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Archive for the ‘cases créoles’ Category


 

 Le jour vint où le grand-père et la grand-mère Le Toullec, partis pour des cieux que l’on dit plus cléments, la maison familiale de ma femme fut mise en vente…(1) Ce n’était pas un palais, ni même une maison à étage, propriété de gros Blancs désireux d’en mettre plein la vue, mais une jolie case créole de plain-pied au bout d’une allée bordée de rosiers. Construite en bois sous tôle et bardeaux elle n’était plus de première fraîcheur : il fallait la vendre et partager les revenus entre les neuf héritiers (2).

Maison du 60 rue Sainte-Marie ; on remarquera sa varangue, ses losanges et ses lambrequins.

Apparemment personne ne pouvait ou ne voulait s’en rendre acquéreur : cela coûtait  un certain prix et il fallait, en outre, la restaurer de fond en comble. Dans l’assistance nombreuse des Hoarau et de leurs conjoints réunis autour de la grande table de la salle à manger, je remarquai soudain que ma femme semblait saisie d’un frétillement ; frétillement d’espoir ? d’excitation ? Des deux sans doute : c’est que l’idée avait germé en elle de vivre à nouveau dans la case où elle avait passé sa prime jeunesse, avec ses parents, ses grands-parents maternels, ses huit frères et sœurs…et sa nénène Simone.

Bien sûr il aurait fallu nous défaire de notre maison récemment construite sur les hauteurs de la ville avec vue imprenable sur l’Océan Indien. Mais mon épouse, quand elle voulait quelque chose, n’était jamais à court d’arguments, ceux de la raison certes, mais aussi et surtout ceux du cœur : nous pouvions, selon elle, vendre notre maison neuve, ce qui nous permettrait, d’avoir de quoi financer les travaux de restauration. Habiter au cœur de la ville, près des écoles, des collèges, des lycées, des terrains de sport et des cinémas nous mettrait à l’abri de la rude existence de parents-taximen, chargés en permanence de véhiculer leur progéniture vers différents lieux d’études et de loisirs.

Ma femme développa ensuite, entre quat-zieux, tout l’intérêt architectural que présentait la maison : la case n’avait-elle pas un  cachet particulier, typiquement créole : une disposition intérieure originale, une façade décorée de losanges mystérieux, des lambrequins tout en finesse ? Ses façades Est et Ouest n’étaient–elles pas recouvertes de beaux bardeaux de tamarin ? N’avais-je jamais contemplé son plancher en petit natte et en grand natte  aux couleurs contrastées? Sans compter sa varangue historique aux carreaux qui dataient certainement du début du 19èmesiècle ?

Hoarau témoignant de sa dévotion quasiment pontificale à la maison familiale.

Cette varangue – parlons en de la varangue ! – elle en avait des choses à raconter sur toutes les familles qui avaient habité là, les Lassais d’abord à la jonction du 18èmeet la première moitié du 19èmesiècles, puis L’abbé de Margeris qui fut vicaire de la cathédrale de Saint-Denis, les demoiselles  Vollard, et, last but not least, la famille, la tribu, le clan des Hoarau-Le Toullec : Ma femme avait encore à l’esprit les repas de famille du jeudi midi quand les enfants et petits enfants accouraient des quatre coins de l’île ; il ne serait jamais venu à personne le commencement de l’idée de rater le traditionnel rendez-vous hebdomadaire. Il fallait alors organiser deux services au repas de midi, dont le premier, consacré à la marmaille pendant que les adultes échangeaient des nouvelles de la santé, de la famille, de l’île et du Monde autour des pistaches, du rhum arrangé et de la limonade.

Grand-mère Le Toullec, entourée des enfants Hoarau, de leurs conjoints et de leurs enfants. (Année 1971).

La maison c’était assurément un élément important, mais ma femme  déclara qu’elle ne pouvait passer sous silence tous les arbres fruitiers qui faisaient l’attrait du jardin : les letchis centenaires, l’arbre à pain, le pied de mangues-carottes pour salades et rougails, la treille de raisin Isabelle (la vigne qui rend fou), sans oublier le camélia romantique qui poussait juste sous la fenêtre de Grand-mère. Ce n’était plus un jardin, c’était mieux qu’un verger, un véritable Jardin d’Eden, offrant de quoi manger, de quoi se soigner, de quoi jouer, de quoi vivre et être heureux.

Letchi centenaire et latanier argenté.

« Pourquoi pas ? » concédé-je dans une dernière tentative de détourner la question ; j’essayai, en effet, de faire valoir que la maison voisine, construite en dur par le Grand-père lui-même, avec des murs porteurs de quatre-vingt centimètres d’épaisseur au moins, semblait forteresse inexpugnable, à l’abri des cyclones les plus terribles comme il y en avait eu en 1940, en 1944, en 1948, sans compter leurs enfants baptisés de noms de jeunes filles plus ou moins ravageuses, Jenny, Carole et celles qui, par la suite, ne manqueraient pas de nous tomber dessus, entraînant force catastrophes aisément prévisibles. (Je m’élève, entre parenthèses, avec la dernière énergie contre cette attitude sexiste qui consiste à donner aux cyclones des prénoms féminins !)

Qu’avais-je suggéré là !!!… Ce fut pour mon épouse l’occasion de m’asséner un argument imparable: « Bien, me dit-elle, mais ne viens pas me canuler si dans ton blockhaus d’à-côté, tu te retrouves assiégé par une meute de spéculateurs  qui cerneront ta maison ! Ils monteront leurs bâtiments sur plusieurs étages : pour nous et notre famille, plus d’espace, plus d’air, plus de lumière ! Nous serons étouffés, écrasés, enterrés vivants ! »

Mon épouse avait du tempérament…Je dus m’avouer vaincu ! Nous achetâmes donc la maison créole et la restaurâmes… Elle avait vu juste : elle fut certes épargnée, car elle quitta cette terre pour l’autre monde et n’assista pas aux assauts des spéculateurs. Qui bénéficièrent de nombreuses complaisances pour ne pas dire de la complicité des autorités, chargées en principe de défendre notre patrimoine réunionnais. Je dus me battre contre  des gens qu’une seule chose intéressait : faire le maximum de fric. Ils baptisèrent le quartier des écoles « le carré d’or », révélant par là leur seule motivation.

Pour pouvoir continuer à vivre je m’arrangeais pour fixer à toutes les fenêtres des rideaux, qui cachaient la vue sur l’écran de béton tout en laissant passer la lumière, pour lancer des lianes à l’assaut des murs du voisinage, je n’élaguai plus les letchis et les manguiers. Au bout de quelque temps j’eus le sentiment d’être oppressé; je manquais d’air et de lumière et me lançai à la recherche d’un élagueur qui aurait exaucé mon voeu d’être à l’abri du regard des voisins et du béton environnant. C’était la quadrature du cercle, tout un art, que seuls des élagueurs de haut vol savent réaliser : il fallait élaguer ni trop ni trop peu.

La maison au milieu du jardin.

Je vis aujourd’hui encore dans cette maison et une question me taraude toujours : dans toute cette aventure je conçois sans peine que ma femme avec son vécu dans ce « lieu idyllique », ait été attachée à la maison de son enfance, mais que moi aussi j’éprouve pour cette maison, cette case créole, pour son histoire, son jardin, de tels sentiments relève de la magie et je ne peux m’empêcher de penser aux vers fameux de Lamartine :

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme

Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »

La liane de Mysore.

Quand un souci m’effleure l’esprit, il me suffit de faire le tour du jardin, de respirer le parfum capiteux du Franciséa,  de rendre visite aux oiseaux du paradis ou d’admirer la floraison des lianes de Mysore pour me sentir requinqué et je m’en retourne alors à mes occupations quotidiennes en imaginant qu’un des miens puisse un jour défier les spéculateurs et rester fidèle à la maison créole de la rue Sainte-Marie et à son oasis de verdure.

R. Gauvin.

 

NOTES :

  • Ma femme était la fille de Jeanne Le Toullec et d’André Hoarau.
  • Après avoir élevé leurs cinq enfants, les grands-parents Le Toullec avaient pris en charge les 9 enfants de Jeanne et André Hoarau, prématurément décédés.

Parmi ceux qui furent propriétaires de l’emplacement et de la case créole du 60 rue Sainte-Marie…

La famille Denis, Julien, Lassais: les Archives attestent le fait que cette maison, l’une des plus anciennes du quartier, appartint à la famille Lassais et ses descendants depuis la fin du 18èmesiècle jusqu’au 30 novembre 1859 où elle fut vendue à… Monsieur l’abbé Louis, François Margeris,en son vivant chanoine et vicaire général de Saint-Denis après la création de l’Évêché. J’ai voulu savoir si ces lieux avaient été consacrés par sa présence. Ma désillusion fut grande lorsque j’appris du père De Guigné, chargé des Archives de l’Évêché, à Saint-Denis, que normalement tout prêtre habite la cure, sauf si, habitant Saint-Pierre, Mr de Margeris avait un pied-à-terre à Saint-Denis ou s’il était à la retraite. Je reste donc dans le doute. Ce qui est certain, par contre, c’est que Mr de Margeris essaya en vain, par deux fois, de vendre la maison et finit par faire de sa nièce de Lisieux sa légataire universelle. Celle-ci revendit la maison à Mr de Fayard en 1883.

De 1936 à 1941 la maison fut la propriété du couple Ludovic Revest et Mme, née Legros. Mr. Revest était connu pour des articles journalistiques, suffisamment originaux pour qu’on les qualifiât de « revestades ».

En 1941 la maison fut achetée par les demoiselles Vollard, soeurs d’Ambroise Vollard, Réunionnais et marchand d’art parisien qui fit découvrir au public Van Gogh, Gauguin et Picasso entre autres. Il fut aussi à l’origine d’un don important d’œuvres d’art au Musée Léon Dierx à Saint-Denis.

Il n’est pas possible de citer tous les propriétaires qui se succédèrent dans cette maison : elle a  changé assez souvent de mains. Mais une performance fut accomplie en 1944 -1945 par Mr. Camille Auber, qui, après avoir racheté leur bien aux sœurs Vollard au prix de 162.500 francs de l’époque, le revendit un an plus tard pour 300.000 francs aux époux Hoarau-Le Toullec réalisant ainsi un substantiel bénéfice…Depuis lors la maison resta dans la même famille jusqu’à ce jour, soit 73 ans : un record !

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(Mise à jour : octobre 2017).

 

Grigori Alexandrovitch Potemkine qui fut Prince, Maréchal et Ministre, fut également l’amant de Catherine II, impératrice de toutes les Russies. Grand bâtisseur, il est à l’origine de nombreuses villes dont Sébastopol.

Un jour, désireux de faire visiter à sa majesté les provinces nouvellement conquises, il aurait fait construire le long de la route que les voitures du cortège impérial devaient emprunter, des villages factices pour ne pas chagriner les beaux yeux de sa bien-aimée par le spectacle si peu esthétique de la misère.

Histoire ou légende ?

Qu’importe ! Mais il semblerait que sous nos cieux également existent des héritiers spirituels de Potemkine, des décideurs pour qui, en matière d’architecture, l’important est le décor, le faux-semblant, le trompe-l’œil…

Parcourez les rues de Saint-Denis et ouvrez l’œil : que fait-on, en particulier dans la zone patrimoniale de notre chef-lieu, censée être protégée et où se trouvent nombre de constructions de grand intérêt architectural ?

  • On fait disparaître les cases (1) créoles que l’on aurait dû reconstruire à l’identique,
  • Sur l’espace ainsi libéré l’on monte, à la place d’une case de 150 mètres carrés, une petite « maison de poupée » ornée de lambrequins pour lui donner l’apparence créole.
  • En construisant cette petite case plus près de la rue on supprime l’essentiel du jardin…
  • On permet ainsi aux promoteurs, qui sont les principaux bénéficiaires de l’opération, de construire derrière la « maison de poupée » un immeuble de plusieurs étages avec x appartements. Et le tour est joué :

C’est ainsi qu’on enterre le patrimoine architectural et l’histoire de notre île pour le plus grand profit des spéculateurs !

Robert Gauvin

 

1) La « case » créole peut aller de l’humble logis à la maison de maître avec étage et varangue… En fait le mot case créole est l’équivalent du mot français « maison » et pour un Créole, dire : « Mi sava la kaz » signifie simplement : « Je vais chez moi » « Je rentre à la maison ».

Quelques exemples de constructions pseudo-créoles :

Cette construction, rue Général de Gaulle à Saint-Denis est l’un des premiers essais d’ensembles pseudo-créoles que le temps et les intempéries ont bien « dégrénés ».

Rue Jean Chatel près des bureaux d’Orange : la petite maison aux losanges, lambrequins et impostes a essentiellement une fonction décorative pour l’immeuble du second plan : elle doit « faire créole ».

La clôture « aveugle », les arbres et la petite maison pseudo-créole masquent les constructions de plusieurs étages au second plan. Ensemble situé rue Juliette Dodu face à la Cour d’Appel.

 

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« Au sortir de la guerre (de 39-45) l’habitat réunionnais se compose de 62% de paillottes en torchis et en paille, de 31% de petites cases en bois et de seulement 7% de villas créoles et de cases en dur » in  350 ans d’architecture à l’île de La Réunion, un panorama réalisé par le CAUE. Ce n’est qu’au milieu du siècle dernier qu’a lieu une évolution notable dont se fait l’écho le texte de Christian Fontaine intitulé : la Kaz Tikok.

Les paillottes constituaient dans les années 50 plus de 60% de l’habitat réunionnais. (Coll. Y.Patel).

Les paillottes constituaient dans les années 50 plus de 60% de l’habitat réunionnais. (Coll. Y.Patel).

La « Case de Tikok »

Au départ, la case des Biganbé ne comportait que deux pièces comme celle de la famille de Maximin, sauf que son toit était de tôle. Malheureusement le cyclone 48 (1) était passé par là qui avait soulevé la petite bicoque, l’avait  transportée comme une boîte d’allumettes et déposée, sans ménagement, un peu plus loin au bord de la ravine.

Encore heureux que cette année-là, le père Biganbé ait pu garder en réserve de l’essence de géranium : deux estagnons (2) et quelques bouteilles, le tout bien caché sous le toit du poulailler. Biganbé n’a fait ni une ni deux, s’est précipité à la boutique du chinois et a tout vendu pour 32.500 francs CFA (3). (Cela valait bien davantage, mais que faire d’autre ?  Quand vous êtes dans le besoin, vous ne pouvez pas faire la fine bouche!) Ce qui fait qu’il avait pu, grâce à ses petites économies, remettre sa petite case en état. Il a même pu construire deux pièces de plus.  Cela lui faisait donc un pavillon de quatre pièces ; trois pièces avec plancher, une sans (C’était une chambre au sol de terre battue, où le soir, on se lavait les pieds).

La famille s’est ensuite agrandie. En 1962 Mariotte a eu son brevet et a obtenu un poste de remplaçante là-haut à Bésave (4). C’est alors que madame Biganbé a organisé une réunion de famille où elle a déclaré :

«  Une maîtresse d’école ne peut pas habiter une maison qui n’a que quatre pièces !

–« Combien peux-tu mettre, Mariotte ? » a demandé Biganbé.

— « 10.000 francs » a répondu Mariotte.

La maison a alors comporté 6 pièces. Sur le devant, en partant de la droite se trouvaient la chambre des parents et celle des petits. Au milieu s’ouvrait le salon, avec une table ronde sur le côté, un petit lit dans le coin pour Grand’mère Tisia. Ensuite venait la salle à manger (que l’on venait justement de construire) : auparavant, tous mangeaient à la cuisine, assis sur un petit tabouret. À l’arrière une chambre au sol de terre battue, où l’on se lavait les pieds et où dormaient les grands garçons. Sur le côté s’ouvraient la chambre des filles et un magasin où l’on entreposait les produits qu’ils pouvaient depuis peu  acheter en gros à la boutique.

Pour finir, lorsque Mariotte s’était mariée en 1965 on avait abordé la question du salon de bal et de ce qui va avec, mais le père Biganbé ainsi qu’Arsène, Férié (5), Julienne, tous avaient dit fort justement : «  Ce n’est pas parce que Mariotte est devenue maîtresse d’école que nous allons aujourd’hui  faire les fiers ! Montons une salle verte, nous allons damer la terre ; il y aura plus d’ambiance et aussi moins de dépenses ! » La famille du gendre, elle aussi, avait approuvé le choix de la salle verte. Ce qui fait que tous ont donné un coup de main et sont allés chercher des feuilles de palmistes, des palmes de cocotier, de lataniers, des bambous, de la fougère, bref tout ce qu’il faut pour cela. Tikok aussi, vous pouvez m’en croire, n’était pas le dernier à grimper au cocotier. Cette  salle verte constitue, aujourd’hui encore, la septième pièce de la case-six-pièces.

Extrait de Zistoir Tikok de Christian Fontaine.
Traduit du créole réunionnais par Robert Gauvin.

 

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Salle verte pour les fêtes familiales (mariages etc). Dessin d’Huguette Payet.

Notes :

  1. Le cyclone de 1948 a été particulièrement dévastateur à La Réunion. Tous les Réunionnais d’un certain âge l’ont gardé en mémoire.
  2. Un estagnon est un récipient dans lequel on conserve l’huile essentielle obtenue par distillation du géranium (CF. Dictionnaire illustré de La Réunion.)…On extrait du géranium rosat une huile essentielle – celle de La Réunion est particulièrement réputée – qu’on utilise en parfumerie et comme produit de santé naturelle, à de multiples fins.
  3. Le franc CFA (Franc des Colonies Françaises d’Afrique) valait autrefois deux francs  français (anciens). Il a été supprimé en 1975 et remplacé d’abord par le franc lourd, puis par l’euro en 1999.
  4. Bésave est une localité sur le territoire de la commune de Saint-Joseph (Île de La Réunion). Elle se situe entre Carosse et le Piton de l’Entonnoir au nord et la Rivière du rempart et le Goyave au sud.
  5. Vrai ou faux ? Des Réunionnais en quête de prénoms lors de la  naissance de leurs enfants se seraient reportés, en désespoir de cause, au calendrier pour choisir le nom d’un saint patron et seraient tombés le quatorze juillet sur « Fête nat » ou d’autres fois, le premier mai par exemple, sur la mention « Férié » ; ce qui expliquerait l’étrangeté de ces prénoms que porteraient certains de nos compatriotes… en fait ce ne sont qu’assertions gratuites de certains esprits mal intentionnés !

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En 2014 Lofis la Lang Kréol La Rényon et l’association Tikouti ont coédité le livre de Christian Fontaine « Zistoir Tikok » avec le soutien de la Commune de Saint-Joseph. Ce livre est précieux à plus d’un titre :
La langue utilisée est riche, authentique et pleine d’humour.
C’est un document irremplaçable sur la vie quotidienne des Réunionnais du milieu du 20ème siècle.
C’est l’œuvre  d’un homme, d’un prêtre engagé, au service de la culture réunionnaise, du patrimoine de son île et des petites gens de son pays.…

Ce livre est indispensable à tous ceux qui aiment La Réunion, sa langue, son histoire, sa culture.

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Zistoir Tikok de Christian Fontaine est en vente dans toutes les bonnes librairies de l’île au prix de 20 euros. On peut également se le procurer en s’adressant à : lofislalang@gmail.com

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La « case créole », illustration de Géno.

 

La « Case créole »

Il paraît qu’en France « la case » est bien différente de « la case » de La Réunion.

Et puis, d’abord les « zoreils » (1) ne disent pas « la case », mais la maison. Leur maison à eux est vraiment très étrange ! Elle sert à peu près pour tout ! On y trouve la cuisine où l’on prépare les repas, la salle de séjour où l’on reçoit les visiteurs et où l’on discute ; il y a encore le grenier, une sorte de far-far (2) où l’on entrepose toutes sortes de vieilleries et sous la maison se trouve la cave où l’on range les bouteilles de vin… Dans cette « maison » en question, il y a même les « toilettes », le cabinet si vous préférez !

Ici, à La Réunion, on ne mélange pas tout cela. Ici, la case, c’est la case ! La cuisine, c’est la cuisine et le cabinet, le cabinet ! Mais cela ne veut pas dire que nous ayons davantage de place qu’en France, ni que nous soyons plus riches. Bien au contraire ! C’est souvent parce que nous sommes à l’étroit, parce que nous sommes vraiment pauvres, que nous agissons ainsi !

Jugez-en vous-mêmes : la case de Maximin, un ami de Tikok, ne comporte que deux pièces ; elle a un toit de paille de vétiver et n’a pas de cheminée à la différence de ce qui se fait en France. Supposons un moment que la maman de Maximin veuille faire cuire le repas dans la maison, vous imaginez ce que cela va donner ? Le feu dans la paille de vétiver, la fumée qui boucane les yeux, le couvercle des marmites dans l’armoire à linge, la marmite quant à elle, en compagnie du pot de chambre sous le lit !…

 Pour ce qui est du cabinet, c’est bien pis ! Où prendrait-on l’eau courante ? Où est-il ce papier-toilette si doux ? Et même le flacon de grésil pour chasser la mauvaise odeur ? Où est –il ? Il n’y en a pas ! Dans une situation aussi scabreuse, il vaut mieux se  contenter de la touffe de bananiers, là-bas au fond de la cour, de deux ou trois « cotons » de maïs (3) à portée de  la main et d’un sac de jute (4) qui vous tient lieu de paravent !

En fin de compte une case comme celle de Maximin ne sert que pour dormir, la nuit. Et même, comme Maximin a un grand frère et trois sœurs presque grandes, les deux garçons sont obligés de dormir sur une « caisse » (5) dans la cuisine !

Et puis, dans la journée, Madame Raphaël n’entre que rarement dans sa case, quand il y a vraiment nécessité : pour faire les lits, pour repasser, pour prendre un papier important. C’est dans la case aussi qu’elle range sa tente   (6) de couture, mais pour coudre, elle s’installe sous la treille de chouchoux (7). Cette treille lui sert également de salon. C’est là qu’elle reçoit  son monde…en particulier en décembre, janvier et février trois mois où en France  la neige fond alors qu’ici les gens sont sur le point de fondre sous l’effet de la chaleur !

Extrait de « Zistoir Tikok » de Christian Fontaine (coédition Lofis la Lang Kréol La Rényon-Tikouti). Décembre 2014.

Traduit du créole par Robert Gauvin.

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Zistoir Tikok de Christian Fontaine

 

Notes :

1)   Zoreil : terme réunionnais qui s’applique à un français de l’Hexagone, arrivé dans l’île pour un séjour plus ou moins long. L’origine de ce mot est controversée.

2)   Le Far-far : Sorte d’étagère placée au-dessus du foyer où l’on conserve le maïs et où l’on suspend la viande, les saucisses à boucaner.

3)    Le coton de maïs = la rafle de maïs : l’axe renflé de l’épi de maïs (Cf : le Nouveau Petit Robert.)

4)   Ce sac de jute s’appelle en créole, le goni, terme d’origine indo-portu gaise.

5)   La caisse : sommier rudimentaire en bois.

6)   Tant(e) : sorte de panier de vacoa tressé (mot d’origine malgache).

7)    Le chouchou, appelé « chayotte » dans le midi de la France et « christophine » aux Antilles…est cultivé sur une treille…Il demeure un élément important de l’alimentation créole …Il fournit, à la fois ses tubercules (patat sousou), ses fruits (sousou) et ses bourgeons et feuilles terminaux que l’on  mange en « brèdes ». (CF. Dictionnaire Kréol rénioné-français d’Alain Armand).

 

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Dix sérigraphies signées d’Omer Resic… et voilà l’âme de Saint-Denis mise à nu. Omer Resic, c’est l’œil extérieur qui regarde et voit pour nous.

capture_d_ecran_2015-08-09_a_22.39.24_resultatOmer Resic nous restitue un Saint-Denis des années 1990 que nos yeux blasés ne percevaient plus. Et ne percevront plus car ce Saint-Denis-là, au patrimoine déjà bien entamé, a encore perdu de sa superbe en vingt ans.

Que reste-t-il de nos amours dionysiennes ? Des vestiges qui menacent ruine, des édifices totalement gommés du paysage et dont le souvenir s’éloigne, quelques bribes d’architecture créole qui font face à la peste du béton, de trop rares tentatives de sauvegarde, de déprimantes « reconstructions à l’identique » et une rue de Paris dont la vitrine au éléments magnifiés ne parvient pas à masquer la décrépitude qui, plus loin, gagne du terrain…

Marcher dans la ville, c’est suivre l’itinéraire des âmes perdues, celles des cases écrasées, des boutiques incendiées, des entrepôts délabrés, des chapelles abandonnées, des cantines démantelées, des portes closes ou réservées à l’administration, des balcons qui s’effritent et des lambrequins qui se délitent… Quelques belles expressions de l’architecture créole résistent encore. Heureusement. Mais pour combien de temps ? Cet état des lieux vaut pour l’ensemble de l’île, tant dans les espaces urbanisés que dans les savanes (patrimoine industriel pourrissant sur place…) ou dans les Hauts.

Né en 1933 en Bosnie, Omer Resic a séjourné à La Réunion de 1992 à 1998. Pendant 6 ans, il a résidé à Saint-Denis. Il a été professeur de dessin, gravure, mosaïque et sérigraphie à l’Ecole des Beaux Arts de la ville du Port.

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« Après une école d’architecture, une école des arts appliqués et l’école des beaux-arts, il devient professeur d’art appliqués à Sarajevo. Il se spécialise en peinture murale à Zagreb et réalise des fresques, mosaïques et peintures murales en Yougoslavie. En 1963 il s’installe en France et expose régulièrement en groupe en France, en Belgique, Angleterre, Pologne et ex URSS. Puis il expose seul en Yougoslavie, et participe en mai au salon d’automne de Paris.»

Avant de quitter le sol réunionnais, Omer Resic nous a laissé une contribution artistique dont nous percevons — surtout aujourd’hui — la portée. Un port-folio contenant dix planches sérigraphiées et réalisées au Port, dans l’atelier de Jean-Max Roustanjee. Cette oeuvre intitulée « Les rues de Saint-Denis de La Réunion » et publiée aux « Éditions Village Titan », nous replonge, 20 ans plus tard, dans magie de la ville réunionnaise, quelque peu érodée depuis par un manque d’attention chronique. Le talent d’Omer Resic se mesure alors, au delà de la technique artistique, par sa capacité évocatrice et sa charge émotionnelle. C’est un hommage à Saint-Denis. Un hommage et un témoignage sublimés par la précision du geste, qui suggère plus qu’il ne démontre.

« Aujourd’hui, j’ai un certain âge (on m’appelle « l’ancien » ou « Omero veccio » !), confie Omer Resic. J’ai traversé ou vécu dans des lieux divers : Sarajevo, Belgrade, Zagreb, Vienne, Varsovie, Paris, l’île de La Réunion, les Ardennes et mon amour pour la peinture, et surtout pour la gravure, est resté le même, encouragé par les nouvelles possibilités d’expressions techniques que je mélange dans mes oeuvres ».capture_d_ecran_2015-08-09_a_22.42.38_resultat

L’œil d’Omer Resic va-t-il nous ouvrir les yeux ?

Nathalie Valentine Legros et Geoffroy Géraud Legros

Tous nos remerciements vont au site  http://www.7lameslamer.net/

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Nous avons le plaisir de rééditer l’interview donnée il y a quelque temps par Christiane Fauvre-Vaccaro qui a été pendant de longues années Enseignante à l’Ecole des Beaux-Arts du Port. Ce texte devrait être profitable aux décideurs locaux et au public réunionnais soucieux de l’esthétique de nos villages et de nos villes.

dpr : Je voudrais savoir comment vous est venue l’idée d’écrire votre livre « Des cases et des couleurs à La Réunion » ?

Christiane Fauvre-Vaccaro : Ce qui m’a frappée quand je suis arrivée à La Réunion, c’est la proximité de l’habitat et du végétal. Ce végétal était placé sous le signe de la couleur ; partout il y avait des fleurs. Cette végétation, cette couleur constituaient comme un bain de lumière. C’était féerique !

J’ai voulu voir avec mes élèves quel était leur rapport à la couleur : j’ai été sidérée par la réponse qu’ils m’apportaient dans leurs travaux, une réponse extrêmement colorée. J’arrivais alors de Métropole où les enfants avaient  « peur » de la couleur. Ils voulaient bien faire du dessin mais pas de la peinture.

La couleur m’a semblé dès le départ être quelque chose de très fort à La Réunion, un « marqueur » de la culture créole, un « marqueur d’ethnicité » Ceci était d’autant plus évident que j’habitais alors à Bras-Panon, puis à Saint-André où les maisons sont très colorées.

dpr : ceci était-il valable pour toutes les cases ?

Christiane F-V : Non, il y avait une différence nette entre les cases des maîtres qui étaient blanches et les cases des gens plus modestes. La couleur était  non seulement un « marqueur d’ethnicité », mais aussi un marqueur social, indiquant manifestement une différence de classe. Avoir une case blanche, c’était montrer un statut. Le petit peuple pouvait, lui, s’adonner à la couleur…Il faut se souvenir que la couleur sous d’autres latitudes a été connotée comme vulgaire, pratiquement jusqu’au XXème siècle.

Case blanche= statut.

Il y avait donc chez les Réunionnais un rapport très fort aux couleurs dans leur habitat. Ceci était également valable pour les vêtements, alors que maintenant les gens, les jeunes surtout, sont vêtus de manière assez uniforme.

Autrefois, en Europe le « bon goût », c’était la non-couleur. Que l’on se souvienne du débat entre les Florentins et les Vénitiens. Les Florentins, plus cultivés, plus intellectuels, étaient « plus » sur le dessin, alors que les Vénitiens étaient davantage dans le carnaval, dans la couleur, dans le côté « corps qui exulte ».
C’est ce rapport au corps qui m’a intéressée : on retrouve en effet le corps à travers la couleur. La non-couleur c’était la négation du corps.

dpr : Quelles étaient les couleurs utilisées pour les cases créoles ?

Christiane F-V : il y avait souvent du rouge-pétard, du vert-flashy, bref des couleurs vives. Les gens aimaient ces couleurs et mettaient aussi  des couleurs vives sur leurs cases, parce qu’avec le soleil les couleurs passaient vite et si on voulait qu’elles durent un peu, il fallait qu’elles soient très vives au départ.

Le choix des couleurs relève également de la tradition culturelle. Sur la côte Est de La Réunion, il y a beaucoup de gens d’origine indienne et pour les hindous, le rouge, le jaune, l’orangé sont des couleurs ayant une signification symbolique forte : l’orange est une couleur sacrée de l’Hindouisme. Pour les Chinois le rouge est une couleur faste. Le rapport à la couleur vient d’un fond culturel très fort : étant donné l’origine ethnique des gens, les cases n’étaient pas colorées de la même manière, si bien que les passants pouvaient reconnaître l’origine des habitants de telle ou telle case. En fonction des couleurs on disait : «  C’est un malbar qui habite là ! » Pour le « zarab » la couleur souvent utilisée était le blanc. Le vert, couleur préférée de Mahomet, symbole du salut était également considéré comme bénéfique (cf. le drapeau vert du Pakistan, celui de l’Arabie Saoudite et de bien d’autres pays musulmans). Bref, les « marqueurs d’ethnicité » sont multiples et la couleur en fait partie.

dpr : La différence ethnique était-elle toujours marquée aussi nettement ?

Christiane F-V : Pas toujours ; avec le métissage, le clivage ethnique avait tendance à s’estomper ; les couleurs des chapelles de Saint-Expédit, le culte qui lui est rendu, me semblent relever d’un syncrétisme, d’un métissage certains. Quant aux couleurs des temples hindous d’autrefois, elles me paraissent relever également d’un certain métissage, correspondant aux diverses origines des fidèles. Ce n’étaient pas les couleurs qu’on retrouvait en Inde, à Pondichéry, par exemple.

J’ai l’impression actuellement que l’on veut « corriger » l’histoire. L’on parle d’une « mise aux normes » : on va chercher des prêtres, des sculpteurs, des peintres en Inde ; on effectue une sorte de retour aux sources, à ce que l’on croit être «  l’authenticité » originelle. En fait on s’aligne sur des modèles extérieurs, on renie une partie de son histoire, ce que l’on a été dans le passé, ce que l’on a partagé avec les autres. Depuis quelque temps on reconstruit un  passé qui n’existait pas. Ce pourrait être l’objet de tout un débat. (Ci-contre le temple Hindou en construction à Commune Primat, à St Denis, selon les « normes » importées).

dpr : Que penser des « coups de peinture » des collectivités et du fait que, par exemple à Hell-bourg, on trouve tant de toits rouges que cela en devient uniforme ?

Christiane F-V : les toits rouges sont un index ; c’est-à-dire que cela montre : ceci est un toit. La tôle n’est pas un matériau « noble »…Il se peut que d’une certaine façon ce soit une « identification » à la tuile. En Europe les toits sont majoritairement rouges, ocre, en terre cuite. Ici c’est peut-être une façon un peu métaphorique de dire : ceci est un toit, une vraie toiture. C’est une indication quant au fait que c’est « architecturalement » une « vraie » toiture.

L’explication selon laquelle les anti-rouille au minium étaient  naguère rouges ne se justifie plus maintenant où les anti-rouille sont de couleurs variées. Il me semble que dans le végétal, dans la verdure, la maison est « indexée » par son toit. En outre c’est une association qui fonctionne, étant donné que le rouge est la couleur complémentaire du vert.

Quand les toits rouges étaient peu nombreux ils ne choquaient pas. Maintenant c’est son uniformité qui peut gêner ; la faute en incombe sans doute aux industriels qui produisent toujours les mêmes rouges.

dpr : N’avez-vous pas ouvert la boîte de Pandore en écrivant votre livre « Des cases et des couleurs à La Réunion » et en montrant ce goût des Réunionnais pour la couleur ?

Christiane F.V : J’ai effectivement mis le doigt sur la couleur et maintenant on met de la couleur n’importe où, n’importe comment. Autrefois cela correspondait à quelque chose de fort ; c’étaient les habitants qui étaient paysagistes. Ce n’était pas les architectes qui avaient pensé pour eux. Ce côté spontané de la couleur est devenu quelque chose qui dépend du bon gré de tel ou tel architecte. Cela ne correspond plus à rien du tout, car on a oublié l’autre volet qui est pour moi essentiel, à savoir le végétal. Pour moi la couleur est indissociable du végétal. On met de la couleur sur du béton et nulle part il n’y a du végétal. C’est une incompréhension complète de ce que j’ai voulu dire. Ce n’est peut être pas moi qui ai influencé les architectes, mais mon livre a peut être lancé une mode. Avant que je ne fasse mon livre, personne, à part Corinne Etave dans son travail sur les cases du Sud de La Réunion, n’avait vraiment « vu » les couleurs à La Réunion. On les trouvait moches, criardes, trop bariolées. On parlait d’architecture créole et on ne voyait que les « cases de maîtres » blanches. Les petites cases ont relancé la mode de la couleur, mais l’orientation qui a été prise par la suite ne va pas dans le bon sens

dpr : Pourquoi cela ?

Christiane F-V : C’est qu’on assiste, avec une densification mal maîtrisée, à la disparition quasi-totale du végétal. On aura beau mettre les couleurs les plus vives, les mieux assorties, cela ne fonctionne pas sans le végétal. Ce qu’on appelle «  la belle couleur », si on la sort du contexte, peut très bien ne plus être belle. Un rouge va être beau sur un fond vert ou bien parce qu’il y a un bougainvillier fleuri à côté, s’il y a un croton devant. Le contexte végétal était là pour exalter la couleur.

Immeuble récemment construit à Ste Clotilde aux dépens du végétal, seules les petites cases maintiennent le végétal.

dpr : on voit ici ou là une construction géométrique  flamboyante sur un flanc de colline. Cela est parfois choquant…

Christiane F-V. Il n’y a pas de règle générale. Il faut étudier cas par cas. Il y a deux options en architecture : soit on intègre la maison au paysage. C’est ce que fait Frank Lloyd Wright pour la maison à la cascade (1) ; la maison est dans ce cas parfaitement intégrée à la cascade. Ou alors on prend le parti de faire une architecture qui va être, elle-même, une mise en valeur du contexte. L’architecture sera  là pour exalter ce qui l’entoure. De toute façon le site est extrêmement important pour prévoir l’architecture.

dpr : je vous remercie infiniment au nom de tous nos lecteurs.

Christiane FAUVRE-VACCARO a été enseignante et formatrice en arts plastiques et en histoire de l’art à La Réunion depuis 1976.

– En 1984 elle a écrit et publié avec le CAUE et village TITAN un livre        intitulé : Des cases et des couleurs à La Réunion

– Elle a participé à la publication universitaire : «  cultures empiriques et identités culturelles ».

– En 2006  elle a publié avec l’Ecole des Beaux-Arts de La Réunion « Paysages fertiles » avec la collaboration d’Edward Roux, Jean-Louis Robert et Laurent Zitte.

(1) On trouvera aisément sur Internet un site présentant «  la maison à la cascade » de Frank Lloyd Wright.

 

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Dpr974 a interviewé Christiane Fauvre-Vaccaro

Enseignante à l’Ecole des Beaux-Arts du Port.

dpr : Je voudrais savoir comment vous est venue l’idée d’écrire votre livre « Des cases et des couleurs à La Réunion » ?

Christiane Fauvre-Vaccaro : Ce qui m’a frappée quand je suis arrivée à La Réunion, c’est la proximité de l’habitat et du végétal. Ce végétal était placé sous le signe de la couleur ; partout il y avait des fleurs. Cette végétation, cette couleur constituaient comme un bain de lumière. C’était féerique !

J’ai voulu voir avec mes élèves quel était leur rapport à la couleur : j’ai été sidérée par la réponse qu’ils m’apportaient dans leurs travaux, une réponse extrêmement colorée. J’arrivais alors de Métropole où les enfants avaient  « peur » de la couleur. Ils voulaient bien faire du dessin mais pas de la peinture.

La couleur m’a semblé dès le départ être quelque chose de très fort à La Réunion, un « marqueur » de la culture créole, un « marqueur d’ethnicité » Ceci était d’autant plus évident que j’habitais alors à Bras-Panon, puis à Saint-André où les maisons sont très colorées.

dpr : ceci était-il valable pour toutes les cases ?

Christiane F-V : Non, il y avait une différence nette entre les cases des maîtres qui étaient blanches et les cases des gens plus modestes. La couleur était  non seulement un « marqueur d’ethnicité », mais aussi un marqueur social, indiquant manifestement une différence de classe. Avoir une case blanche, c’était montrer un statut. Le petit peuple pouvait, lui, s’adonner à la couleur…Il faut se souvenir que la couleur sous d’autres latitudes a été connotée comme vulgaire, pratiquement jusqu’au XXème siècle.

Case blanche= statut.

Il y avait donc chez les Réunionnais un rapport très fort aux couleurs dans leur habitat. Ceci était également valable pour les vêtements, alors que maintenant les gens, les jeunes surtout, sont vêtus de manière assez uniforme.

Autrefois, en Europe le « bon goût », c’était la non-couleur. Que l’on se souvienne du débat entre les Florentins et les Vénitiens. Les Florentins, plus cultivés, plus intellectuels, étaient « plus » sur le dessin, alors que les Vénitiens étaient davantage dans le carnaval, dans la couleur, dans le côté « corps qui exulte ».
C’est ce rapport au corps qui m’a intéressée : on retrouve en effet le corps à travers la couleur. La non-couleur c’était la négation du corps.

dpr : Quelles étaient les couleurs utilisées pour les cases créoles ?

Christiane F-V : il y avait souvent du rouge-pétard, du vert-flashy, bref des couleurs vives. Les gens aimaient ces couleurs et mettaient aussi  des couleurs vives sur leurs cases, parce qu’avec le soleil les couleurs passaient vite et si on voulait qu’elles durent un peu, il fallait qu’elles soient très vives au départ.

Le choix des couleurs relève également de la tradition culturelle. Sur la côte Est de La Réunion, il y a beaucoup de gens d’origine indienne et pour les hindous, le rouge, le jaune, l’orangé sont des couleurs ayant une signification symbolique forte : l’orange est une couleur sacrée de l’Hindouisme. Pour les Chinois le rouge est une couleur faste. Le rapport à la couleur vient d’un fond culturel très fort : étant donné l’origine ethnique des gens, les cases n’étaient pas colorées de la même manière, si bien que les passants pouvaient reconnaître l’origine des habitants de telle ou telle case. En fonction des couleurs on disait : «  C’est un malbar qui habite là ! » Pour le « zarab » la couleur souvent utilisée était le blanc. Le vert, couleur préférée de Mahomet, symbole du salut était également considéré comme bénéfique (cf. le drapeau vert du Pakistan, celui de l’Arabie Saoudite et de bien d’autres pays musulmans). Bref, les « marqueurs d’ethnicité » sont multiples et la couleur en fait partie.

dpr : La différence ethnique était-elle toujours marquée aussi nettement ?

Christiane F-V : Pas toujours ; avec le métissage, le clivage ethnique avait tendance à s’estomper ; les couleurs des chapelles de Saint-Expédit, le culte qui lui est rendu, me semblent relever d’un syncrétisme, d’un métissage certains. Quant aux couleurs des temples hindous d’autrefois, elles me paraissent relever également d’un certain métissage, correspondant aux diverses origines des fidèles. Ce n’étaient pas les couleurs qu’on retrouvait en Inde, à Pondichéry, par exemple.

J’ai l’impression actuellement que l’on veut « corriger » l’histoire. L’on parle d’une « mise aux normes » : on va chercher des prêtres, des sculpteurs, des peintres en Inde ; on effectue une sorte de retour aux sources, à ce que l’on croit être «  l’authenticité » originelle. En fait on s’aligne sur des modèles extérieurs, on renie une partie de son histoire, ce que l’on a été dans le passé, ce que l’on a partagé avec les autres. Depuis quelque temps on reconstruit un  passé qui n’existait pas. Ce pourrait être l’objet de tout un débat. (Ci-contre le temple Hindou en construction à Commune Primat, à St Denis, selon les « normes » importées).

dpr : Que penser des « coups de peinture » des collectivités et du fait que, par exemple à Hell-bourg, on trouve tant de toits rouges que cela en devient uniforme ?

Christiane F-V : les toits rouges sont un index ; c’est-à-dire que cela montre : ceci est un toit. La tôle n’est pas un matériau « noble »…Il se peut que d’une certaine façon ce soit une « identification » à la tuile. En Europe les toits sont majoritairement rouges, ocre, en terre cuite. Ici c’est peut-être une façon un peu métaphorique de dire : ceci est un toit, une vraie toiture. C’est une indication quant au fait que c’est « architecturalement » une « vraie » toiture.

L’explication selon laquelle les anti-rouille au minium étaient  naguère rouges ne se justifie plus maintenant où les anti-rouille sont de couleurs variées. Il me semble que dans le végétal, dans la verdure, la maison est « indexée » par son toit. En outre c’est une association qui fonctionne, étant donné que le rouge est la couleur complémentaire du vert.

Quand les toits rouges étaient peu nombreux ils ne choquaient pas. Maintenant c’est son uniformité qui peut gêner ; la faute en incombe sans doute aux industriels qui produisent toujours les mêmes rouges.

dpr : N’avez-vous pas ouvert la boîte de Pandore en écrivant votre livre « Des cases et des couleurs à La Réunion » et en montrant ce goût des Réunionnais pour la couleur ?

Christiane F.V : J’ai effectivement mis le doigt sur la couleur et maintenant on met de la couleur n’importe où, n’importe comment. Autrefois cela correspondait à quelque chose de fort ; c’étaient les habitants qui étaient paysagistes. Ce n’était pas les architectes qui avaient pensé pour eux. Ce côté spontané de la couleur est devenu quelque chose qui dépend du bon gré de tel ou tel architecte. Cela ne correspond plus à rien du tout, car on a oublié l’autre volet qui est pour moi essentiel, à savoir le végétal. Pour moi la couleur est indissociable du végétal. On met de la couleur sur du béton et nulle part il n’y a du végétal. C’est une incompréhension complète de ce que j’ai voulu dire. Ce n’est peut être pas moi qui ai influencé les architectes, mais mon livre a peut être lancé une mode. Avant que je ne fasse mon livre, personne, à part Corinne Etave dans son travail sur les cases du Sud de La Réunion, n’avait vraiment « vu » les couleurs à La Réunion. On les trouvait moches, criardes, trop bariolées. On parlait d’architecture créole et on ne voyait que les « cases de maîtres » blanches. Les petites cases ont relancé la mode de la couleur, mais l’orientation qui a été prise par la suite ne va pas dans le bon sens

dpr : Pourquoi cela ?

Christiane F-V : C’est qu’on assiste, avec une densification mal maîtrisée, à la disparition quasi-totale du végétal. On aura beau mettre les couleurs les plus vives, les mieux assorties, cela ne fonctionne pas sans le végétal. Ce qu’on appelle «  la belle couleur », si on la sort du contexte, peut très bien ne plus être belle. Un rouge va être beau sur un fond vert ou bien parce qu’il y a un bougainvillier fleuri à côté, s’il y a un croton devant. Le contexte végétal était là pour exalter la couleur.

Immeuble récemment construit à Ste Clotilde aux dépens du végétal, seules les petites cases maintiennent le végétal.

dpr : on voit ici ou là une construction géométrique  flamboyante sur un flanc de colline. Cela est parfois choquant…

Christiane F-V. Il n’y a pas de règle générale. Il faut étudier cas par cas. Il y a deux options en architecture : soit on intègre la maison au paysage. C’est ce que fait Frank Lloyd Wright pour la maison à la cascade (1) ; la maison est dans ce cas parfaitement intégrée à la cascade. Ou alors on prend le parti de faire une architecture qui va être, elle-même, une mise en valeur du contexte. L’architecture sera  là pour exalter ce qui l’entoure. De toute façon le site est extrêmement important pour prévoir l’architecture.

dpr : je vous remercie infiniment au nom de tous nos lecteurs.

Christiane FAUVRE-VACCARO est enseignante et formatrice en arts plastiques et en histoire de l’art à La Réunion depuis 1976.

Elle enseigne à l’école des Beaux-Arts de La Réunion.

– En 1984 elle a écrit et publié avec le CAUE et village TITAN un livre        intitulé : Des cases et des couleurs à La Réunion

– Elle a participé à la publication universitaire : «  cultures empiriques et identités culturelles ».

– En 2006  elle a publié avec l’Ecole des Beaux-Arts de La Réunion « Paysages fertiles » avec la collaboration d’Edward Roux, Jean-Louis Robert et Laurent Zitte.

(1) On trouvera aisément sur Internet un site présentant «  la maison à la cascade » de Frank Lloyd Wright.

 

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La maison Larée et sa varangue (Saint-Louis , La Réunion)

« Varangue », d’où nous vient ce mot étrange ?  L’esprit  se laisse aller, vagabonde, imagine Pondichéry, Goa, Chandernagor…

Qui donc a eu en premier l’idée de monter varangue sur la terre de La Réunion ? Son nom a  depuis longtemps disparu, englouti dans le « fénoir » (1)  mais, aujourd’hui encore, sous la varangue, la lumière entre à flots. La verdure déborde. On croirait être à l’extérieur…

… Certes…mais sous la varangue, on peut aussi se protéger du soleil, s’abriter de la pluie ; on est donc à l’intérieur !… Pas vraiment…C’est comme si l’on était à l’intérieur !

À la fois au dedans et au dehors : l’on est sous la varangue !

Observez à présent comment la varangue fait la fière, prend la pose, fait des manières. Cela ne l’empêche pourtant pas, en  vraie varangue qu’elle est, de vous accueillir dans ses fauteuils de rotin, d’être  d’accord pour que l’on vous serve une tasse de café ou pour vous laisser faire la sieste dans la touffeur du mois  de janvier.

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Sous la varangue…

C’est là que grand-père jouait aux cartes, c’est là qu’il lançait à la cantonade toutes sortes de sirandanes (2) pour mettre à l’épreuve l’imagination des enfants. C’est encore là qu’il racontait des histoires à mourir de peur, à mourir de rire, les histoires de Ti-jean défiant grand Diable à la fesse en or….Cela fait bientôt trente ans que grand-père s’en est allé vers d’autres cieux, mais son fauteuil-pliant est toujours là qui l’attend, au cas où il lui prendrait envie de revenir.

À la brune les amis débarquent : les bonbons-piment poiquent les lèvres (3), les premières pistaches (4) en appellent d’autres, le rhum arrangé délie les langues. Par delà le barreau (5), de l’autre côté de l’océan, loin là-bas, la misère, la violence, la guerre : la terre tourne de travers !

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Maison Drouhet (Fond de la rivière Saint-Denis) avant le passage des vandales.

A présent la nuit tombe… Vous qui passez dans la rue, hâtez le pas !… Ne  faites surtout pas de bruit, les enfants ! L’affaire est sérieuse !

Avec quelques amis, sous la varangue, laissez nous refaire le monde !

Robert Gauvin

Adapté du créole réunionnais (extrait de « La Rényon dann kër », UDIR 2007)

Notes :

(1) Le fénoir : la nuit, les ténèbres.

(2) La sirandane, le kosa-in-shoz : la devinette.

(3) poikent : brûlent.

(4) Les pistaches : les cacahuètes

(5) Le barreau : le portail.

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PNG - 2.5 MoConstruite selon toute vraisemblance au 19ème siècle, la maison du vieux Valentin de la rue Sainte-Marie, remarquable par son architecture, son agencement intérieur et son histoire, a traversé le 20ème siècle… pour être écrasée il y a peu. Mais, miracle, on nous promet une « reconstruction à l’identique », à quelques détails près… Dernier rebondissement d’une série d’atermoiements qui démontrent l’absurdité d’un système aussi cynique que bureaucratique : la dilution des responsabilités permet d’éviter la livraison d’un coupable en pâture aux « nostalgiques du bardeau » — c’est ainsi que certaines officines doivent percevoir ceux qui n’applaudissent pas à chaque fois qu’un bulldozer pointe la mâchoire. Nous ne voulons pas de coupable. Nous ne sommes pas nostalgiques. Simplement, nous ne voulons pas de copies. Laissez-nous les originaux !
La maison du vieux Valentin en 1960
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La maison du vieux Valentin en 2005…
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La maison du vieux Valentin aujourd’hui ! (Photo : Robert Gauvin)

« 7 Lames la Mer » vous racontait en détails, il y a quelques jours, l’histoire de cette maison de la rue Sainte-Marie, typique expression de l’architecture créole, sacrifiée contre toute attente alors qu’elle était répertoriée depuis 2003 en tant que bâtiment d’intérêt architectural au Plan d’occupation des sols. Les documents que nous avons produits étant tous authentiques — photos, extrait du cadastre, échanges de courriers officiels —, nous avons pu démontrer sans ambigüité les mécanismes pervers qui aboutissent trop souvent à la destruction du patrimoine architectural réunionnais.

Une alchimie complexe qui fait que l’on se sait ici…

Entendons-nous bien, lorsque nous parlons de « patrimoine architectural réunionnais », nous ne faisons aucune distinction hiérarchique car nous estimons que toutes les formes de constructions créoles sont nobles et dignes d’être « réhabilitées » autant sur le terrain que dans les esprits et les représentations : boutiques chinois, usines délabrées, petites cases, bâtisses industrielles, entrepôts désaffectés, maisons coloniales, édifices religieux… Ils méritent tous notre attention car ils participent chacun de notre identité et s’inscrivent dans l’équilibre et la composition minutieuse de notre paysage urbain et non urbain. Une alchimie complexe qui fait que l’on se sait ici, à La Réunion…

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La maison du vieux Valentin en 1935

Si les cases de la rue de Paris ont bénéficié prioritairement de moyens conséquents pour leur préservation, un peu à la manière d’une vitrine, on ne peut pour autant s’en contenter. Quelques rues plus loin, la décrépitude a déjà gagné du terrain, voire la bataille de l’immobilier et d’un urbanisme amnésique au béton tapageur.

Expression populaire et généreuse de l’architecture créole

Nous ne sommes pas des maniaques du passé ! Mais nous revendiquons un urbanisme qui n’oppose pas patrimoine et modernité, en substituant — voire en subtilisant — le premier au profit du second. Dans une île qui, peu à peu, perd sa mémoire dans l’assimilationnisme de Mac Do et des supermarchés, nous sommes partisans d’un remodelage du paysage urbain, qui soit capable d’audace en faisant cohabiter gestes et volumes futuristes, demeures coloniales et expression populaire et généreuse de l’architecture créole, trop souvent réduite au misérabilisme. Nous avons la faiblesse de penser que cela est non seulement possible, mais encore, salutaire.

Revenons à la maison du vieux Valentin — famille Payet — autrefois située rue Sainte-Marie. Nous écrivions à son sujet, il y a quelques jours : « cette maison n’existe plus ». Nous faisions alors un constat de bon sens. Nous persistons et signons : « cette maison n’existe plus » et quoi que l’on fasse, cette maison n’existera plus car elle ne renaitra pas de ses cendres.

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Reconstruction à l’identique

Ce qui a eu raison de la maison du vieux Valentin, ce n’est pas le feu… mais une accumulation de turpitudes : absence d’entretien, abandon, attaques de cariats, agissement d’un marchand de sommeil, bidonvillisation, déstructuration des agencements intérieurs, etc. En d’autres termes : indifférence, voire cupidité ! Réputée « répertoriée en tant que bâtiment d’intérêt architectural au Plan d’occupation des sols », cette maison aurait dû légitimement bénéficier en temps voulu de la réhabilitation à laquelle elle pouvait prétendre, eu égard à son caractère et si l’on se réfère à un écrit de l’architecte des bâtiments de France, chef du service départemental de l’architecture et du patrimoine, insistant sur les « éléments remarquables » que constituaient « l’imposte ajourée de la varangue et les consoles chantournées ».

Pour des raisons diverses qui ne font que démontrer l’impuissance — voire l’incurie — d’un système dont chaque maillon s’emploie à ouvrir le parapluie, la maison n’existe plus.

Aujourd’hui, nous recevons sur le site de « 7 Lames la Mer », le message suivant, posté sous le premier article consacré à cette maison : « Un permis de construire a été déposé qui prévoit la reconstruction à l’identique (implantation légèrement avancée) et à l’arrière construction de 3 logements. Avis favorable de l’Architecte des Bâtiments de France du 10 décembre 2012 avec prescriptions : « les détails constructifs et décoratifs de la case reconstruite seront en tous points identiques à ceux de la maison d’origine ». Jean-Pierre Espéret, adjoint au maire chargé de l’aménagement et de l’urbanisme. »

Comme cette boisson gazeuse autrefois célèbre

On notera, pour être tout-à-fait juste, que M. Espéret applique ses promesses en terme de proximité, et ne fait pas, comme d’autres, la sourde oreille à la critique. Néanmoins, nous ne nous réjouissons pas trop vite. Faute de mesures efficaces pour sauvegarder l’originale, vous aurez droit à une copie « à l’identique » ! Que demande le peuple ? Une reconstruction « à l’identique », et l’on sauve ainsi la face et la façade… Car, vous dit-on, ce sera « à l’identique » mais avec « une implantation légèrement avancée », histoire de libérer du terrain à l’arrière pour construire trois logements. Identique mais pas tout à fait la même. Pas la même du tout ! On vous le dit : la case du vieux Valentin n’existe plus et n’existera plus jamais !

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Les « reconstructions certifiées copies conformes » ne sont la panacée. Loin de là. Elles sont des alibis, des instruments qui permettent de transformer notre paysage urbain en décor, avec une succession de trompe-l’oeil, à la manière de Cinecitta mais sans l’art. Nos villes sont-elles vouées à devenir une succession de reconstitutions muséales à travers lesquelles nous déambulerons comme des touristes ? Des villages de Potemkine cache-misère, au pays du fameux « vivre-ensemble » dont on nous rebat les oreilles ? Notre île est-elle vouée à devenir un immense musée à ciel ouvert oû les habitants seront réduits au rôle de figurants à la solde du tourisme international ?

La maison du vieux Valentin reconstruite « à l’identique »… ce sera comme cette boisson gazeuse autrefois célèbre : ça ressemblera à la maison du vieux Valentin, ce sera doré comme la maison du vieux Valentin… mais ce ne sera pas la maison du vieux Valentin !

Geoffroy Géraud Legros & Nathalie Valentine Legros

Avec les remerciements de DPR974 à 7lameslamer.net et à ses auteurs Geoffroy Legros et Nathalie Legros.

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Un maire, un architecte des bâtiments de France, une pièce secrète, un marchand de sommeil, un vieux menuisier spécialisé dans les cercueils, un chirurgien, une dent creuse… Voici l’histoire vraie d’une maison qui n’existe plus pour cause de permis de (cons..) détruire ! Répertoriée en tant que bâtiment d’intérêt architectural au Plan d’occupation des sols en 2003, elle est abattue en 2013. Histoire vraie d’une île où l’on organise l’amnésie.

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La maison du vieux Valentin

Le barreau s’ouvrait en chantant. A gauche, la terrasse surplombait la rue tandis qu’à droite, un garage servait d’atelier au vieux Eliséon, un menuisier spécialisé dans la fabrication de cercueils.

Une allée traversait le jardin odorant et tout en dentelle. Le soir tombait. La varangue s’éteignait avec le soleil. A l’arrière de la case, le moulin à café broyait du noir, bien serré, tandis que le pétrole coulait dans la lampe.

Méthodique et dévastateur labeur

C’était l’heure des cariats mangeurs de bois. Des cariats qui auraient peu à peu raison de bien des édifices créoles.

Mais les cariats ont bon dos. C’est souvent en leur nom que sont réduites en poussière et gravats petites boutiques et grandes cases. Avec une bonne dose d’hypocrisie, combinée à quelques penchants naturels pour la cupidité et une tendance marquée pour l’assimilation, on ferme d’abord les yeux sur les petits tas de poudre de bois qui s’amoncellent au pied des cloisons, puis on tourne les talons tandis que les minuscules xylophages poursuivent leur méthodique et dévastateur labeur.

Ensuite, on laisse le temps accomplir son oeuvre funeste. Enfin, on inspecte la cloison ; bientôt, le doigt s’enfonce à travers le bois devenu aussi mince qu’une feuille de papier. Victoire : il ne reste plus qu’à activer les engins démolisseurs.

Une société créole qui se renie

Plus expéditive est la technique de l’incendie… Plus lâche est celle du squatt que l’on fait mine de ne pas constater en regardant de l’autre côté de la rue. Les pauvres, c’est dérangeant… Plus révoltante encore est celle du marchand de sommeil : misère et insalubrité font bon ménage. La recette est payante et l’insalubrité gagne du terrain. Puis, place au jargon urbanistique : « bâtiment menaçant ruine ». Un « outil d’aménagement » est alors brandi : « arrêté de péril imminent » !

Au bout de ce parcours, la dent creuse : place nette. Trophée du vide que l’on va exhiber sous le nez des promoteurs qui pullulent dans l’île et défiscalisent à tour de bras, stigmate d’une société créole qui se renie.

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Le barreau ne chantera plus !

La rue Saint-Marie apparaît sur les plus anciens plans de la ville de Saint-Denis. Contrairement à beaucoup d’autres venelles du chef-lieu, elle a gardé le même nom depuis son origine. L’ordonnateur Cyr Honoré de Crémont fixe les noms des rues de Saint-Denis en 1777. Elles sont alors au nombre de 19 et la rue Sainte-Marie en fait partie.

La parcelle sur laquelle sera construite la maison du vieux Valentin portait le numéro 60 sur le plan de Guyomar (1742). En 1777, le chevalier Banks dessine un nouveau plan. L’emplacement est désormais numéroté 103 et délimité par les rues : Sainte-Marie, Saint-Joseph (actuelle rue Jules Aubert), de la Fontaine (actuelle rue Monseigneur de Beaumont) et la rue des Limites. Le nom du propriétaire est indiqué sur le plan : Grumiaux, qui possède également une parcelle en vis-à-vis numérotée 102.

Nicolas François Grumiaux est né dans le Nord-Pas-de-Calais aux environs de 1730. Il arrive à La Réunion « avant 1763 » et se marie en 1769 à Saint-Denis avec une demoiselle d’Achery de Salican, originaire de Saint-Paul. Le couple aura cinq enfants. Nicolas François Grumiaux sera nommé chirurgien major en 1769 et décèdera à Saint-Denis, à 79 ans, en 1809, trente ans après sa femme.

Mais revenons à notre parcelle N°103. En 1880, un plan dressé par C. Jacob de Cordemoy montre que la parcelle a été réduite : la rue de la Boucherie (actuelle rue Jules Olivier) a été prolongée et coupe désormais la parcelle en deux pour rejoindre la rue Monseigneur de Beaumont. Sur ce plan, un édifice est indiqué à l’emplacement : « école des soeurs », situé exactement au même endroit que l’actuelle école des Flamboyants. Sur un plan anonyme daté de 1861, l’établissement est indiqué sous l’appellation : « collège Sainte-Marie ».

La maison du vieux Valentin a vraisemblablement été construite au cours du 19ème siècle, au 70 de la rue Sainte-Marie (ancienne numérotation), sur un emplacement de la parcelle N°103. Comme beaucoup de maisons créoles, elle a d’abord été conçue avec des dépendances en arrière cour, dont la cuisine, un lavoir et les toilettes (un trou dans la terre). Puis, la maison principale a été agrandie vers l’arrière : trois pièces ont été ajoutées : cuisine, salle de bain, toilettes.

Une pièce cachée dans la maison

L’architecte a réalisé le plan de la maison en y introduisant un élément secret : les pièces sont organisées autour d’un espace caché dont on ne perçoit jamais l’existence même si l’on explore tous les recoins de la maison, que ce soit au rez-de-chaussée ou à l’étage. De l’extérieur, les volumes de la maison semblaient conformes aux espaces intérieurs connus.

Pourtant, à l’intérieur, un espace caché — ou « pièce secrète » — permettait, à partir de la salle à manger, de rejoindre l’étage par un système de « portes dérobées » et un petit escalier de pierre qui serpentait sous l’escalier « officiel » en bois. On accédait ainsi à une vaste pièce aveugle, indétectable et située à mi-étage. Grâce à une trappe actionnée dans la cloison, on pouvait alors quitter la pièce secrète et l’on se retrouvait au milieu de l’escalier officiel, à quelques marches du palier de l’étage.

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Photo prise en 1935. La varangue n’est pas encore fermée…

Comme ce fut le cas pour certaines maisons créoles, l’architecte prit bien soin de détruire ses plans afin de mieux conserver le secret et aussi d’éviter que son oeuvre ne soit reproduite. La tradition réunionnaise veut que de nombreux plans de maisons aient ainsi fini dans les flots de l’océan Indien ou en fumée…

Dans la famille du vieux Valentin, les légendes étaient nourries par l’existence de cette pièce cachée dont le secret était précieusement gardé… et transmis aux descendants. Dans sa dernière époque, la pièce cachée servait surtout de débarras : vieux meubles casés et remisés… mais elle gardait quand même les traces intactes de sa fonction essentielle : une cache qui abritait une vraie chambre, avec un lit, un fauteuil, une table, quelques livres et la poussière comme un linceul posé sur ce passé figé.

La façade est rapiécée

Vendue au milieu des années 80, la maison du vieux Valentin connaîtra un triste sort… Peu à peu, elle décline faute d’entretien. Vingt ans plus tard, elle s’est « bidonvillisée ». En 2003, nous faisons une halte sur le trottoir et jetons un oeil à travers le barreau. Le jardin a disparu. Au bout de l’allée, la façade est rapiécée…

Nous décidons d’interpeler les autorités (voir encadré ci dessous). Même si le processus de dégradation est déjà bien avancé, il est encore temps de réagir…

En quête d’un souvenir

Deux ans plus tard, la partie est perdue. 2005, nous sommes à nouveau devant le barreau. Un homme muni d’un impressionnant trousseau de clés s’avance sur le trottoir. Inquiet de notre curiosité, il accepte de nous laisser entrer malgré tout, face à notre insistance, et dévérouille le barreau qui s’ouvre en gémissant. Non, nous ne sommes pas du service social ni de celui de l’immigration. Nous sommes juste en quête d’un souvenir, d’une bribe d’enfance…

Ici, c’est Alcatraz !

Chaque pièce a été compartimentée en trois à quatre « cellules » : des boxes exigus avec un matelas à terre. Des baraquements ont été édifiés dans la cour arrière et augmentent la capacité des lieux.

Au total, on estime à une soixantaine (minimum) le nombre de boxes-chambres… Les cloisons sont rongées par les cariats, et des morceaux de carton masquent les trous. Le plafond s’effondre par endroits.

Une femme, un bébé calé sur la hanche, nous résume la situation : « ici, c’est Alcatraz ! ».

Nathalie Valentine Legros

Chers lecteurs vous pouvez consulter le site suivant pour plus d’informations: « Cette maison n’existe plus ! »

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