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Archive for the ‘Littérature’ Category


          Zot i ansouvien, kan nou té marmay, koman nou té koup par santié dann bitassion Méssié Fénouss ? Nou té amuz pa pou kass son kann-Bonbon ; nou té fé le vif pou shaboul kou d’galé son mang-drajé. In zié té i vol mang, lot zié té i vèy si gardien té vien pa…La pèr té sér le vantr, mé lanvi té tro for, lèrk nou lavé diz an.

Zot i rapèl ankor, lané nout kinz an, kan nou té sar kass zambrozad par koté la rivière ? Le kèr té i kongn dann do, la jamb té i  tranm, lèrk nou té rod kosté sanm inn ti manmzel  bien pommé. Ah ! Bordaj la rivière ousak le zié lamour la komanss rouvèr !

Apréla nou la suiv in kantité shemin-kass-kontour : nou té toujour a dmandé kosa navé par déryér tournan-la, kèl kaskad delo-d’arjan, kèl plato-dé-flèr té i atann anou ? Mé plu souvandéfoi, déryér premié tournan navé arienk in ot tournan kashièt…Parèy dan la vi…Inn vi nou té kroi konprann : nou lavé 20 an !

Depusa le tan la passé ; défoi la pente té rèd, réspirassion té i mank, galé té i déboul sou nout pié ; nou té avanss  piang-an-piang, mésoman nou la gingn ariv  o bout. Là, anlér piton, nu gingn woir par dann fon nout péi an kado devan nou èk tout shemin nou la fine traversé. Le zié i brul, le kèr i gonf, fierté èk regré melanjé.

Shemin La Rényon, shemin nout péi…Sa la amont anou koman i lé la vi !

Robert Gauvin.               

la Rényon dann kèr

LES SENTIERS DE DÉCOUVERTE

 

Vous souvenez-vous du temps de notre enfance, quand nous prenions des raccourcis à travers les champs de Monsieur Fénousse ? Nous avions vite fait de chaparder une ou deux cannes bonbon. En moins de deux, à coups de galets, nous faisions aussi tomber ses mangues dragées. D’un œil on volait des mangues ; l’autre oeil servait à monter la garde au cas où un gardien arriverait…La peur nous serrait le ventre, mais l’envie était trop forte quand nous avions dix ans.

Vous rappelez-vous encore l’année de nos quinze ans quand nous allions cueillir des jameroses au bord de la rivière ? Le cœur battait à tout rompre, la jambe flageolait quand on essayait d’aborder une demoiselle bien pommée. Ah ! Les bords de rivière où, pour la première fois, les yeux de l’amour se sont ouverts !

Par la suite nous avons emprunté de nombreux chemins aux multiples lacets : nous en étions toujours à nous demander, quelle cascade argentée, quel « Plateau des Fleurs » nous attendait encore. Mais la plupart du temps, derrière le premier tournant, ne se cachait qu’un autre tournant, comme dans la vie…Une vie que nous pensions comprendre : nous n’avions alors que 20 ans !

Depuis lors le temps a passé ; parfois la pente était raide, le souffle venait à manquer, nous sentions les galets se dérober sous nos pieds. Nous avancions tant bien que mal, mais nous sommes malgré tout, arrivés au bout. Là, du haut du piton, nous pouvions découvrir notre pays, offert à nos regards, avec tous les chemins que nous avions parcourus. Nos yeux brûlaient, notre cœur se gonflait, fierté et regrets mélangés.

Sentiers de La Réunion, sentiers de notre pays, vous nous avez appris à connaître la vie !

Traduction : R. Gauvin et H. Payet

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                  Péi Bondië

 

In zour l’roi Bondië la di/Moin la fini fé tout péï/Pou noir péï zafrikin/Pou blan péï zoropéin/Inn pou bann Zarab/Inn pou tout Shinoi/Inn pou tout Zindien/Èk in gran pou Zamérikin/Astèrk moin na la min/M’a fé kèkshoz lé byien :

Lü la fé inn ti boute la tèr/Lü la poz sü milië la mèr/Ou toultan solèy i briy/Lü la fé nout péï/La donn alü in ta d’nom/Pou fini La Rényon/Somanké pou sa sü l’boute la tèr/Nana d’monn tout koulèr/

Prömië débü té dézér/Prop konm la tête mon granpér/I fo di azot son manman/Lété in volkan/La briz la porté/Lo grin tout kalité/ Prömié kou la  plü/Tout sa la verdi/La pa atann lontan/L’prömié zabitan/

Zoizo la travèrs la mèr/Pou venir sü s’bout la tèr/Koman la fé pou gingn lapin/Sa dömann pa moin/Prömié boug la débarké/Lété in bann kondané/Lèrk la vnü shérsh azot, zot la di/Anou nü par pü/

Apré dot la débarké/Sa péï Bondië la doné/Zot va done alü la valèr/Va travay son tèr/La komans koupé/L’bon boi son foré/La tüé tout lapin/Èpi la fé plinn shömin/Ouk i lé nout péï/Lü k té bien zoli ?

Le roi Bondië sar pa kontan/Lérk lü va oir son zanfan/La sakaj son n’ti péï/Pou fé konm Pari/I di dann Loséan indyien/Lü vitrinn Zoropéin/Bondië mi domann aou siouplé/Di azot asé !

 

François Saint-Alme.

 

Carte du Péï Bondié. Illustration Huguette Payet.

 

Poème

 

LE PAYS DU BON DIEU (Traduction DPR974)

 

Un jour, Dieu le roi a dit/J’ai créé toutes sortes de pays/Pour les noirs les pays africains/Pour les blancs les pays européens/J’ai fait un pays pour les Arabes/Un autre pour les Chinois/Un autre encore pour les Indiens/Et un grand pour les Américains/ Maintenant que je me suis fait la main/Je vais faire quelque chose de bien/

Il a façonné un petit bout de terre/Qu’il a posé au milieu des mers/Là où toujours le soleil brille/Il a créé notre pays/À ce pays on a donné toutes sortes de noms et pour finir La Réunion/Peut-être est-ce pour cela que sur ce bout de terre/il y a des hommes de toutes les couleurs/

Au début ce pays était désert/Nu comme le crâne de mon Grand-père/Il faut dire que sa maman était une montagne-volcan/La brise a apporté des graines de toutes qualités/À la première pluie tout a reverdi/Et il ne fallut pas attendre longtemps ses premiers habitants/

Les oiseaux ont franchi les mers/pour se poser sur ce bout de terre/ Comment se fait-il qu’il y ait des lapins/Ma foi, je n’en sais rien/Les premiers hommes qui aient débarqué/C’étaient une bande de condamnés/Lorsqu’on est venu les rechercher/Ils ont déclaré/Nous, on ne repart plus/

Ensuite d’autres sont arrivés/Sur ce pays donné par Dieu/Ils le mettront en valeur/Travailleront sa terre/Ils ont commencé par couper le bon bois de ses forêts/Ont décimé tous ses lapins/Et ont tracé de multiples chemins/ Où est passé notre pays/Lui qui était si joli ?

Le roi Bon Dieu ne sera pas content/Quand il verra que ses enfants/Ont saccagé son petit pays/Pour faire comme à Paris/On prétend que dans l’Océan indien/C’est la vitrine des Européens/Je t’en supplie, Bon Dieu/Dis leur que cela suffit !

François Saint-Alme.

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PLÉONASME


Ticoq (1) a de la fièvre ; sa maman l’emmène chez le médecin. Lorsqu’ils arrivent au dispensaire il y a déjà des gens qui patientent dans la salle d’attente : certains lisent leur journal, des femmes allaitent leurs enfants, d’autres encore  discutent de choses et d’autres avec  leurs connaissances. Quant aux enfants, certains, craignant les infirmières aux blouses blanches, poussent des cris de terreur.

Ticoq, lui, fixe du regard la porte par laquelle les patients passent au fur et à mesure. Sur la porte, un  écriteau : « Cabinet du docteur X »… et cela l’inquiète : « Cabinet !…cabinet ! » se dit-il intérieurement : «  mais je n’ai pas besoin d’aller au cabinet ! » Soudain c’est son tour d’entrer dans ce cabinet ! Pas de fuite possible, sa mère lui tient la main. Elle le présente au docteur ! Ticoq se résigne et entre.

Une fois à l’intérieur, il se rend compte que cela n’a rien à voir avec un  cabinet ! Bien au contraire ! Ce qu’on appelle cabinet est un grand et beau salon avec beaucoup d’objets brillants et un petit lit blanc au milieu de la pièce !…Quant au docteur, un grand zoreil (2),  blanc et maigre comme un hareng, au lieu de lui demander d’enlever son short pour aller au cabinet, il lui fait enlever sa chemisette pour l’ausculter ! Et puis, ce médecin est plutôt facile à vivre. Il parle comme il faut à Ticoq. Il lui demande : « Alors, jeune homme, qu’est-ce qui ne va pas ? »

Ticoq est tout fier qu’on l’appelle « jeune homme ». Il se lance à son tour en un français mal dégrossi :

« – Maman a dit que j’ai la fièvre, docteur ! Épi je tousse aussi tazantan ! (3)

– Bon ! On va voir ça ! » dit le docteur.

À ce moment-là, le grand docteur prend une sorte de tuyau en caoutchouc, place deux embouts dans ses oreilles et  dirige la troisième extrémité  sur la poitrine de Ticoq en lui disant :

« Respire !…respire fort ! »

Ticoq  respire deux ou trois fois, l’appareil placé sur la poitrine, sur le dos, sur les côtés.

Soudain le médecin lui touche le coude  et lui demande :

«  Qu’est-ce que tu as là ?

– Un bobo, docteur !

– Oui, je vois bien que c’est un bobo, mais comment est-ce arrivé ?

– Voilà, dit Ticoq. Jean-Luc et moi on jouait aux indiens. Un moment donné, j’ai reculé en arrière pour esquive l’épée de Jean-Luc. J’ai tombé, la pluche mon bras !… » (3)

Mais pourquoi donc le docteur éclate-t-il de rire ?…

Il demande alors à Ticoq :

«  Qu’as-tu fait avant de tomber ?

– Eh bien, reprend Ticoq, j’ai…reculé en arrière !

– Mais c’est un pléonasme, mon enfant !

– C’est quoi ça? demande Ticoq.

– Un pléonasme ! C’est quand tu dis, par exemple : reculer en arrière, avancer en avant, monter en haut, descendre en bas, chaussure de pied, chapeau de tête, etc…Mais laissons cela, ce n’est pas grave !…Bon, je vais te prescrire les médicaments  nécessaires pour ce bobo. Car c’est  lui qui te donne de la fièvre…»

Quand Ticoq sort de l’auscultation, Madame Bigambé accourt et lui demande ce que le docteur a dit :

« Il a dit que j’avais un pléonasme au coude, maman ! Mais il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Ce n’est pas grave !

– Qu’est-ce que tu as alors ? demande à nouveau Madame Bigambé.

– Un PLÉ-O-NAS, répète Ticoq ! C’est cela qui me donne de la fièvre et mal à la tête ! »

A ce moment-là le front de Madame Bigambé se plisse comme la peau du cou d’un dindon et elle déclare : Il y a bien longtemps que je suis sur cette terre, mais c’est bien la première fois que j’entends parler de cette maladie !…  C’est qu’il y a tant de maladies de nos jours !!… Enfin, j’espère qu’il t’a donné les médicaments qui conviennent !

– Bon ! Donne-moi l’ordonnance pour que j’aille à la pharmacie !…Nous allons guérir ce pléonasme ! »

 Extrait de Zistoir Tikok de Christian Fontaine.

 Traduit en français par R. Gauvin et C. Fontaine.

        NOTES :

  1. « Ticoq » est un surnom qu’on attribuait souvent aux petits garçons et qui leur restait parfois toute la vie…
  2. Le « Zoreil » ou « Zorèy » est le Français de France.
  3. Le français de Ticoq fleure souvent bon son créole !

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Il était une fois un homme d’une force peu commune qui s’appelait Dimilié. Il avait un bâton d’un poids peu ordinaire. Un grand bâton, de la taille d’un cocotier mais bien plus solide. C’était une sorte de poutre en bois de fer (2)  qui ne le quittait jamais.

Dimilié avait acheté une concession sur les hauteurs de son pays et avait besoin d’hommes costauds, n’ayant pas peur du travail pour l’aider dans son entreprise. Il décida de faire battre tambour dans toute la ville pour recruter ses ouvriers : «  Si vous avez du cœur à l’ouvrage, venez rencontrer Dimilié ! Vous serez logés, nourris et bien payés ! »… Il suffisait pour prouver sa force et son courage de soulever de terre le bâton de Dimilié et de faire quelques pas…Les candidats au travail ne manquèrent pas. Mais personne n’arrivait à porter ce « bâton » sur quelques mètres, tant il était lourd.

Finalement un homme du nom de Tranche-montagne parvint à soulever le bâton et à le porter sur trois ou quatre pas.  Personne ne l’avait fait avant lui et Dimilié décida par conséquent de le recruter. Mais il en fallait d’autres et l’on fit battre et rebattre le tambour dans toute la région. On chercha partout et on finit par tomber sur un autre candidat du nom de Fondeur-de-plomb qui arrivait  tout juste à soulever le bâton. « Bien, se dit Dimilié,   prenons encore celui-là ; à trois on arrivera à s’en sortir! »

Dimilié

Le premier travail était de bâtir la case (3). Sinon, où mangerait-on le soir ? Où trouverait-on le calme ? Où dormirait-on après une dure journée de travail?… Un peu en contrebas de la case, on construisit la cuisine en bois sous paille à quelque distance de la case (un incendie est si vite arrivé !). Près de la cuisine on installa une cloche pour battre le rappel (à cette époque, il y avait toujours une cloche sur les propriétés) et un peu plus loin on installa un cabinet d’aisance.

Et une nuit passa ainsi… Le lendemain Dimilié déclara : « Aujourd’hui, Fondeur- de-plomb, tu mettras le manger au feu et quand il sera midi tu sonneras la cloche et nous descendrons pour le repas. »

Dimilié et Tranche-montagne montent  alors à l’habitation (4)tandis que Fondeur-de-plomb s’apprête à faire la cuisine. Sur le terrain, là-haut, les deux compagnons travaillent à corps perdu. On ne joue pas avec le travail…On travaille pour de bon ! On défriche 1000 gaulettes (5)de forêt, on gratte, on creuse des fosses, on plante… On défriche encore, on gratte de nouveau, on creuse d’autres fosses, on plante de plus belle et on attaque mille nouvelles gaulettes.

Mais il commence à se faire tard. Midi est passé depuis longtemps ; il y a un bon moment déjà que le soleil ne fait plus obstacle à l’ombre. Le ventre des deux compagnons commence à crier famine. Et la cloche qui ne sonne toujours pas ! Leurs entrailles se mettent à tirailler. Et toujours aucun son de cloche. Les deux hommes mangeraient des galets, les gros comme les petits. Mais la cloche reste toujours muette.

Finalement les deux hommes décident de descendre et de regagner la case. Ils entrent dans la cuisine : les marmites sont vides ! Ils entendent des appels au secours. On crie, on pleure, on geint. C’est Fondeur-de-plomb ! Il est par terre dans le cabinet, solidement attaché.

– «  Qu’est-ce qui t’est arrivé, mon camarade ? » demande Dimilié.

– « Des gens sont arrivés en nombre. Ils m’ont attaqué. Je ne me suis pas laissé faire, croyez-moi ! Je me suis défendu comme un beau diable. J’ai rendu coup pour coup. Mais ils étaient trop nombreux…Ils étaient quatre à me tenir par les bras, mais mes jambes étaient encore libres : Je leur ai servi  une volée de coups de pieds : coups de pied « bourrantes » (6)dans le ventre, coups de talons malgaches… Ils se sont mis à quatre pour me maintenir les jambes. »…

Le lendemain ce fut le tour de Tranche-montagne de rester à la case pour faire cuire le repas et Dimilié et Fondeur-de-plomb montèrent à l’habitation. Ils défrichent alors mille gaulettes de forêt : ils défrichent, grattent la terre, creusent des fosses, plantent … Ils défrichent encore, grattent de plus belle, creusent de nouvelles fosses, replantent et attaquent mille gaulettes de plus. Quand arrive l’heure de midi leur ventre se met à gargouiller, mais la cloche ne sonne toujours pas.

Dimilié dit alors à Fondeur-de-plomb : «  Ce doit être à nouveau la bande qui t’a attaqué hier ! Qu’en penses-tu ? »

Fondeur-de-plomb se contente d’émettre un grognement qui signifie : « Peut-être bien ! »

Les deux hommes arrivent alors à la case. La situation est la même que celle de la veille : dans la cuisine les marmites sont vides ; on retrouve Tranche-montagne dans le cabinet, qui appelle au secours. Attaché, enchaîné, il crie, il pleure, il se plaint : « Ils étaient toute une bande. Ils étaient au moins cinquante ! »

Le troisième jour Dimilié dit à ses compagnons : «  Écoutez-moi, vous autres, vous allez au travail ; c’est mon tour de rester. Je verrai bien comment ces bandits se comportent à mon égard. »

L’heure de midi arrive ; le manger est cuit ; rien que du mauvais (7)manger ! Du riz Basmati, un cari de bichiques, un rougail de mangues… Dimilié se prépare à sonner la cloche, quand débarque un vieillard, le crâne dénudé, portant grande barbe blanche, qui lui dit : « J’ai faim ! »

— Quand le manger est cuit, tout un chacun est bienvenu ! Je sonne la cloche et dès que mes compagnons arrivent, on passe à table. Préparez votre bouche en attendant ! »

–Je me fiche pas mal de vos compagnons : j’ai faim, je mange  et tout de suite encore ! »

Il tend la main vers la marmite, mais Dimilié l’arrête net :

–Non, grand-père ! Tu vas attendre les autres. On mangera tous ensemble ! »

Ne voilà-t-il pas que le vieillard saute sur Dimilié ! Et c’est qu’il est costaud le bougre! Il est fort comme un Turc ! Mais qui était-ce en réalité ? Pas vraiment un grand-père en tout cas. On aurait dit qu’il avait bouffé du cabri marron. Ne serait-ce pas celui qui… Vous voyez à qui je pense… Celui qui a, au derrière, une  queue enroulée comme un cordage et cache des cornes sous son chapeau !… Pour un vieillard, il était  bien vaillant.

Mais, face à Dimilié, il ne faisait pas le poids ! Dimilié l’empoigne, lui passe une clé malgache dans le cou. Puis  se saisit de son bâton, le plante en terre et y attache le vieux. Par  la barbe ! Il fait ainsi trois fois le tour du bâton. Que voilà colis bien amarré !

Fondeur-de-plomb et Tranche-montagne entendent la cloche qui sonne annonçant le repas :

  • Les bandits ne sont donc pas venus aujourd’hui ? »
  • Probablement ! »
  • Lorsqu’ils arrivent à la case tout semble normal. Dimilié est assis, tranquille comme Baptiste. De petits nuages blancs passent dans le ciel. Les becs-roses chantent dans les menées (8) de manioc. L’odeur du cari flatte les narines. Les deux compagnons prennent alors une assiette pour se servir.
  • « Vous savez, dit Dimilié, la bande de malandrins qui vous a attaqués… est  aussi venue pour m’agresser.… » Tranche-montagne et Fondeur-de-plomb sont bien gênés et n’ont pas le courage de le regarder en face.
  •  Venez voir. Elle est là, votre bande de malandrins ! »
  • Les deux compagnons ne savent plus où se mettre. Dimilié prend ses pauvres camarades en pitié ; il ne se moque pas davantage d’eux. Il leur dit : « Prenez un bâton et donnez-moi une bonne volée à ce malappris. Allez-y, mais faites attention ! frappez sur les reins, frappez sur les jambes ! frappez sur la moustache ! mais ne frappez pas sur la barbe ! Si la barbe cède…
  • Tranche-montagne et Fondeur-de-plomb ne se font pas prier. Chacun prend son bâton et ça y va : bababanm, bababanm ! Ils frappent et frappent encore ; sur le dos ! sur les jambes ! ils donnent une sérieuse volée de coups de bâton à celui qui mange le repas des autres, à ce voleur de manger cuit, à ce type qui vous attache dans le cabinet. Mais à un moment, dans le feu de l’action, le bâton tombe en plein sur la barbe ! Le vieux en oublie de demander son reste et s’enfuit à toutes jambes.
  • Bon ! C’est notre tour à présent de passer à table !
  • Quand on souleva le couvercle de la marmite, une bonne odeur se répandit dans l’air ! Elle flattait l’appétit pour de bon. Le mien en particulier. J’ai osé demander une part. La seule réponse qu’ils m’aient donnée fut un grand coup de pied au derrière qui m’a propulsé jusqu’à vous pour que je vous raconte cette histoire.
  • Conte en créole réunionnais recueilli par A. Gauvin et traduit en français par H. Payet et R. Gauvin.
  • Notes :
  • 1) Pourquoi ce nom de Dimilié ? C’est qu’il en valait plus d’un.
  • 2) Le bois de fer est un bois d’un beau brun, très dur, dans lequel il est très difficile d’enfoncer un clou.
  • 3) La « case » créole peut être une maison de paille ou de bois sous tôle ou même une villa de maître. Elle correspond en fait au « home » britannique.
  • 4) « L’habitation » en créole réunionnais signifie : l’exploitation agricole.
  • 5) La gaulette est une mesure de longueur valant 5 mètres.
  • 6) Coup de pied « bourrante » terme créole de moring (lutte) désignant un double coup de talon porté au ventre.
  • 7) « Mauvais manger » : trait d’humour traditionnel créole  qui, par antiphrase, qualifie un excellent repas.
  • 8) Les menées de manioc : les rangées de plants de manioc.

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  1. Le jardin sous la lune

Assis à sa table de travail, Gramoune (1) écrit.

Cher Théophane, hier soir, il y avait un beau clair de lune dans le jardin. Une petite brise agitait mollement la cime des palmiers ; des ruisseaux de lait coulaient sur les feuilles du bananier et, dans les ramures de l’avocatier, cascadaient des flots d’argent…

Mais, quand, sur palmiers et bananiers ruisselle la lune, rester prisonnier de quatre murs ? Quand, de branches en branches, cascadent des flots d’argent, se claquemurer derrière portes et fenêtres ? Impossible, pas vrai ! Quand tu viendras à La Réunion, voilà ce que nous ferons : nous descendrons au jardin et, sur l’herbe, entre avocatier et bananiers, nous étendrons notre saisie (2) …

Alors, bercés par le chant des étoiles, nous nous endormirons. La lune ruissellera sur nos corps endormis, des flots d’argent cascaderont dans nos cœurs ; la brise, comme une palme, caressera nos visages…

  • Gramoune, Gramoune ! Regarde !

Tiré de mon sommeil, je me frotte les yeux. Au travers des frondaisons noires de l’avocatier, c’est quoi, cette lumière ?

Un peu plus tard, la lumière nous réveille à nouveau.

  • Gramoune, elle a bougé
  • Oui, elle est plus brillante…
  • Elle se rapproche !
  • Un phare, des feux clignotants un peu partout…
  • Gramoune, c’est un vaisseau spatial !
  • Ça y ressemble !
  • Comme dans Star Wars, avec des canons laser !
  • Mais c’est qu’il y a du monde dedans !
  • Ils nous regardent…
  • Des hommes !
  • de l’herbe…
  • Des fleurs…
  • Des arbres…
  • La brise agite la cime des arbres !
  • Ce n’est pas chez nous que la brise agite les cimes des arbres…
  • Pas chez nous que des ruisseaux de lait coulent sur les feuilles…
  • Que des flots d’argent cascadent de branche en branche…
  • On va voir ?
  • On les appelle ?
  • Monsieur ! Monsieur ! Nous venons d’Aldébaran !
  • On a perdu notre chemin !
  • Vous pouvez nous dire le chemin de Sirius s’il vous plaît ?
  • Gramoune, ils peuvent venir ? Gramoune a dit oui !

(Illustration de H. Payet )

Quand la fraîcheur du petit matin nous réveille, Véli (3) brille au-dessus du Dimitile (4), ils sont déjà partis. Reste juste un rond d’herbe un peu brûlée. Et un petit mot dans une écriture qu’on ne comprend pas. Mais, sur le papier, il y a des marques, comme des larmes… Toi et moi, nous savons bien que ce n’est pas la rosée…

Entre l’étoile du matin et le Piton des Neiges (5), s’éloigne un éclat argenté inhabituel…

  • Que voulez-vous ? Tout le monde n’a pas la chance de naître homme…

Gramoune se rassied à sa table de travail.

Je t’embrasse, mon cher Théophane, Il faut deux années-lumière pour aller de Sirius à Aldébaran. Cela te donne le temps de revenir et d’être là quand, à leur prochain voyage, ils perdront à nouveau leur chemin sous la lune des hommes.

Gramoune

 

Notes :

  • Gramoun : personne âgée et digne de respect.
  • Saisie : natte de vacoa.
  • Véli : nom indien de Vénus, étoile de quatre heures.
  • Le Dimitile : planèze qui domine la localité de l’Entre-deux.
  • Sommet de La Réunion culminant à 3069 mètres.

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Illustration Huguette Payet.

 

Nana i di mon kozé                                 Certains disent que mon parler

Ti santié malizé                                       N’est qu’un petit sentier tortueux

Dann gran shemin fransé.                   Dans la grande voie du français.

 

Nana i kroi mon kozé                            D’autres croient que mon parler

In patoi malparlé                                     Est patois estropié

Ek bann mo rapiésé.                             Plein de mots rapiécés.

 

Nana i kalkil mon kozé                         D’aucuns jugent que mon parler

Mal fagoté an kaskasé                          Mal fagoté, mal fichu, 

Pa kapab témoigné.                              Est incapable de témoigner.

 

Nana i kalbite mon kozé                        Il en est qui culbutent mon parler,

Touf a li dann fénoir                               L’étouffent dans l’obscurité

Shabouk pou fé plié.                              Manient le fouet pour le dompter.

 

Nana i shèrsh mon kozé                            Et puis il y a ceux qui cherchent

Dann gran kiltir, gran lékritir                 En grande culture, grande littérature

Lintéré son prézans.                                 L’intérêt de sa présence.

 

Mé mon kozé                                               Mais mon parler : 

Inn ti kozé Lamour                                    Un simple parler d’amour

In tradiktèr pou lo kèr                             Un interprète du cœur,

In souvnir dousamer                               Un  souvenir doux-amer,

In bonèr si la tèr…                                     Un bonheur sur la terre…

Dann in passé la soufrans                       Dans un passé de souffrance

Li mark mon légzistans                           Il marque mon existence

Dann in zordi minm resanblans           Dans un présent uniformisé

Li sign mon diférans.                               Il signe ma différence.

 

Danièle MOUSSA

 

 

Le texte du poème de Danièle MOUSSA nous a semblé tout indiqué à l’occasion de cette semaine créole. Ce qui nous a plu en particulier c’est le ton nouveau, si différent de celui de beaucoup d’autres, qu’ils soient en faveur du créole ou hostiles à son égard. Ici, pas de violence, pas de grandiloquence : ce qui frappe avant tout, c’est la connaissance du passé de notre île qu’a l’auteur, sa sagesse, son amour pour la langue créole et sa reconnaissance pour les bonheurs que le parler créole lui a apportés.

Dpr974.

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illust. Vivian Gauvin

 

Tant que les feuilles de cannes à sucre, d’un vert luisant, cachaient derrière leur rideau notre petite case en bois…

Tant que le concert des grenouilles berçait nos nuits d’enfants sous le tulle de nos moustiquaires…

Tant que, tous ensemble, nous faisions trempette dans le bassin carré du jardin dont notre père avait ôté la veille, limons et mousses  avant d’en changer l’eau, c’était pour moi l’été…

 

La nouvelle eau du bassin était claire et fraîche, nous la cueillions de nos petites mains  pour en faire des gerbes qui se fanaient dans le ciel d’azur, au milieu de nos rires. Puis, assis sur le bord du bassin nous laissions nos pieds traîner dans l’eau, jusqu’à ce qu’ils se rident, ravis que le soleil butine une à une les gouttes restées sur notre peau.

Maman coupait alors nos ongles ramollis de ses petits ciseaux pointus, pendant que papa jouait sur son banjo nos airs préférés. Et nous chantions tous, papa, maman et nous. Ensemble…

 

J’avais toujours pensé que chez nous, à La Réunion, il n’y avait  qu’une saison : l’été.

Sa première moitié était chaude  et avait la saveur des letchis et des longanis à chair blanche et juteuse. Sa seconde moitié, balayée par l’Alizé, était chargée de mille parfums. C’est alors que maman sortait son crochet pour nous faire de petits cache-cœur de laine au cas où quelque frisson nous surprendrait dans les Hauts de l’île. 

Point de printemps, avec le brusque réveil de la nature. Chez nous, celle-ci ne s’endormait jamais : elle était en perpétuelle explosion, à l’image de son volcan… Pas un soupçon d’hiver non plus…La neige dont nous rêvions n’existait que dans les livres que nous lisions à l’école. 

C’était tous les jours le même été, insouciant, libre, heureux…

 

Cet été perpétuel qui remplissait nos vies régnait dans la maison, dans le carillon de notre pendule marquant la succession des heures,  des activités, des jeux. Il était aussi au dehors, dans le chant du coq, dans les tétines de la grande truie rose, contre lesquelles les cochons nouveaux-nés donnaient des coups de tête pour grandir plus vite, dans les cloches de l’église vers lesquelles on se pressait pour la grand-messe, dans cet échange intense de chaque moment de la vie qui s’écoulait…

 

Paquebot de la ligne Marseille-Réunion (Coll.. L.Fontaine)

 

Un jour vint le grand voyage tant espéré, le voyage vers La France : une véritable  aventure qui me marqua… Accoudés au bastingage, nous regardions s’éloigner l’île, dans son beau patchwork vert, cependant que l’énorme paquebot fendait l’océan. Malgré les papillotes qui ornaient les cuisses des volailles rôties qu’on nous servait à bord, malgré nos lits-couchettes, auxquels nous avions accès par de petites échelles  et qui étaient recouverts de doubles draps, qu’on n’avait pas chez nous, malgré la piscine, géante à côté de notre petit bassin carré, malgré tout ce qui nous dépaysait, la saison, elle, n’avait pas changé : c’était toujours l’été. 

Tous ensemble, nous attendions la prochaine terre, où l’odeur de la sueur qui montait à bord, en même temps que les tapis à vendre, nous ancrait encore plus dans la chaleur torride de l’été…Et c’était bon…

 

C’est de nuit que nous arrivâmes à Marseille, en rade du Vieux-Port. La ville avait mis pour nous saluer, sa robe de brume. Des flocons de neige s’écrasaient sur le pont et les bastingages. Nous étions transis de froid. Nous ne débarquerions que le lendemain à cause de l’heure tardive et des mauvaises conditions météorologiques. Et nous voilà, tous ensemble, pour la dernière nuit dans nos cabines, qui telles des cocons douillets nous attendaient… C’était notre première rencontre avec l’hiver et le débarquement nous permit le lendemain d’en ressentir la réelle morsure.

 

Cette morsure-là, qui m’était étrangère, fit naître en moi de petits tressautements bizarres…mon cerveau semblait tourner au ralenti…les couches de vêtements m’emprisonnaient…le bonnet me piquait les oreilles et le cou, mes doigts étaient tout engourdis, même dans les gants. Si j’avais pu voir au moins quelques rayons de soleil, ils m’auraient réconfortée. Je me mis  à pleurer doucement…C’était donc cela l’hiver ? Je pris la main de mon père et dis :

– « Je n’aime pas du tout l’hiver. C’est beaucoup mieux chez nous ! »

– « Tu finiras par t’y habituer », me persuada t-il calmement. « Et après lui, tu verras le beau printemps ».

 

L’hiver en fait ne réussit à aucun d’entre nous. Il fut véritablement très rude, cette année-là. La neige, tenace, persista de manière exceptionnelle, même dans le Midi, où notre père avait choisi de vivre pendant notre congé. Nous attrapâmes tous la grippe, fûmes obligés de garder la chambre de longs jours et la neige  finit par s’infiltrer jusque dans les alvéoles des poumons de papa qui dut aller à l’hôpital où son séjour se prolongea, à notre inquiétude à tous. 

 

Nous revîmes papa tout froid dans ses draps blancs. Maman lui mit son beau costume gris. Blottis contre elle, comme des poussins, nous comprenions que rien ne serait plus comme avant…L’hiver qu’on avait ressenti dehors était arrivé jusqu’au fond de nos cœurs maintenant. Nous étions figés, transis jusqu’à la moelle. Papa était mort. Il nous fallait rentrer au pays. Nous n’avons pas vu le printemps qu’il nous avait promis.

 

 

De retour chez nous, l’été retrouvé était aussi froid que l’hiver là-bas. Mon ère glaciaire dura longtemps, très longtemps, malgré le soleil et la mer, malgré les fleurs, les fruits, la forêt et les gens qui m’étaient chers.

 

le flamboyant, symbole de notre été (Cliché R.G)

J’ai longtemps essayé de recréer l’été comme je l’aimais. J’y suis arrivée à force de volonté. Mais allez savoir pourquoi, certains  jours, du fond de ma mémoire, resurgit un iceberg…

 

Huguette Payet.

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vue par un écrivain réunionnais…

 (Réédition à l’occasion de la fête de la Salette)

En ces journées du patrimoine et des fêtes de la Salette il nous a paru intéressant de publier un extrait d’un roman d’Axel Gauvin, prouvant s’il était nécessaire, que le patrimoine architectural, historique, religieux et littéraire pouvaient se conjuguer. Nul doute que cela fera naître ou renaître chez nos lecteurs réflexions et souvenirs. Bonne lecture à tous !

Pour le monde de La Réunion, Quartier-trois-lettres (1) n’existe que le dix-neuf septembre, jour de la fête de Notre-Dame de la Salette, jour de ferveur, de piété, jour pour mieux prier Dieu, jour pour supplier le miracle.

Des heures de temps, des femmes au visage sillonné par la mâle-souffrance demandent la guérison de leur mari, de leur garçon, du garçon de leur garçon :

– Notre-Dame de la Salette, elles disent, les mains rivées l’une à l’autre. Tu vois comme il souffre, c’est un rache-cœur de le voir souplaindre comme il souplaint. Il faut être galet pour ne pas avoir l’âme qui coule quand la crampe lui monte dans le bois de ses reins. Tu as vu ses jambes : deux os maigres sans un grain de chair ! Et sa figure ? Un noyau de mangue sucé ! Il faut que tu prennes pitié de lui.

Et leurs bouches ajoutent des prières, qui pour être plus conventionnelles, n’en sont pas moins pensées, senties, vécues : « Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous… »

Ce ne sont pas là des prières pour la performance, des prières comptabilisées au chapelet : ptit grain, gros grain, j’saute un grain ; ptit grain, gros grain, j’saute un grain.  Ce ne sont pas là des prières pour faire le vaillant, des prières pour se vanter après : « Aujourd’hui j’ai égrainé dix dizaines de dizaines de chapelet »…

Des heures de temps des bougres au visage maigre, aux yeux enfoncés dans leurs orbites, halent, marche après marche, brasse après brasse, leurs pantalons en toile kaki et leurs sandalettes en plastique sur le chemin de croix qui amène à la chapelle :

–      Encore dix gaulettes à faire, encore sept gaulettes, et la pente mon Dieu, et la pente, disent les voix dominées par l’oppression de poitrine. Et à chaque étape du chemin de croix de Jésus, l’homme aussi s’arrête :

–      Mon Dieu, que vous ai-je fait ? Je n’ai pas mérité de passer un martyre si tant tellement grand.

Encore cinq gaulettes, encore deux gaulettes. On s’arrête une fois de plus, on essuie du mouchoir écrasé la transpiration qui vide dans son cou, on lève un instant la tête pour regarder les gousses pendillant des grands tamarins qui – grand merci Bon Dieu – font de l’ombrage sur les cent marches de souffrance et d’espoir fou. On arrache à nouveau du sol son pied plus lourd qu’une balle de riz.

Plus qu’une gaulette, plus qu’un mètre, plus qu’une brasse, et le voici devant la porte de la chapelle. Il gravit deux marches de plus, deux pitons de plus ! Il attrape le dossier du dernier banc, et de dossier en dossier, il arrive enfin juste devant les béquilles patinées et les mercis de marbre. Les béquilles des autres, les plaques des autres : seuls les autres sont guéris. Mais il ne désespère pas, il s’agenouille, tremblant de fièvre à la petite place qui lui a été faite à son arrivée.

Pour les autres, pour les valides en contrebas la fête bat son plein : le carrousel, le jeu de massacre, l’orchestre en cuivre, les confettis, les fondants bariolés, les jeunes filles qui halent le cœur des hommes et qui enclavent leur mémoire des jours et des nuits, les jeunes gens aux cheveux brillantinés, la roulette à canards-Manille et lapins-pays, le tir à la carabine.

Quartier-trois-lettres y trouvait évidemment son compte. Petit compte pour Louise qui vendait ses bonbons fondants préparés la veille, pour Pierre qui, à pousser le carrousel, gagnait son tour. Compte déjà plus intéressant pour Chane-Lame dont la boutique, transformée en buvette et en restaurant, ne désemplissait pas.

Du côté de la fête aussi des prières montent vers le ciel :

– Sainte Vierge Marie, mère de Dieu, faites qu’il me remarque, c’est pour lui que je suis venue !

– Mon Dieu Seigneur, que cette cochonceté de machine à  barbe à papa ne tombe pas en panne avant que j’aie pu mettre le prix de sa location de côté.

– Sainte Vierge, faites que mes beignets de bananes, mes samoussas, mes bonbons-piment ne me restent pas sur les bras ! J’avais bien dit à Augustine qu’elle en faisait trop. Pour une fois que j’avais un quat’sous ramassé ! Si ça gâte, elle va recevoir, la fant-de-garce !

Intérieur de la chapelle de la Salette à St Leu.

Parmi toutes les prières, seules celles de madame Hubert lui avaient apporté de sérieux désagréments, encore le Bon Dieu n’en était-il pas l’auteur. Fatiguée d’être cognée par son mari, elle avait profité de ce qu’il était saoul comme la mer pour venir apporter sa supplique aux pieds de la Salette :

– Sainte Vierge Marie, mère de Dieu, elle avait dit pour elle-même, tu vois bien que je ne fais rien de mal : je ne mène pas la mauvaise vie, je ne dis pas de menteries, je ne suis pas fourre-nez, je fais mes Pâques tous les ans. Et lui, lui, c’est un malfondé, buveur d’arack et verrat de commune : il ne peut pas voir un corsage sans vouloir enlever son caleçon ! Et en plus, il m’écrase la chair à coups de poings, à coups de pieds. Tu vois bien que je suis utile et lui pas, tu vois bien qu’il me vole ce riz que j’ai pu acheter à force d’user mes yeux à la brodure, pour le revendre et s’acheter du rhum. Sainte Vierge, l’un de nous est de trop sur la terre, et c’est à toi de faire le choix.

Elle repassa dans sa mémoire tout ce qu’elle subissait, ces coups, cette humiliation, la fuite des enfants quand leur monstré de père rentrait en mare de rack.

–L’un de nous deux est de trop, avait crié sa bouche que la rage avalée depuis trop longtemps avait fini par détaquer. Puis les nerfs prirent possession de son corps, et comme si l’esprit était monté sur elle, elle se mit à sobattre en tous sens, à causer inouï. Elle largua son corps sur le carreaulage de la chapelle et, les bras en croix, elle perdit connaissance.

En moins de temps qu’il faut à la crache pour sécher dans la poussière, tout Quartier était au courant :

– Elle a dit : «  L’un de nous est de trop. »

– Elle a dit : «  Bon Dieu Seigneur, débarrasse-moi de lui ! »

– Elle a dit : «  Qu’il crève ! »

Et ces «  elle a dit, elle a dit, elle a dit… » lui valurent d’être battue comme un vieux zourite (2) dont on brise la chair à coups de bâton…

Comme d’habitude, madame Hubert courut à la case de Louise, dès que le monstré se fut achevé de se saouler à mort, et Louise lui fit de la tisane matricaire pour renforcer le pivot de son cœur qui ne tenait qu’à un fil, mit du safran mélangé de graisse sur les pétures de ses lèvres et brossa à l’alcool sa chair toute meurtrie.

Extrait de QUARTIER-TROIS-LETTRES d’Axel Gauvin, avec l’autorisation de l’auteur. Editions l’Harmattan. 1980.

(1)  Saint – Leu (L …E…U…)

(2)  Pieuvre.

Sur le même thème consulter l’article intitulé : 2200 morts : la faute à pas de chance…La fête de la Salette.

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(Version originale en créole)

 

La, po fé pérd mon vié zansèt le gou la liberté

Zot la koup son pié.

Rouj parèy flèr flanboiyan

Son san la kay atèr dann karo kafé.

Li minm la gonn la tèr Larénion

Plibon langré lavé poin…

 

Oté, sien la manj la poud fizi !

La pa zot kras taba masé

 La pa zot dégobiyé d rak

La pa pisa la sèk dan la toil zot morès

La pa zot zirman, la pa zot bous-sal

La pa zot ralé-pousé rantre zot

La rofé la tèr mon péi,

 Mé soman la transpirasion zésklav

Le pléré le momon zot la vann le zanfan

Le san nout vié zansèt minm

La angrès la tèr Larénion.

 

La doulèr banna

La soufrans banna

Le martir banna

Té i sanz

– An rézon n sak péi déor lavé bezoin –

An kafé lodèr i ral

An poiv gro grin

An blé zépi plin

An sik le gou de miel.

Épisa tout sa la son tour

Té i vien an lor dan la kès la konpani…

 

Kan kamayann Colbert

Dan la bonne ville de Paris

Té rouvèr zot blad-larzan-la-po-bèf

Sa té i plèr

Sa té i kri

Soman banna té i sirfou :

Ek le san zèsklav Larénion

Zot té i ashèt

Inn mal doré èk sèt soval blan

Po kado zot métrès

Sinon klavsin ti-zoli

Po la fèt zot ti-fi.                                                           

 

 

Axel Gauvin

 

Dessin de Geneviève Koenig

 

 

 

COLBERT AND CO.

 

(Version française)

 

Alors, / À mon ancêtre, pour lui faire passer le goût de la liberté / On trancha le pied. / Rouge comme la fleur du flamboyant / Son sang sécha dans les champs de café / C’est lui qui féconda la terre réunionnaise / De meilleur engrais il n’y en avait pas…

Ah ! Chiens enragés ! / Ce n’est pas le jus de vos chiques / ce ne sont pas vos vomissures d’alcool / Ce n’est pas la pisse qui a séché dans vos caleçons / Ce ne sont pas vos grossièretés, vos jurons / Ce ne sont pas vos querelles / Qui ont fertilisé la terre de mon pays / C’est la sueur des esclaves / Ce sont les pleurs des mères dont vous avez vendu les enfants / Et le sang de nos ancêtres / Qui ont engraissé la terre de La Réunion.

La douleur de ces ancêtres / leur souffrance / Leur martyre / se transformait – selon les besoins de l’exportation -/ En café odorant / En poivre au grain lourd / En blé aux épis gonflés / En sucre au goût de miel / Et tout cela / À son tour / Se changeait en or dans la caisse de la Compagnie.

Et quand la clique à Colbert / Dans la bonne ville de Paris/  ouvrait / Les bourses de cuir / Des pleurs s’en échappaient /  Des cris / Mais il s’en contrefoutaient / Avec le sang des esclaves de La Réunion / Ils achetaient / Un carrosse doré et sept chevaux blancs / En cadeau à leur maîtresse / Ou alors un petit bijou de clavecin / pour l’anniversaire de leur fille.

 

 

Note :

Ce poème d’Axel Gauvin est extrait du recueil paru en 1983 intitulé : « Romans pou détak la lang, pou démay le kër », illustré par Geneviève Koenig. Il était intéressant de le republier à la veille de  ce 27 Août, date anniversaire de la création de la Compagnie des Indes Orientales et de poser aux historiens la question de la colonisation de Bourbon, du développement de la traite et de l’esclavage, du rôle de Colbert et de sa conception de la colonisation.

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L’HISTOIRE DE LARAMÉE : COMMENT ENTRER AU PARADIS ?

 

…Le temps passa et le jour arriva où Laramée « cassa sa cuillère de bois », autrement dit qu’il avala « son acte de naissance », bref qu’il mourut…mortibus crevatus est ! (sic)1. Le seul problème qu’il lui restait à résoudre, était de savoir comment gagner le Paradis.…

Une fois pour une bonne fois monsieur Le Foie mangea son foie avec un grain de sel.

le violon magique de Laramée (H. Payet)

 

Laramée leva son camp et se dirigea vers le Paradis : le chemin était fort mauvais, vous pouvez m’en croire ! À chaque instant on se prenait les pieds dans les galets de la grand route ! Le froid vous pénétrait jusqu’à la moelle. Ajouté à cela qu’il était seul à faire la route. Mais en mettant un pied devant l’autre il finit par arriver ; il paraît que la porte du Paradis est une belle porte de bois verni qui, sans doute, porte un bel écriteau indiquant « Porte du Paradis ».

Laramée arrive au plus noir de la nuit et se met toc, toc, toc, à toquer contre la porte. Arrive alors Saint-Pierre qui demande : « Qui êtes-vous ? » Laramée décline son identité,  dit qu’il a un bon ami qui s’appelle le Bon Dieu et demande qu’on lui ouvre la porte. Saint-Pierre consulte alors ses registres, se gratte la tête et dit : « Laramée, tu es bien celui qui a fait danser un prêtre dans les épines de sapans ? Tu as été condamné à mort et tu as fait faux bond à la justice…Je regrette, tu vas en Enfer ». – « En Enfer, se dit Laramée, pour périr dans les flammes. Jamais de la vie ! Moi, je reste au Paradis. » Saint-Pierre lui répond que c’est bien dommage et que cela ne lui serait pas arrivé, s’il avait convenablement fait travailler sa tête quand il le fallait. Laramée est fort dépité et finit par dire : « Allons nous-en, on verra bien à quoi ressemble l’Enfer ! »

Kriké, monsieur ! Kraké, madame ! La clé dans ma poche ! La crotte dans votre sac !

Laramée arrive alors devant la porte de l’Enfer, c’était écrit sur la porte ! Il se présente. Et là, mes amis, quand le Grand Diable apprend son identité, il demande à ses serviteurs de fermer la porte à double tour, car il n’y a personne d’aussi dangereux que Laramée : « Va-t’en au diable Vauvert, Laramée ! Va où tu veux, mais tu n’entreras pas dans mon Enfer ! Va-t’en ! Fiche-moi le camp ! »

Le vieux soldat est décidément fatigué, dégoûté. Il en arrive à regretter d’avoir fait danser le prêtre dans les sapans. À force de descendre et de monter, de monter et de descendre, il n’en peut plus et se dit en lui-même : « Quel destin que le mien ! Au lieu de me donner le jour, mon père et ma mère auraient mieux fait  de prendre deux petits bouts de bois et de jouer dans la malpropreté. » Le Paradis n’a que faire de Laramée ; l’Enfer n’a pas besoin de lui non plus. Il décide alors de retourner au Paradis : il ne peut, quand même pas devenir une âme errante pour les quelques bêtises qu’il a faites sur terre. Il faut qu’il arrive à entrer quelque part…Le voilà qui s’assied devant la porte du Paradis et se met à réfléchir, à ré-flé-chir, à ré-flé…

 

« Enfer ou Paradis, dans l’au-delà,
 il me faut un logis ! » (Illustr. H. Payet)

 

Comment Laramée finit par avoir sa place en Paradis

Laramée se décide donc à toquer à la porte du Paradis ; Saint-Pierre apparaît à nouveau qui lui dit : « Qu’est-ce que tu veux encore Laramée ? On t’a dit que ton nom ne figurait pas sur les registres. Quand donc vas-tu entendre raison? » Et Laramée de lui répondre : « Monsieur Saint-Pierre, où pourrais-je donc partir d’après vous ? Personne ne veut de moi et je ne veux pas devenir une âme errante. Prenez mon sac avec vous. C’est tout ce qu’il me reste et je ne voudrais pas qu’on me le filoute : c’est mon seul bien ! »

Saint-Pierre n’a pas encore dit oui que Laramée a déjà échafaudé un plan dans sa tête et qu’il murmure cette formule : « Je veux être dans mon sac magique à quelqu’endroit qu’il se trouve ! » Sur ces mots il traverse le mur et woup !!… Le voilà dans son sac et il n’en bouge plus.

Kriké, monsieur ! Kraké, madame ! La clé dans ma poche, la crotte dans votre sac !

Dans la nuit, il entend  Saint-Pierre qui fait les cent pas : toc, toc, toc, dans le Paradis. Laramée redresse un peu la tête pour voir ce qui se passe aux alentours. Il la baisse aussitôt, mais ce qui devait arriver, arriva : Saint-Pierre le découvre et lui dit : «  Je n’arrive pas à m’en sortir avec toi, je vais me retourner vers le Bon Dieu ! » Le Bon Dieu arrive et demande ce qui se passe. Saint-Pierre lui explique la situation. Puis, c’est au tour de Laramée de donner son explication. Finalement le Bon Dieu déclare : «  Ah, Laramée, tu es enfin arrivé! Saint-Pierre, trouve-moi une bonne place pour mon vieil ami ! » Et c’est ainsi que Laramée entra au Paradis. Je pense qu’il y est encore, car quand on y entre, c’est pour toujours. Cet exemple montre à l’évidence qu’il vaut mieux avoir à faire au Bon Dieu qu’à ses saints.

Mon histoire se termine ici. Merci à mon père qui me l’a racontée et comme le dit la formule consacrée : «  Si l’histoire ment, ce n’est pas de ma faute ! La rafle de maïs coule à pic, la pierre, elle, flotte. Il y avait une fois, pour une bonne fois, un monsieur Le Foie qui mangea son foie avec un grain de sel.

Ainsi finit l’histoire…

 

Texte créole originel : Georges Gauvin.

Traduction française : Dpr974.

Illustrations : Huguette Payet.

 

NOTES :

1) Mortibus, crevatus est : expression en latin de cuisine, mais qui dit bien ce qu’elle veut dire.

2) Veuillez cliquer sur les images pour les agrandir…

 

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