Tous les Réunionnais connaissent le « 32 Dumas », couteau, ou canif, légendaire fabriqué à Thiers, en Auvergne. Pascale Sol-Bruchon, PDG de la société Rousselon qui fabrique le 32 Dumas, raconte qu’au début du siècle dernier, en 1908, son grand-père, Paul Rousselon, fit un voyage à la Réunion, faisant ainsi découvrir aux planteurs de cannes le fameux couteau. Le succès fut immédiat : les planteurs l’adoptèrent et le baptisèrent d’un petit nom familier le « ti-32 ».
Dumas 32 est également la marque du sabre utilisé par les coupeurs de cannes de la Réunion : doté d’une lame en acier carbone de 32 cm de long et de 35mm de large avec un manche en bois dur, il pèse environ 350 grammes, le sabre à cannes » (« machette » en français) est l’outil incontournable pour défricher, couper les fourrages et le bois, pour « dépailler » et couper les cannes ou pour ouvrir les noix de coco. On l’appelle aussi « grand couteau » ou encore tout simplement « 32 » pour le différencier du canif « ti-32 ».
L’origine de l’appellation remonte au XVIème siècle, où fut enregistrée la marque « 32 » en chiffres, sur la table de plomb exposée au Musée National de la Coutellerie à Thiers. En 1852 Antoine Rousselon crée à Paris la société qui porte son nom, spécialisée dans le négoce d’articles pour l’équipement de la maison. En 1882 Henri et Gabriel Rousselon installent l’usine de fabrication des couteaux Dumas sur les bords de la Durolle à Thiers, dans le Puy-de-Dôme.
En 1921 Paul et Maurice Rousselon succèdent à leur père Henri. Paul Rousselon est celui qui est venu 13 ans auparavant faire découvrir le « ti-32 » aux planteurs de la Réunion. En 1984 Pascale Sol-Bruchon, petite-fille de Paul Rousselon, prend la direction de la société.
Le « ti-32 » allait se révéler d’usages multiples. Il avait élu domicile aussi bien dans la poche des planteurs que dans celle de leurs enfants, qui s’en servaient pour « éplucher » les cannes, bonbon, mapou ou autres, découper les entre-noeuds et les mâcher pour en extraire le jus. Mais il servait aussi pour le jeu de casse-couteau, un jeu-longtemps qui ne nécessitait ni espace, ni budget, ni uniforme : un petit coin de terre meuble, ou de sable, et un canif « ti-32 ».
Le jeu de casse-couteau comportait sept figures qui toutes visaient le même but : lancer le couteau de telle sorte que la pointe de la lame se plante droit dans le sable, à la verticale : si le couteau penchait, il fallait qu’on puisse passer deux doigts superposés entre la lame et le sol pour que le coup soit validé. Si par malheur le couteau se plantait par le manche, il fallait tout reprendre depuis la première figure. Comme pour les chiffres aux dominos, chaque figure de casse-couteau avait un nom, variable selon les « quartiers » de l’île.
Dans la première figure le couteau était posé à plat dans le creux de la main ouverte, d’où le joueur devait le lancer pour en planter la lame verticalement dans le sol. Dans la deuxième figure le couteau était posé sur le dos de la main, dans la troisième sur le plat du poing fermé. Dans la quatrième le couteau était posé à plat sur deux doigts ouverts, l’index et l’auriculaire, les autres restant repliés. Les trois dernières figures étaient la roulade, le ciseau et le zobok. La figure finale, le zobok, la plus difficile, a d’ailleurs donné son nom au jeu : jouer à casse-couteau, c’est « joué zobok ». Le joueur qui avait la main la gardait tant qu’il réussissait les figures successives. Quand une figure était ratée (si on avait fait carotte), le couteau passait dans la main de l’adversaire. Une partie comportait dix « séries », chaque série se terminant par un plusieurs « zobok » selon les conventions. A noter que le mot zobok (variante bobok) désigne également le tibia : au foot-ball « joué zobok » c’est viser le tibia et d’une manière plus générale c’est jouer avec brutalité.
De nos jours le « ti-32 » Dumas Ainé est toujours là, mais les enfants ne s’en servent pratiquement plus pour « éplucher » la canne. On achète des tronçons de cannes pré-découpés sur l’étal des marchés, ou même des entre-noeuds coupés en quatre dans le sens de la longueur, prêts à la mastication. Et on ne joue plus au casse-couteau : on court comme des fous derrière des chimères électroniques !
Jean-Claude Legros
Note de DPR 974 :
Dans cet article on se rend compte que les Réunionnais ont un certain talent pour adopter et adapter des apports extérieurs. Ils font ainsi « leurs » des éléments qui viennent du « dehors ». Pour l’auteur interrogé à ce sujet, un tel comportement est l’essence même du phénomène de créolisation.
Sources :
Société Rousselon, Thiers.
Dictionnaire illustré de la Réunion (René Robert, Christian Barat).
Jean Albany : le piment des mots créoles.
Photos : JCL.
Une fabuleuse mine d’informations sur la culture » lontan « . Cela me plaît énormément de m’enrichir de ces anecdotes, histoires ou faits historiques que je transmettrai à ma fille afin qu’elle sache et n’oublie pas d’où elle vient ! Merci pour ce travail de recherche et de recoupage d’informations.
Nartrouv si lo blog
c’est moi, amoureux du couteau qui ai contacté la maison pour revendre le produit a la Réunion, d’ailleurs l’histoire sur la boîte c’est moi qui l’ai racontée au directeur qui m’avait dit que ça ne serait pas rentable de refaire le couteau, depuis la copie est de piètre qualité par rapport à l’ancien et moi j’ai eu une lettre et un couteau gratuit en guise de remerciement quand j’ai fait savoir au responsable (le conjoint de Pascale ) que cette idée : »ti 32″ venait de moi et que je n’avais pas été prévenu de la nouvelle commercialisation …
j ai un sabre a canne 32 de chez Dumas il date de 1985