. Nous apprenons qu’elle était d’une fratrie de 6 enfants qui furent transbahutés dans la Creuse ; elle n’avait à l’époque que 3 ans !… Les frères et soeurs ont été rapidement séparés les uns des autres : tout a été fait comme si le passé des enfants, leur langue, leur culture et surtout leurs parents, leurs relations entre frères et sœurs ne comptaient pour rien. On a poussé le luxe dans la négation, dans l’effacement de leur histoire jusqu’à changer l’état-civil de cette petite fille.  Elle s’appelait au départ Marie – Germaine Périgone, était née à La Réunion au Bois de Nèfles Saint-Paul. On lui inventera un autre nom, un autre prénom, un autre lieu de naissance. Elle s’appellera dorénavant Valérie Andanson. Son lieu de naissance, attribué à posteriori : La Brionne, un village de la Creuse. Comment expliquer cette volonté de tout cacher, de faire table rase de tout un passé ?

Sa prime enfance dans la Creuse a été marquée par la violence de la famille d’accueil dans laquelle elle a été placée. Par la suite elle sera adoptée par une famille aimante – elle le dit elle-même – qui l’aidera à se construire normalement. Ce fut sa grande chance, alors qu’un de ses frères, marqué par l’exil, s’est suicidé à l’âge de 32 ans.

Devenue une jeune fille de seize ans, elle découvrira par hasard, que ceux qu’elle tenait pour ses parents par le sang, sont en fait ses parents adoptifs. Elle les aime assurément, leur est reconnaissante de ce qu’ils ont fait pour elle. Mais qu’on lui ait menti,  caché tout ce temps la vérité sur ses origines ; C’est cela qui pour elle, est inadmissible, intolérable. Était-ce sur les recommandations des autorités ? C’est possible, c’est probable (3)

Selon un autre intervenant dans le débat, Mr Coussy, journaliste qui a étudié cette affaire, aucun des enfants ainsi transplantés n’est sorti indemne de l’expérience. Beaucoup d’entre eux ont souffert de solitude, parfois de racisme ou d’exploitation dans les fermes et encore aujourd’hui, après plus d’un demi-siècle ils continuent à vivre avec le traumatisme causé par cette transplantation.

 

une enfance volée (image livre Martial)

 

Quels sont les responsables de cette situation ? Différentes sources considèrent qu’une grande part de responsabilité incombe à Mr Michel Debré qui fut des années durant premier ministre sous De Gaulle, responsable de différents ministères ensuite, avant de devenir député de La Réunion. Il exerça pendant de nombreuses années un pouvoir sans partage…Quel est le Préfet, quel est l’homme de droite qui aurait pu réellement lui résister ? (4)Quel est le fonctionnaire qui ne craignait pas l’exil depuis l’application  aux DOM de l’ordonnance d’octobre 1960 qui permettait au Préfet d’exiler de La Réunion tout fonctionnaire dont le comportement était de « nature à troubler l’ordre public »? Le Préfet n’était d’ailleurs aucunement tenu pour cela de justifier sa décision.

Dans la Réunion post-coloniale d’alors, qui sentait encore à plein nez la colonie, Mr Debré était tout puissant. Mais, dira-t-on, peut-être n’était–il pas au courant de tout ce qui se passait ? Peut-être ignorait-il tout de la situation des enfants réunionnais de la Creuse ?…Des témoins bien placés affirment qu’il était parfaitement au courant de la situation et des souffrances des enfants réunionnais transplantés. Ainsi le responsable de la maison de la Creuse, d’origine réunionnaise,  qui avait fait connaître son  point de vue sur la situation des enfants maltraités, exploités, mal en point psychologiquement, fut promptement limogé.

 

la une de Jablonka

 

Pour l’historien Ivan Jablonka (5)« Debré a traité l’île comme une colonie. »  Il parle de lui comme de l’homme qui « joua un rôle décisif… et défendit (cette opération de transplantation) contre vents et marées » (Cf. Wikipédia : Enfants de la Creuse).

Il est indispensable que la vérité éclate au grand jour, que les responsabilités soient clairement établies. Toutes les conséquences doivent être tirées concernant ceux qui ont tenu les ficelles. Il faut en outre que les torts envers les victimes soient officiellement reconnus et réparés.

 

Dpr974.

 

Notes

  1. À retrouver sur France-Inter sous le titre : « Les Réunionnais de la Creuse : Le Grand Préfet et les Déracinés », émission du 30 Août 2018.
  2. – « Loin…si loin… Les Réunionnais de la Creuse ». Une production France 3. Nouvelle – Aquitaine et Réunion Première. Débat sur You tube Guéret 21 juin 2017.
  3. – Étude de la transplantation de mineurs de La Réunion en France hexagonale (1962-1984). Rapport à Madame la Ministre des Outre-mer.–Philippe Vitale, Gilles Ascaride, Corinne Spagnoli : Tristes Tropiques de la Creuse. (Éditions K’A).
  • Yvan Jablonka : Enfants en exil, transfert de pupilles réunionnais en Métropole (1963-1982). Le Seuil.
  • Jean-Jacques Martial : « Une enfance volée » (Éditions 4 Chemins 2003).
  • 3) Mme Marie-Michèle Bourrat, psychiatre, qui participait au débat rappelle le secret que l’on devait autrefois garder à tout prix face aux enfants adoptés et défend la nécessité de dire la vérité : « On ne peut pas tout dire. Mais ce que l’on dit doit toujours être vrai ! ».
  • 4) Rares sont les hommes politiques de droite qui ont tenu tête à Michel Debré. À notre connaissance il en est deux qui l’ont fait : Pierre Lagourgue qui s’est présenté contre lui lors des élections législatives de 1981 et Mr Roger Payet, ancien président du Conseil général qui s’est prononcé officiellement contre l’Ordonnance du 15 octobre 1960, œuvre de Michel Debré, qui permettait d’exiler des départements d’Outre-mer tout fonctionnaire dont le comportement était de nature à troubler l’ordre public. C’est ainsi qu’ont été exilés 13 fonctionnaires de la Réunion.

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Depuis une cinquantaine d’années les Chagossiens se battent pour avoir le droit de retrouver leur terre natale dont ils ont été exilés par les Anglais, par la force et par la ruse.

Ce faisant les Anglais allaient au-devant de la volonté des Américains d’installer dans l’Océan Indien la plus importante base américaine à l’étranger…

 

Base militaire américaine de Diégo Garcia.

Les Chagossiens sont à plusieurs reprises intervenus auprès des autorités  judiciaires  anglaises et européennes pour faire valoir leur bon droit. Maintenant, avec l’aide du gouvernement mauricien, ils ont fait appel à la Cour Internationale de Justice de La Haye.
Nous vous présentons ci-dessous un témoignage, particulièrement émouvant, celui de Liseby Élysée, une Chagossienne qui nous parle de sa déportation, de son exil, de ses souffrances et de sa volonté de retrouver le pays où elle est née.

 

Une chagossienne  devant la Cour Internationale de Justice de La Haye

 

Voici son témoignage (traduction en français du Comité de Solidarité Chagos-Réunion) :

Je m’appelle Liseby Élysée. Je suis née le 24 juillet 1953 sur l’île de Peros Banhos. Mon père est des six îles et ma mère de Peros Banhos. Toute ma famille est des Chagos. Je fais partie de la délégation mauricienne et je veux raconter toutes mes souffrances depuis le jour où j’ai été déracinée de mon île-Paradis. Je suis heureuse que la Cour Internationale de Justice nous entende aujourd’hui. J’ai bon espoir de pouvoir retourner dans l’île où je suis née.

Aux Chagos nous avions tous notre travail, notre famille, notre culture. Nous avions toujours de la nourriture fraîche à manger ; les bateaux venant de Maurice nous apportaient les marchandises dont nous avions besoin. Outre la nourriture nous avions tout ce qu’il nous fallait. Nous ne manquions de rien. Aux Chagos  nous vivions bien, mais un jour l’administrateur nous a dit que nous devions quitter notre île, abandonner nos maisons et nous en aller.

Tout le monde était mécontent. Nous étions tous en colère qu’on nous dise qu’il fallait que nous partions. Mais nous n’avions pas le choix. Ils ne nous ont donné aucune explication – Jusqu’aujourd’hui nous ne savons pas réellement pourquoi nous avons dû quitter notre île – Par la suite les bateaux qui transportaient des vivres ne sont plus venus. Nous n’avions plus rien à manger, plus de médicaments, plus rien du tout. Nous avons vraiment connu la misère.

Un jour est arrivé un bateau qui s’appelait le Nordvear.  L’administrateur nous a dit que nous devions embarquer sans prendre rien d’autre que quelques vêtements. Les gens étaient très en colère. De plus tout se passait dans le noir. On nous a fait, en effet, monter à bord dans la nuit, pour que nous ne puissions pas revoir notre île. On nous a embarqués dans les cales : nous étions comme des animaux, des esclaves sur ce bateau. Les conditions de voyage étaient vraiment mauvaises. Sur le bateau certains mourraient de chagrin.

En ce temps-là j’étais enceinte de quatre mois et le bateau a mis quatre jours pour arriver à Maurice ; mon enfant est né et il est mort sur ce bateau. Pourquoi mon enfant est-il mort ? Parce que sur ce bateau j’étais vraiment traumatisée ; j’étais très tracassée, bouleversée. Voilà pourquoi mon enfant est mort.

Mais je persiste à dire que nous ne devons pas perdre espoir. Nous devons penser au jour où nous pourrons rentrer dans notre pays natal. Mon cœur souffre car il reste attaché au pays où je suis née. Personne ne devrait être ainsi enlevé du pays où il est né et traité comme on le fait  pour des animaux. Mon cœur est brisé et je maintiens qu’il faut que justice se fasse et que je retourne au pays où je suis née.

Paysage des îles Chagos.

Ne pensez-vous pas que le cœur d’un être humain puisse être brisé quand on l’arrache à sa terre natale, comme si c’était un animal ? Je suis très triste de ne pas savoir pourquoi j’ai été éloignée de mon île (…) Ils nous ont déportés en employant la force et jour après jour mes larmes continuent de couler. Je ne cesse de penser qu’il faut que je rentre dans mon île. Je me dis que je dois retourner dans l’île où je suis née et c’est là-bas que je dois mourir, là où mes grands parents sont enterrés, là où j’ai vu le jour. Je dois retourner dans mon île natale.

Ce témoignage, enregistré au départ en chagossien par Liseby Élysée, a été traduit en anglais  et diffusé devant la Cour Internationale de Justice de La Haye. Pour entendre ce témoignage oral vous pouvez cliquer sur le site du journal mauricien l’EXPRESS . Et suivre en particulier: Chagos: le bouleversant récit de Liseby Élysée.(texte original en chagossien et traduction en anglais).

https://www.lexpress.mu/article/338322/chagos-coup-denvoi-cour-internationale-justice-haye

Se reporter également à l’article de DPR974 suivant :  

 Péi natal de charlesia

DPR974

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C’est en 1984 que furent mis en place les CCEE (Comité de la Culture, de l’Éducation et de l’Environnement) des Régions d’Outre-mer afin de tenir compte de nos particularités. En tant que premier Président de cette institution à La Réunion, je voudrais évoquer, en cette période du 20 décembre, un souvenir qui fera prendre conscience du temps écoulé et du chemin parcouru. Il a trait à notre histoire et plus particulièrement à l’esclavage dans notre île.

 

À l’époque, sur ce sujet de l’esclavage, deux camps s’affrontaient sans merci :

L’un était opposé à ce que l’on aborde cette période de notre histoire. Le sujet était tabou : l’on se refusait à en parler et il n’était surtout pas question de commémorer l’abolition de l’esclavage. Pourquoi, disaient les partisans de cette thèse, remuer les cendres du passé ? Ils avançaient comme argument que les gens de couleur, eux-mêmes, ne s’intéressaient pas à cela. Parlez leur plutôt – nous disaient-ils – de sport, d’arts martiaux ou de reggae… Mais à quoi bon ressasser ces histoires d’un passé révolu ? Ne voulait-on pas humilier les descendants d’esclaves en leur rappelant leurs origines serviles ? Ils allaient jusqu’à reprocher aux membres du camp opposé, désireux de faire sortir le passé du « fénoir », de vouloir dresser les Réunionnais, les uns contre les autres, au risque de mettre l’île à feu et à sang…

La meilleure attitude à l’égard de cette période devait être l’oubli. Cette idée était défendue par Auguste Legros, le Président du Conseil Général d’alors…Et il s’était ingénié à la mettre en pratique ! Il avait pour ce faire organisé le jumelage de Saint-Denis avec la ville de Metz en Lorraine. Metz organisant la fête des mirabelles, Saint-Denis se devait d’organiser une fête analogue, et il avait décidé que Saint-Denis fêterait les letchis. La récolte des letchis tombait justement aux alentours du 20 décembre, date de l’abolition de l’esclavage. C’était l’occasion rêvée, en y mettant quelques moyens, d’étouffer le souvenir de l’esclavage et de son abolition sous une avalanche de ballots de letchis.

Face au camp des amnésiques volontaires, les partis de gauche.…Lors de la fête du journal Témoignages, par exemple, chaque année en décembre, l’accent était mis sur l’histoire de l’île, sur l’abolition de l’esclavage, et l’on faisait redécouvrir le maloya.

 

C’est dans ce contexte que le CCEE était donc créé, composé pour l’essentiel d’acteurs issus du domaine culturel et éducatif. Il défendait, dans sa majorité, l’idée selon laquelle il était impossible, à nous Réunionnais, de comprendre notre présent et d’affronter l’avenir si nous ne savions pas d’où nous venions et qui nous étions. Pour le CCEE, les Réunionnais étaient capables de regarder leur passé en face et de l’assumer : il était indigne d’êtres humains, de vivre à l’étroit dans le présent, coincés entre la honte d’un passé refoulé et la crainte de l’avenir.

Le CCEE se met donc au travail. Parmi les questions qu’il veut traiter figure en priorité la connaissance de l’esclavage et de son abolition. Le Conseil est également convaincu de la nécessité d’entreprendre quelque chose de concret, qui marque les esprits. Pourquoi ne pas organiser une exposition sur cette période de notre histoire et publier un livre à l’intention des enseignants pour faire le point sur cette question ? Par bonheur nous pouvons compter sur un historien dont la compétence et le souci d’objectivité sont connus de tous, Mr Jean-Marie Desport. Grâce à beaucoup de diplomatie les crédits pour l’exposition sont votés par le Conseil Régional et notre historien planche sur le sujet.

Sarda-Garriga annonce aux Noirs de La Réunion leur libération. (Cf. Livre de Jean-Marie Desport)

 

D’autres problèmes se posent par la suite : il nous faut obtenir un lieu assez vaste pour y organiser l’exposition. L’idéal serait le Théâtre de Champ fleuri, son grand hall d’entrée et la galerie du premier étage. Or ce théâtre est propriété du Conseil Général dont le Président est justement l’instigateur de la fête des letchis… Le sens des relations publiques de notre Chargée de mission, Jacqueline Farreyrol fait merveille et le Directeur du théâtre nous ouvre ses portes. Ceci a lieu en 1988.

Le sérieux du travail de l’historien et le décor sur lequel on n’a pas lésiné font l’unanimité ou presque. Affirmer en effet que la réalisation de l’exposition soit le vœu le plus cher des deux Présidents des collectivités locales serait sans doute exagéré : le jour de l’inauguration tous deux sont – malheureusement – retenus ailleurs par d’autres obligations et délèguent un élu culturel pour les représenter.

 

Une anecdote révélatrice, l’histoire du fusil de Mussard, le chasseur de noirs marrons :

Une fois franchies les différentes étapes du financement et du lieu où installer l’expo, nous n’étions pas encore arrivés au bout de nos peines : un épisode croustillant montrera les réticences qui pouvaient exister chez les tenants de l’oubli : il concerne le fusil de François Mussard, le célèbre chasseur de noirs marrons. Ce fusil, rongé par les termites, était en 1988 de peu d’efficacité contre d’éventuels ennemis. Il était en outre d’une valeur marchande fort réduite et n’avait qu’une portée… symbolique. Nous voulions cependant l’avoir et l’exposer, car c’était un « pièce à conviction » de l’histoire réunionnaise. À notre demande il fut répondu par la Directrice du Musée Léon Dierx, où le fusil était entreposé dans quelque recoin obscur, que ce serait peut-être envisageable… Mais plus le temps passait et plus les réponses devenaient évasives. En même temps les conditions pour le prêt devenaient plus nombreuses ; il nous fallut répondre aux conditions distillées au fur et à mesure par la Directrice du Musée Léon Dierx : il fallait tout d’abord une assurance que nous obtînmes d’un assureur étonné, mais complaisant. Madame la Directrice exigea une vitrine, que nous trouvâmes – grâce à un commerçant de Saint-Denis. La dite vitrine devait fermer à clé…C’était la moindre des choses : elle ferma à clé.

Cinq minutes avant l’inauguration de l’exposition le fusil n’était pas arrivé sur les lieux de l’exposition. La Directrice du musée Léon Dierx, contactée par nos soins, réclama un gardiennage particulier pour le fusil. Et elle nous asséna le coup de grâce en évoquant le fait qu’en ce jour inaugural, avec tout ce concours de monde, le fusil ne risquait rien, mais lorsqu’elle reprendrait le fusil au bout d’un mois d’exposition et qu’elle repartirait avec l’arme, ne risquerait-elle pas une attaque à main armée ?…Que répondre à cela ? Mme la Directrice agissait-elle en son nom propre ou ne faisait-elle que répondre avec zèle aux vœux formulés ou supposés de ses employeurs?

L’historien me demanda alors ce qu’il convenait de faire… Je lui suggérai de placer à l’intérieur de la vitrine une grande feuille de papier blanc de 50 cm de large sur plus d’1 mètre de long qu’on trouverait chez le pâtissier chinois du coin. Il fallait dessiner là-dessus le plus fidèlement possible, un fusil du type de celui de Mussard. Il devrait ensuite placer une pancarte sur la vitrine avec l’inscription suivante : « Ici devait se trouver le fusil de François Mussard, le célèbre chasseur de noirs marrons. Ce fusil nous a été aimablement refusé par Mme la Directrice du Musée Léon Dierx ». Ce qui fut dit, fut fait. Le public venu en masse s’indigna, ce fut pain bénit pour les journalistes qui s’en emparèrent et l’affaire fit scandale : Comment pouvait-on refuser aux Réunionnais le droit de voir ce fusil, leur fusil ?

Peu de jours après je recevais un appel téléphonique du Conseil Général. Un responsable me demandait si je tenais toujours à exposer le fusil de Mussard. Il faut dire qu’entre temps, le Conseil Général avait changé de bureau et avait élu un nouveau Président, plus sensible à la culture et à l’histoire de La Réunion : Éric Boyer remplaçait Auguste Legros. Je fus tenté de jouer les indifférents, mais je me ravisais bien vite d’autant plus que l’interlocuteur, au bout du fil, s’engageait au nom de sa collectivité à assurer le gardiennage du fusil pour la durée de l’exposition. Je ne me fis donc pas davantage prier. Et c’est ainsi qu’un fusil qui n’avait aucune valeur marchande fut jour et nuit, un mois durant, gardé comme un trésor par des vigiles qui se sont abondamment ennuyés.

Il ne s’agit bien sûr que d’une anecdote, mais elle est révélatrice de l’état d’esprit qui régnait encore à La Réunion, à la fin des années 1980.

 

 

L’exposition eut un très grand succès ; elle circula à partir de 1988 dans de nombreuses villes de La Réunion et le livre à destination des historiens fut arraché par le public. En quelques jours le tirage de 1500 exemplaires fut épuisé : je n’aurais jamais imaginé qu’il y eut tant d’historiens à La Réunion !

 

Depuis lors les mentalités ont commencé à changer à La Réunion. Le CCEE et le Président que je fus ne peuvent s’en attribuer seuls le mérite. Nombreux sont ceux qui oeuvraient dans le même sens et depuis longtemps. Une chose est sûre cependant : l’exposition et le livre sont arrivés au bon moment et ont contribué à l’évolution des mentalités…

 

Il ne faudrait pas croire toutefois que le travail soit pour autant terminé. Il y a encore bien du chemin à faire en cette fin d’année 2017 : de grands penseurs, dDONT LE PRÉSIDENT ont l’actuel Président du Conseil Régional ont inventé le concept de « liberté métisse » et ne lésinent pas sur les moyens pour offrir au bon peuple des festivités de toutes sortes, chants, danses et ris…Ne serait-on pas entrain de nous refaire d’une autre manière le coup de la fête des letchis ?

Et puis« Liberté métisse », qu’est-ce que cela veut dire ?… De notre point de vue la liberté n’est pas blanche, elle n’est pas noire, elle n’est pas métisse.

Que les Réunionnais soient conscients de leur métissage, c’est très bien. Mais parler de liberté « métisse », c’est utiliser une expression floue et qui tend à nous égarer, à nous embrouiller l’esprit. On voudrait enlever aux descendants d’esclaves leur personnalité, leur histoire, qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Décidément le révisionnisme n’est pas mort…

 

 

Nous n’aurons de cesse que l’histoire de la Réunion soit connue et respectée : il faut pour cela que l’enseignement de l’histoire de La Réunion soit satisfaisant. D’abord au niveau de la formation initiale et continue des enseignants certes, mais aussi en ce qui concerne ce qui est enseigné aux élèves : il serait temps que les jeunes Réunionnais apprennent à connaître véritablement, dans sa globalité, l’histoire de leur île.

Nous ne voulons plus d’une touche par-ci par-là de couleur locale. Les jeunes Réunionnais ont droit à l’histoire universelle, à l’histoire de France et à l’histoire complète de La Réunion qui n’est réductible à aucune autre.

 

Danse des Noirs sur la place du Gouvernement le 20 décembre
1848 (Lithographie de Roussin.)

  

ROBERT GAUVIN (Président du CCEE de La Réunion (1984-1993).

 

1) Le texte qui précède est la réédition du discours prononcé par Robert Gauvin (premier Président du Conseil de la Culture) en 2014, à l’occasion du 30ème anniversaire de cette institution. Il est encore, hélas, d’actualité.

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Dans l’article intitulé « LES NOMS DE LA LIBERTE » (1) nous avions traité de l’affranchissement des esclaves à La Réunion et des noms qui leur avaient été attribués à cette occasion… Dans sa pièce de théâtre « LES LIMITES DE L’AUBE » l’écrivain réunionnais Axel Gauvin met en scène trois esclaves qui doivent leur liberté à un concours de circonstances : ils ont été surpris avec leur maître par une averse torrentielle ; tous ont été trempés jusqu’aux os et la poudre du fusil du maître  est inutilisable. Ils s’emparent alors du maître, l’attachent et l’enferment. Ils sont libres !… Mais que faire de cette liberté due au hasard ? Les problèmes sont ardus et multiples…

L’une de leurs préoccupations  est de se débarrasser des noms de dérision dont on les a affublés et de se trouver un nom qui corresponde à leurs origines, à leur histoire, à leur culture et ce n’est pas chose aisée… (Dpr 974)

 

« Les limites de l’aube »

Scène 1

PASLAROSE :

D’abord je ne veux plus, vous m’entendez, je ne veux plus qu’on m’appelle PASLAROSE. Je veux un nom, un vrai nom, un nom qui en soit un !

MANÉCESSITÉ :

Celui qu’ils m’ont fichu, à moi aussi, me brûle les oreilles. « MANÉCESSITÉ » ! « MANÉCESSITÉ » ! Comment ai-je pu supporter ce sobriquet ! J’exige qu’on ne m’affuble plus de ce machin-là !

 

PASLAROSE à Manécessité :

Tu sais, le mien ne me posait pas de problème, jusqu’au jour où…

 

Scène 2   

Entrent le Maître et sa dame.

LE MAîTRE :

Il est vrai, chère amie, que l’on pourrait se contenter des premiers noms venus : Hector, Vénus, Hannibal et que sais-je ! Mais pourquoi Dieu nous a-t-il donc donné à nous, les blancs, de l’imagination ? Pour ma part, j’ai toujours tenté – y ai-je quelques fois réussi ? – de ne pas sombrer dans l’ordinaire, le commun, le banal !

LA DAME riant :

Qui ne se délecte, ô très cher, de la pétillance de vos mots d’esprit, de vos pointes…

LE MAÎTRE, carrément cochon :

…de mes saillies.

LA DAME, faisant semblant d’être choquée :

Oh !

Ils arrivent à la hauteur de Paslarose, Manécessité, Ijkaèl.

LE MAÎTRE : Tenez, celui-là ! (Il désigne Paslarose) Quel nom lui auriez-vous donné ?

LA DAME : Je ne sais, très cher, je ne sais.

LE MAÎTRE : Approchez-vous de lui ! Approchez ! Approchez encore ! (……) Ne remarquez-vous rien ? La fragrance qui se dégage de son être ne vous flatte-t-elle pas la narine ?

La dame qui n’avait rien remarqué, maintenant se bouche le nez…

LE MAÎTRE : Quel nom lui siérait-il donc ?…… Osez!… Osez !

LA DAME : Parfum…parfum de câfrerie ?

LE MAÎTRE : Pas mal !

LA DAME : Brise d’aisselle ?

LE MAÎTRE : De mieux en mieux.

LA DAME : Exhalaisons sudoripares…Coco de Chanel !

LE MAÎTRE  riant : Chère, très chère ! Hé bien, moi, comme il ne la sent pas, je l’ai tout simplement appelé « PASLAROSE ».

LA DAME : Mon ami, mon ami !

LE MAÎTRE :

L’autre, là, porte le doux nom de « MANÉCESSITÉ ».Oui, « MANÉCESSITÉ ». Vous souvenez-vous du caractère d’enfant gâtée de feue Aglaé, mon épouse ? Et vous rappelez-vous comment en trente-deux la roulaison (2) de cannes avait été bonne ? Aussi, défunte Glagla – c’est ainsi que je l’appelais dans mon for intérieur –  battit-elle des pieds pour que je lui offrisse un piano-forte. Pour ma tranquillité je lui donnai son forte…Elle ne pouvait plus vivre sans un service complet de bleu de Chine ?… Elle eut sa porcelaine. Un beau matin (il minaude) : « J’ai vu ce tantôt chez les Ricquebourg, un pur-sang anglais svelte et de toute beauté. Ils le laisseraient à mille piastres. Si vous vouliez, si vous vouliez… Je l’appellerais « Mon Caprice »…

Savez-vous ce que je lui répondis ? Il me faut un noir de plantation, doux et de bon courage. Le voisin en propose un pour à peine la moitié de ce prix. Je m’en vais le quérir de ce pas et le nommerai « MANÉCESSITÉ ». Ce que je fis sur le champ. (……)

LA DAME  pouffant : N’avez-vous pas été trop dur avec elle ?

LE MAÎTRE : Peut-être. Peut-être. Mais ne vous avais-je pas déjà vue ? (……)

 

LA DAME  apercevant le troisième esclave occupé à « dessiner » sur le sol.

Qu’est ce qu’il grave ainsi dans la terre celui-là ?

LE MAÎTRE : Il prétend qu’il écrit…dans je ne sais quelle écriture ! Et moi, innocemment, je l’ai nommé Ijkaèl » !

LA DAME : J’ai le pressentiment que je ne m’ennuierai pas à vos côtés.…

Ils sortent tous les deux.

 

 

« Le droit à la parole, le droit à son identité. »

 

Scène 3 (……)

 

PASLAROSE :

Il brandit son poing en direction des coulisses : Espèce de salaud !

IJKAEL :

En attendant, quel nom vous choisissez-vous ? Pour moi le problème ne se pose pas. En cachette ma mère m’a donné le nom de KODJO, m’a toujours appelé KODJO. KODJO je suis. KODJO, je reste.

PASLAROSE :

Ah ! Quel peut bien être mon nom ? Mon vrai nom ! Le nom qui m’a été donné dans le droit de la coutume ? Ou alors quel nom puis-je, respect de mon peuple, me redonner ?

IJKAÈL : Comment veux-tu qu’on te réponde, si on ne sait rien de toi ?

PASLAROSE :

Moi-même j’en sais si peu. Ma mère est morte dans la cale du négrier. J’étais alors encore à son sein…Mis à part que je suis de sang betsimisaraka (…… ……)

IJKAÈL-KODJO :

Ecoute… J’ai trouvé ce qu’il te faut…Bétsibouk ! Hein ? Bétsibouk ?

PASLAROSE : Bétsibouk ?

IJKAÈL-KODJO : Ça m’est revenu à la seconde.

PASLAROSE : méfiant : Bétsibouk ? Qu’est-ce que ça peut foutre vouloir dire, ton Bétsibouk ?

IJKAÈL-KODJO :

C’est un fleuve de Madagascar. Un grand. Le plus grand ! Il sourd entre les pieds du ravenale (3), aux flancs des mille collines. Lentement, patiemment il se réunit, s’assemble, prend ses forces, son élan, dévale, déboule dans la pente. Il galope à perdre le souffle. Le voilà maintenant dans la plaine. Alors, il te prend son temps, s’étale en mer d’huile, baigne le crabe violoniste et les échasses des palétuviers. Il ne faut pas s’y fier : il est bourré de caïmans. Des foules de caïmans. Des fourmilières de caïmans. Ceux qui veulent le traverser… disons qu’ils offrent leurs corps en sacrifice ! Directement à Paslarose : Alors ? Bétsibouk ?

PASLAROSE :

Bétsibouk ? Bétsibouk… (après réflexion) : Ça me va ! Ça me va bien même !

IJKAÈL-KODJO : Bon ! (à Manécessité) Et toi, qu’est-ce que tu souhaites ?

MANÉCESSITÉ

(………) Quand j’étais petit, il y avait un vieux Comorien. Il m’aimait bien. Il m’appelait AKA. Je n’ai jamais su ce que cela pouvait bien vouloir dire, mais cela me rendait heureux… Je vous présente donc AKA. (Il se frappe la poitrine). AKA, sans Joseph, Pierre ou Paul ! AKA, un point c’est tout. Vous verrez si cela ne suffit pas !

IJKAÈL-KODJO : Bétsibouk, Aka… Embrassez-moi, embrassons-nous !

Ils s’étreignent assez brièvement, puis se séparent.

PASLAROSE-BÉTSIBOUK (qui essuie une larme) : Moi qui croyais n’avoir plus d’eau dans les yeux ! (………)

Quels noms pour les affranchis ?

AXEL GAUVIN

 

NOTES

  • « LES NOMS DE LA LIBERTÉ » du 15/03/2014.
  • « La roulaison » de cannes : la récolte des cannes.
  • Le Ravenale : l’arbre du voyageur.

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(Mise à jour : octobre 2017).

 

Grigori Alexandrovitch Potemkine qui fut Prince, Maréchal et Ministre, fut également l’amant de Catherine II, impératrice de toutes les Russies. Grand bâtisseur, il est à l’origine de nombreuses villes dont Sébastopol.

Un jour, désireux de faire visiter à sa majesté les provinces nouvellement conquises, il aurait fait construire le long de la route que les voitures du cortège impérial devaient emprunter, des villages factices pour ne pas chagriner les beaux yeux de sa bien-aimée par le spectacle si peu esthétique de la misère.

Histoire ou légende ?

Qu’importe ! Mais il semblerait que sous nos cieux également existent des héritiers spirituels de Potemkine, des décideurs pour qui, en matière d’architecture, l’important est le décor, le faux-semblant, le trompe-l’œil…

Parcourez les rues de Saint-Denis et ouvrez l’œil : que fait-on, en particulier dans la zone patrimoniale de notre chef-lieu, censée être protégée et où se trouvent nombre de constructions de grand intérêt architectural ?

  • On fait disparaître les cases (1) créoles que l’on aurait dû reconstruire à l’identique,
  • Sur l’espace ainsi libéré l’on monte, à la place d’une case de 150 mètres carrés, une petite « maison de poupée » ornée de lambrequins pour lui donner l’apparence créole.
  • En construisant cette petite case plus près de la rue on supprime l’essentiel du jardin…
  • On permet ainsi aux promoteurs, qui sont les principaux bénéficiaires de l’opération, de construire derrière la « maison de poupée » un immeuble de plusieurs étages avec x appartements. Et le tour est joué :

C’est ainsi qu’on enterre le patrimoine architectural et l’histoire de notre île pour le plus grand profit des spéculateurs !

Robert Gauvin

 

1) La « case » créole peut aller de l’humble logis à la maison de maître avec étage et varangue… En fait le mot case créole est l’équivalent du mot français « maison » et pour un Créole, dire : « Mi sava la kaz » signifie simplement : « Je vais chez moi » « Je rentre à la maison ».

Quelques exemples de constructions pseudo-créoles :

Cette construction, rue Général de Gaulle à Saint-Denis est l’un des premiers essais d’ensembles pseudo-créoles que le temps et les intempéries ont bien « dégrénés ».

Rue Jean Chatel près des bureaux d’Orange : la petite maison aux losanges, lambrequins et impostes a essentiellement une fonction décorative pour l’immeuble du second plan : elle doit « faire créole ».

La clôture « aveugle », les arbres et la petite maison pseudo-créole masquent les constructions de plusieurs étages au second plan. Ensemble situé rue Juliette Dodu face à la Cour d’Appel.

 

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Réédition de notre article d’Août 2011: L’actualité rejoint l’histoire avec la publication récente du JIR concernant la maison Drouhet. (28/09/2017)

la villa Saint-Joseph

Nous autres, Dionysiens, avons à Saint-Denis deux adjoints qui s’occupent jour et nuit d’urbanisme et de culture, un maire qui veut faire de sa cité « une ville d’art et d’histoire » ; nous disposons en outre d’un Plan Local d’Urbanisme répertoriant en jaune les bâtiments d’intérêt architectural voire de grand intérêt architectural» à préserver  à tout prix et surtout d’un Architecte des Bâtiments de France qui veille au grain…  Nous en avons de la chance : le patrimoine architectural de notre ville est en de bonnes mains ; nous pouvons dormir sur nos deux oreilles !

Certes, certes, certes… sauf que tout près du commissariat Malartic, à l’angle de la rue Colbert, se trouve la « villa Saint-Joseph », répertoriée sur la carte du PLU, que l’on s’apprête à démolir en missouque (2) : en lieu et place de la villa et du jardin doit s’élever un immeuble de bureaux «  le Levant du Jardin » de 14 mètres de haut et d’une superficie hors d’œuvre nette de 2586 mètres carrés. Tout cela bien sûr en toute légalité, avec toutes les autorisations requises, alors que l’ensemble se situe dans le périmètre du Jardin de l’Etat et du Muséum d’histoire naturelle, tous deux classés en totalité parmi les monuments historiques. Comment cela est-il possible ? Ne répondez pas tous à la fois…

Ce n’est pas tout : à l’angle des rues Sainte-Anne et Juliette Dodu se trouve un bâtiment construit probablement dans les années 1830-1840. C’est une maison qui possède tous les canons du style néo-classique et comporte de nombreux détails intéressants (frontons, moulures, travail original des tuiles, grand bas-relief dont il subsiste une petite partie). Aujourd’hui  l’on se met en toute hâte à la démolir avant même que le permis de construire n’ait été affiché et dans quelles conditions de sécurité ( ! ). L’on n’a gardé que la façade qui donne sur la rue et l’on a complètement éventré la façade arrière qui était encore intacte. On est curieux de voir ce que deviendra le projet : il y aura-t-il une surélévation ? Que restera-t-il de cette maison néo-classique qui, elle aussi, devait être protégée si l’on en croit le PLU, à moins que celui-ci ne soit considéré par certains que comme « chiffon de papier » ?

La maison Drouhet naguère… (3)
Last but not least, la maison Drouhet, située dans le fond de la Rivière Saint-Denis après le B.O.T.C. La maison, en jaune sur le PLU, se trouve en contrebas de l’ancien hôpital Félix Guyon, inscrit en totalité à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Il y avait à l’origine une boulangerie sur ce site, créée dans la première moitié du 19ème siècle. La boulangerie a été transformée en maison d’habitation (partie en pierre et partie en bois) avec un beau jardin. Sur ce terrain on a construit un immeuble en zig et un autre en zag ; pour retrouver l’emplacement de la maison il faut franchir un portail sécurisé, passer sous l’immeuble et l’on se rend compte que la maison Drouhet a été rasée sans autre forme de procès et qu’à sa place on a élevé en fer et en parpaings une pseudo maison créole, imitation de l’ancienne mais qui n’en a ni l’authenticité ni le charme.

… et ce que l’on en a fait…

Il serait intéressant de savoir à qui appartient cette bâtisse, car aucune indication n’est donnée ; il n’est point trace de permis de construire qui normalement devrait rester affiché tout le temps de la construction… Une fois de plus ces opérations semblent se dérouler dans la plus grande discrétion possible.
Autrefois les Réunionnais craignaient pour leurs maisons les carias et les cyclones. Il semblerait que la ville historique risque plus sûrement de disparaître grâce aux nombreux permis de construire qui font peu de cas, avec la bénédiction de l’actuel A.B.F, des préconisations du Plan Local d’Urbanisme (P.L.U). On parle de protection du patrimoine, on nous fait miroiter la perspective d’un « Saint-Denis, ville d’art et d’histoire » et pendant ce temps-là, comme dit le créole : «  Kabri i manj salade ! »

DPR974

(1)         Expression créole qui signifie que tout cela est bien joli, mais que la réalité est tout autre, qu’on veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes, qu’on nous berce d’illusions.

(2)         « En missouque » : en cachette, en douce. Les constructeurs font preuve d’une discrétion exemplaire et au lieu d’afficher le permis sur la façade qui donne sur la rue Malartic qui est très passante, on l’a placé rue Colbert à l’abri de trop de regards curieux.

 

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Que demande – t’on à des amis du dehors qui revoient La Réunion et Saint-Denis après dix ans d’absence ? Après les salamalecs d’usage, les informations sur la santé et sur ce que deviennent les enfants, la question ne rate pas : « Comment trouvez-vous notre chef-lieu ? Il a beaucoup changé, n’est-ce pas ? Il s’est bien modernisé, pas vrai ? » Et la réponse arrive, sans nuance :

«  Assurément Saint-Denis a beaucoup changé, parfois en mieux, d’autres fois en moins bien, mais ce qui nous a frappés le plus à Saint-Denis, c’est la saleté ! Pas partout, mais il y a près de certains lieux où l’on consomme, des papiers gras ou des sacs plastique qui traînent. L’on voit aussi trop souvent des villas ou des cases créoles qui auraient besoin d’un bon ravalement de façades.… Dans plus d’un quartier en dehors de l’Hyper – centre subsistent des murs noirâtres, tagués de dessins pas tous artistiques, des maisons délabrées qui s’effondrent sur elles-mêmes.

la maison délabrée du 112 rue Jules AUBER

Comment se fait-il qu’il y en ait tant de ces maisons ? Les propriétaires sont-ils des personnes désargentées ? Ou plutôt des spéculateurs qui attendent que la maison soit détruite par les intempéries, les carias ou la maladresse espérée des clochards, afin de pouvoir bénéficier de permis de construire de complaisance qui ne tiennent guère compte des préconisations du PLU ( Plan local d’urbanisme ?) »

Je fus obligé de reconnaître qu’ils n’avaient pas tort ; je m’empressai toutefois de changer de sujet de conversation et les invitai à lever leur verre pour fêter nos retrouvailles … Et pourtant il y aurait eu des choses à dire !…

Il aurait fallu admettre :

  • que pour une case créole restaurée il y en avait bien dix qui disparaissaient au profit des spéculateurs qui s’empressaient de construire des immeubles afin de toucher le Jackpot, en particulier dans le fameux quartier en or du centre – ville de Saint-Denis.
  • Que le plan local d’urbanisme, protégeant les constructions anciennes d’intérêt architectural, n’était pas toujours respecté et qu’il y avait beaucoup d’affinités – voire même de collusion, entre les bétonneurs à tout va et certains services d’urbanisme municipaux.
  • Que les restaurations, par exemple celle de l’Église de la Délivrance et celle de la Cathédrale à Saint-Denis étaient l’arbre qui cachait la forêt : il n’y a pas un seul ensemble qui soit sauvegardé comme dans d’autres ville de France, d’Allemagne ou des USA, pour ne citer que ces pays.
  • Que même la « rue de prestige », la rue de Paris, qui aurait pu être un ensemble cohérent préservé, ne l’est pas et que beaucoup de libertés sont prises avec le respect du patrimoine : il suffit en effet de regarder derrière la nef de la Cathédrale comment on a, avec la bénédiction de certain « Architecte des Bâtiments de France », transformé un bâtiment ancien, en boulangerie, logement avec piscine et conteneur bleu en suspension !!!
  • Que, même si l’on doit densifier pour répondre aux besoins de la démographie, on ne peut le faire partout : Il y a certes des espaces où l’on doit densifier, ou l’on peut construire en hauteur et d’autres où le patrimoine bâti doit être respecté avec ses jardins, sa verdure, ses fleurs…Le respect de notre architecture, de nos cases créoles traditionnelles, fera que notre ville attirera davantage de touristes. Le tourisme n’est – il pas, en effet, un axe important que La Région affirme, haut et fort, vouloir développer ? »

Il aurait fallu aussi parler d’un autre phénomène qui sévit à l’heure actuelle à Saint-Denis, à savoir la débauche de peinture à laquelle on assiste dans certains quartiers, comme celui de l’ancienne gare de chemin de fer, dans le bas de la rue de l’Est, de la rue Victor MacAuliffe et de la rue Jules Auber. Ici on ne craint pas le contraste, on n’a pas peur de choquer, on plonge bien hardiment ses pinceaux ou ses rouleaux dans des bacs de peinture aux couleurs disparates, on en met plein la vue ! Les visiteurs et les habitants de ces quartiers assistent impuissants, à une débauche de couleurs, à une véritable orgie de rouge sanguine, de jaune pétard, de bleu inquiétant, quand cela ne devient pas une cacophonie d’orange, de vert, de rose bonbon mis côte à côte. Ces artistes- peintres seraient-ils tombés sur des fonds de bacs de peinture inemployée à utiliser sans tarder pour ne pas risquer de les voir se dessécher ?

 

une orgie de couleurs

On avait jusqu’ alors l’habitude à Saint-Denis de voir les gens construire n’importe quoi, n’importe comment, avec ou sans permis de construire, en se souciant comme d’une guigne des formes et des styles de l’environnement bâti, mais à présent cela échappe à toute interprétation rationnelle, cela dépasse l’entendement, défie l’imagination et l’on se demande ce que cela peut bien signifier : on a le sentiment que les gens agissent en fonction du principe créole bien connu, synthétisé dans la formule : « Moin lé pa la èk sa ! » (1) Autrement dit, est affirmé au vu et au su de tous, qu’on n’a de compte à rendre à personne, que chacun d’entre nous est libre de faire ce que bon lui semble. Bref c’est une affirmation haute et solennelle de sa liberté !

une cacophonie de couleurs !

On nous avait naguère éduqués autrement : nous devions obéir aux principes d’honnêteté, de solidarité, de respect d’autrui : ces principes appartiennent apparemment à un passé révolu. Je ne sais si c’est un progrès ou un retour à des ères plus anciennes ou plus exactement, si en ce 21ème siècle commençant, nous ne serions pas revenus à la Cour du Roi Pétaud.…Il est vrai qu’en matière de couleur, l’exemple vient d’en haut : un homme de l’art, architecte des Bâtiments de France, n’a-t-il pas, quand il a été nécessaire de ravaler la façade de l’Hôtel de ville de Saint-Denis, décidé de le faire peinturlurer en ocre, couleur qu’il affectionnait particulièrement, au lieu de lui rendre sa couleur blanche, « marmoréenne » que lui avaient donnée ses bâtisseurs… Car tel était son bon plaisir ! …(CF. article du blog intitulé : Car tel est notre bon plaisir… )

DPR 974.

Notes

1) Cette expression créole signifie : «  Je m’en moque éperdument »

2) Un mot sur les trottoirs de Saint-Denis : Saint-Denis est sale et arpenter ses trottoirs est devenu, en dehors de l’hyper – centre (comme c’est joliment dit !) une entreprise périlleuse. Ils fourmillent de pièges, de cabosses et de bas-fonds où l’on court le risque de se casser la figure, voire le col du fémur… Certains d’entre eux sont si étroits que ne peuvent s’y croiser que des mannequins de haute couture souffrant d’anorexie à un degré avancé (ce qui est un peu rare chez nous en cette ère de malbouffe !)

3) La coquette malpropre, selon l’expression que j’ai entendue dans ma jeunesse, était une jeune fille qui se souciait peu de la propreté, mais utilisait massivement pour donner le change, des baumes, des crèmes, des fards, des onguents.

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