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Archive for the ‘HOMME célèbre’ Category


 

Tout le monde, un jour ou l’autre, tôt ou tard, pour une raison ou pour une autre, a eu affaire ou aura affaire au commissariat de la rue Malartic. Nous sommes tous des ressortissants potentiels de l’hôtel de police auquel la rue, à l’instar du Quai des Orfèvres à Paris, a donné son nom, si bien que le nom propre est devenu nom commun. Écoutez les gens dans la rue ou sur les radios, ils ne disent plus : « mi sar commissariat », mais « mi sar Malartic ». Déjà entre les deux guerres la rue Malartic hébergeait au numéro 23 la « prison des femmes ». Mais son plus grand titre de fierté restera la bicoque située à l’angle de la rue Suffren, où vécut jusqu’à l’âge de soixante ans notre dernier chanteur des rues, Henri Madoré.

L’hôtel de police, dit « Commissariat Malartic » (Cliché JCL)

L’hôtel de police, dit « Commissariat Malartic » (Cliché JCL)

 

Mais qui était Malartic ?

Le 3 juillet 1730 naissait à Montauban, dans le Quercy, aujourd’hui chef-lieu du Tarn-et-Garonne, Anne-Joseph-Hippolyte de Maurès de Malartic. Malartic entra dans l’armée en 1745 à l’âge de 15 ans. En 1755 il mena une brillante campagne au Québec (une ville du Canada a d’ailleurs pris le nom de Malartic). Il fut par la suite envoyé en Guadeloupe et en Martinique, puis à Saint-Domingue (dans l’île d’Haïti) pour réprimer les révoltes des esclaves. En 1792 il fut nommé gouverneur général de l’Ile-de-France (île Maurice). Et en 1796 c’est lui qui refoula les agents du gouvernement Baco et Burnel venus mettre en application le décret d’abolition de l’esclavage dans les îles de France et de Bourbon, prononcé par le Directoire. Les esclaves de Maurice devront attendre encore 39 ans avant d’être libérés et ceux de la Réunion 52 ans. Le général Malartic mourut quatre ans plus tard, en 1800, à Port-Louis.

Henri Madoré dans sa cour, 7 rue Malartic.

Henri Madoré dans sa cour, 7 rue Malartic.

Mais qui était Madoré ?

De son vrai nom Henri Madouré, Madoré est né le 11 avril 1928. Dans les années cinquante j’habitais au 21 bis de la rue Malartic. Et j’allais à pied au Lycée Leconte de Lisle, le vrai, celui qui jouxtait l’église de l’Assomption. Je passais donc quatre fois par jour devant le n° 7, la maison de Madoré.
Madoré est ainsi indissociable de l’univers de mon enfance : le Jardin de l’État, la rue Malartic, la rue du Ruisseau des Noirs (qui étaient encore des rues en terre) et la boutique « Étoile des Neiges ».

Madoré fut notre dernier chanteur des rues, en même temps que notre premier chansonnier créole moderne. Il nous a légué la mythologie irremplaçable du petit peuple de Bourbon, à la charnière de la colonie et du département.

Je l’avais sacré à l’époque « le Brassens réunionnais » et je ne croyais pas si bien dire : « chanteur à guitare », auteur-compositeur-interprète, artiste musicien et artisan des mots, menant sa « carrière » autant que le lui permettaient la bohème, la misère et l’alcool, en professionnel soucieux de son « image », il est ainsi entré, de son vivant, dans la légende. *

La rue Malartic, anciennement « rue du Jardin », prenait sa source dans la rue Bertin, au carrefour des « trois boutiques chinois ». La rue Bertin n’avait pas encore été percée pour aménager le prolongement de la rue Malartic jusqu’à la rue du Ruisseau des Noirs, face à l’Allée des Manguiers, comme c’est le cas actuellement.

Ce carrefour stratégique des trois boutiques constituait le « quartier général » de Madoré. C’est là qu’il se produisait pour quelques « quat’sous » ou un verre de rhum (« demi-quart, inn gorgée », disait-il).

Plan du quartier dans les années 50 (JCL).

Plan du quartier dans les années 50 (JCL).

Sur la première section allant de la rue Bertin à la rue Poivre (qui se prolonge par la rue Colbert) nous pouvions relever dans les années cinquante les noms des familles Andoche, Orrico, Legros ou Dubard, pour autant qu’il m’en souvienne. Du carrefour Poivre-Colbert à la rue du Général de Gaulle (ancienne rue Dauphine) seul le côté des numéros impairs donnait sur des habitations. Sur son flanc ouest la rue Malartic était en effet bordée par le mur d’enceinte du Jardin de l’État. Au pied du mur les piétons pouvaient circuler sur des trottoirs en galets, des galets bien lisses du bord de mer, accolés à la verticale. Ces trottoirs en galets faisaient pratiquement les trois-quarts du mur d’enceinte du Jardin de l’État, notamment le long de la rue Bertin et de la rue Poivre. Malheureusement, en dépit des interventions que nous avons menées ces dernières années auprès des services de la Mairie de Saint-Denis, les trottoirs en galets ont été détruits. Ils ont cédé la place à des trottoirs en béton. Quelques portions ont survécu à la frénésie cimentière sur le côté droit de la rue Poivre, mais elles ne tarderont vraisemblablement pas à disparaître.

Le mur du Jardin, du côté de la rue Malartic, a été éventré pour céder la place à un « barreau », comme c’est également le cas du côté de la rue de la Source, à la hauteur du Conseil Général. Le trottoir du côté de la rue Malartic a pour sa part été envahi par un parking situé juste en face de l’hôtel de police, à usage des hôtes de passage et des habitués. Et enfin, le dernier « boute » de la rue a été sacrifié d’abord sur l’autel de la culture, sous l’acronyme du CRAC (Centre Réunionnais d’Action Culturelle) puis sur celui de l’environnement, sous l’acronyme du GLAIVE (Groupement de Lutte Antivectorielle d’Insertion et de Valorisation de l’Environnement). Mazette, excusez du peu ! Damoclès n’en demandait pas tant !

Bâtiments du Conseil général et du GLAIVE (Cliché JCL)

Bâtiments du Conseil général et du GLAIVE (Cliché JCL)

Sur le côté opposé au mur du Jardin de l’État, on pouvait relever dans les années cinquante les noms des familles Robin, Madouré, Macrésy, Guichard ou Collet (ce dernier faisant l’angle avec la rue du Général de Gaulle, à l’emplacement de l’actuelle station d’essence « Engen »). Sur le dernier tronçon venait s’intercaler l’une des deux entrées de la cure de l’Assomption, l’autre entrée se situant rue du Général de Gaulle, à la hauteur de la sacristie.

Nous avons déjà soumis à plusieurs maires successifs de Saint-Denis la possibilité de donner à la rue Malartic le nom de son locataire le plus illustre. On nous a fait remarquer qu’un « commissariat Madoré » ne ferait pas sérieux ! Et pourquoi donc ? Les lycéens de « Georges Brassens » n’ont sans doute jamais repris en chœur le refrain de « Fernande » et personne n’a songé à remettre en question le sérieux du Lycée. Et puis la rue pourrait très bien s’appeler « rue Madoré » et le commissariat garder son appellation de « Malartic ».

Autre possibilité : comme la « case » de Madoré faisait l’angle de la rue Malartic et de la rue Suffren, pourquoi ne pas rebaptiser la rue Suffren « rue Henri Madoré » , et qu’attend-on pour accoler une plaque sur le bâtiment qui a remplacé sa maison, afin de rappeler aux passants qu’en ce lieu a vécu notre dernier chanteur des rues ?

Et au bout du compte pourquoi ne pas donner à la place du Jardin de l’État le nom de Madoré ? Cette place a connu bien des vicissitudes : rebaptisée « Place de Metz » en 1988 sous le majorat d’Auguste Legros en souvenir d’agapes lorraines placées sous le signe de la mirabelle, puis rebaptisée « en missouque » par le conseil municipal de Saint-Denis du 27 septembre 2014 « Place Seewoosagur Ramgoolam », la Place du Jardin de l’État n’en est plus à un changement près : alors pourquoi pas « Place Henri Madoré » ? Savons-nous quelles paroles, quelles musiques Madoré a pu composer dans ce quadrilatère de la rue Malartic, de la place du Jardin de l’État et du Jardin lui-même ?

Et là aussi pourquoi pas une plaque reproduisant l’une de ses proclamations les plus péremptoires ?

La pas besoin croire que moin lé mort
Oilà que moin la retourne encore !

Jean-Claude Legros

* (Ce passage est extrait de la contribution que j’avais apportée, sur sa demande, au livre de Nathalie Legros « Madoré 1928-1988 »).

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Que dire de nouveau sur quelqu’un d’aussi connu que Gilbert Clain ? Je pense que tout a été dit sur ce sculpteur talentueux et atypique de notre île et qui, à 72 ans, continue à sculpter, assis par terre sous  son mûrier, dans son îlette natale. Ses œuvres d’ailleurs,  au milieu des jardins de l’île, dans les musées, sur les sites historiques ou dans les églises, parlent d’elles-mêmes…Et, jüska dann péi dëor, i koné alü ! (1)

Voilà pourquoi je me contenterai  de vous parler des deux univers différents mais indissociables que j’ai entrevus à travers lui. Manière de le remercier pour la richesse de ses créations et des moments magiques qu’il nous a fait, et nous fera vivre encore…

Le créateur et ses créatures dans le jardin des sculptures (Photo : H.P.)

Le créateur et ses créatures dans le jardin des sculptures (Photo : H.P.)

 

 

Le premier univers de Gilbert

va de sa naissance sur l’îlette Furcy, dans le sud de l’île, jusqu’ à l’âge de 35 ans, où il décide de quitter son cocon pour aller voir ailleurs.

Le petit Gilbert arrive en effet en 1941 dans une famille modeste de petits cultivateurs qui ont eu le coup de foudre pour ce petit coin de terre, caché, pour ne pas dire enclavé, entre deux pans de montagnes abruptes, au début de la route de Cilaos. C’est comme si l’îlette elle-même, sentant son isolement, avait voulu se lover au creux d’un méandre de la rivière pour y trouver douceur et protection.

Si l’horizon y est limité, il est heureusement compensé par la présence, à l’époque, d’une nature généreuse et intacte. Avec une vraie manne à portée de main : la rivière, son eau abondante, ses anguilles et ses chevrettes (crevettes d’eau douce)… et ses pierres.

C’est comme si cette vie de nature sur ce bout de terre réunissait toutes les conditions  pour modeler  Gilbert à sa vie future,  pour le préparer à son deuxième univers.

C’est là en effet que, pendant 35 ans, il découvre, le rythme des jours, le silence, la simplicité, la liberté, la tendresse, l’amour, mais aussi la dureté du travail de la terre, le déchaînement des éléments, les manques de la vie quotidienne, et entre autres, sans doute, celui de l’ouverture sur le monde.

C’est là qu’il apprend  à observer humains, animaux et plantes, à comparer, à écouter les bruits de la nature, à affiner ses sens.

C’est là aussi qu’il apprend son premier vrai métier, celui de tailleur de pierres, qui se transmettait de père en fils, à l’époque où la pierre taillée était très prisée pour les maisons et les murets. Certes il n’a pas connu l’école, trop éloignée pour qu’il y aille, mais il était chaque jour à l’école de la vie…

Cependant  tout a une fin. Ce qui était au départ une chance pour Gilbert devenait sans doute  usant, au fil du temps. Il avait maintenant femme et enfants, tailler la pierre ne suffisait plus à répondre à leurs besoins. Il fallait quitter l’îlette et chercher un autre travail. Avec sa famille il va donc tenter sa chance à Saint-Denis.

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Le deuxième univers de Gilbert.

Ce deuxième univers, on peut penser qu’il y accède sitôt qu’il trouve le travail régulier, plus rémunérateur qu’il cherchait,  celui de magasinier chez un patron qui apprécie d’emblée sa force de travail, ses qualités morales et son sérieux… et que la capitale l’ouvre sur des espaces nouveaux à découvrir et apprécier… Pourtant, en fin de semaine, c’est vers le bas de la Rivière-Saint-Denis que ses pas le conduisent. Plaisir pour l’homme de la campagne qu’il était de revoir l’eau courante de la rivière… de retrouver les pierres qu’il avait appris à tailler… d’y trouver un peu plus de calme qu’au centre ville ? Nostalgique, Gilbert ?

Toujours est-il qu’un beau jour, après avoir bricolé quelques outils, il se rend au bas de la Rivière Saint-Denis, prend une pierre ronde entre ses mains et se met à essayer de la sculpter. Des passants s’arrêtent pour voir ce qu’il fait et l’un d’entre eux, ébahi de ce qu’il voit apparaître au bout d’un moment, une tête, lui propose de l’acheter.

-« Mi pë pa vand aou in nafèr lé pa fini, kante minm ! (2), lui répond Gilbert.

Mais c’est le déclic : ce qu’il crée peut plaire, a du prix…Et s’il pouvait devenir sculpteur ? Cette idée ne le quittera jamais plus, même si ni sa famille, ni son patron ne le comprennent  vraiment.

Tout s’enclenche très vite. Formation de quelques mois en France où il participe à la restauration de sculptures dans des cathédrales et des châteaux et où l’on s’étonne du don qu’il  possède. Retour au pays. Réinstallation à l’îlette Furcy « ousa son nonbri lé antéré é ou lü vë skülté juska la fin d’ sé jour. » (3) Travail assidu pendant des mois dans l’optique d’exposer un jour ses créations.

 

 

 

Celles-ci tournent le plus souvent autour de la femme ; d’elle émane une force élémentaire dont rend compte le poète Franky Lauret dans l’extrait que voici :

Revue ODC-FRAC Réunion ; Nov. – Déc. 1993 (Crédit photo. A. Lauret et F. Leseigneur).

Revue ODC-FRAC Réunion ; Nov. – Déc. 1993 (Crédit photo. A. Lauret et F. Leseigneur).

« Ta femme est mêlée d’eau et de vent

Elle coule, elle vrille, ivre, elle tourbillonne

Spirale figée à jamais, contorsion du cyclone

Son incroyable énergie. Elle se courbe, jusqu’au soleil… »

D’elle se dégage également une sensualité telle que le poète a du mal à lui résister :

« …Une femme…

Enroulant sur elle-même sa paresse,

Toute pétrie de bien-être, brute,

N’attendant que la dernière caresse…

 

Je détournais la tête

Car elle m’envoûtait à tendre ses lèvres ainsi

Vers un baiser. »

 

 

La femme, sculptée dans le bois (tamarin, letchi, bois de fer) ou la pierre (basalte), est souple comme une liane, prend toutes les formes fantasmagoriques qui naissent sous les doigts de son créateur : tourbillons de fumée ou de vent.  Qu’elle soit mère, allaitant son enfant de son sein généreux, séductrice par ses formes harmonieuses et sa chevelure ondulante, reine majestueuse  dans ses riches vêtements finement sculptés, tour à tour candide, comme une Madone, ou délurée comme une tentatrice, la femme représente toutes les influences présentes sur l’île, dont la sensibilité extrême et l’imaginaire de l’artiste se sont nourris.

L’enfant avec ses rondeurs, dans sa naïveté ou sa malice, est aussi un de  thèmes de prédilection de Gilbert. En perpétuel mouvement, il virevolte, s’amuse, semble s’échapper, alors que l’homme,  lui, est plus  en retrait.

 

Le pari des enfants (Photo H.P.)

Le pari des enfants (Photo H.P.)

 

Les arbres, les plantes et les animaux apparaissent souvent aussi dans l’oeuvre de l’artiste. Ils sont en étroite symbiose avec l’être humain.

L’artiste qui n’a subi l’influence d’aucun courant artistique a toujours travaillé ses pièces spontanément,  sans se soucier des règles académiques qu’il ignore,  celle des proportions par exemple. Ne semble l’intéresser que l’émotion, la sienne quand il sculpte et celle qu’éprouveront les autres devant son travail.

On a pu observer en effet, lors de ses expositions,  que des visiteurs se laissent aller à caresser furtivement une chevelure ou une épaule particulièrement réussies, ou s’oublient à esquisser quelques pas de danse à la vue d’une sculpture mouvementée.

L’admirable carrière de Gilbert Clain, dont il a fêté les trente ans il y a quelques années seulement, révèle un talent et une originalité uniques, qui ne sont plus à prouver. La liste des grands prix qui lui ont été attribués en témoignent, en France, comme à l’étranger où il a exposé ses œuvres). Marcel Tavé, directeur du Frac-Réunion rend hommage à Gilbert Clain en ces termes : « Autodidacte, analphabète, Gilbert Clain s’inscrit pleinement dans la lignée des artistes de l’Art Brut (4) auxquels faisait référence Jean Dubuffet. Une maîtrise absolue des matériaux disponibles autour de lui, en l’occurrence bois exotiques (tamarin, letchi, bois de fer…) et basalte…, une sensibilité extrême et un imaginaire nourris des images au kaléidoscope de toutes les influences présentes sur l’Ile : indiennes, chinoises, africaines (cafres) et occidentales, font du travail de Gilbert Clain un art authentique et original, symbiose parfaite d’un primitivisme instinctif et d’une étonnante modernité. »

 

Revue ODC-FRAC-Réunion, Nov.- Déc.1993. (Crédit photo : A. Lauret et F. Leseigneur).

Revue ODC-FRAC-Réunion, Nov.- Déc.1993. (Crédit photo : A. Lauret et F. Leseigneur).

 

 

Huguette Payet.

1)     « On le connaît même, bien au delà des frontières de l’île… »

2)     « Je ne peux tout de même pas vous vendre quelque chose que je n’ai pas terminée.»

3)     Il veut rentrer à l’îlette Furcy « où son cordon ombilical est enterré et où il veut sculpter jusqu’à la fin de ses jours .»

4)     D’après Jean Dubuffet, « les créateurs d’art brut sont des personnes autodidactes, dépourvues de conditionnement culturel et de conformisme social… qui ignorent les canons artistiques et les valeurs culturelles traditionnelles. Pour eux l’acte spontané de création satisfait un besoin intérieur, sans démarche intellectuelle et le fait de produire est pour eux vital et impulsif… En quelque sorte, de l’art, où se manifeste la seule fonction de l’invention et non, celles constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe. »

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Henri Madoré ( » Madouré  » de son vrai nom) est né à Saint-Denis le 11 avril 1928. Il nous a quittés, à l’âge de 60 ans, le samedi 31 décembre 1988. Il fut, au sens littéral du terme, notre dernier chanteur de rue : sur le coin de la boutique, devant la gare, au rond-point du Jardin de l’Etat, au grand comme au petit bazar,  voire dans les quartiers les plus reculés, pour quelques quate-souMadoré chantait.

Il animait également des soirées,  montait sur les podiums des  foires commerciales, se produisait  sur la scène des cabarets. Il nous parle lui-même de sa vie et de sa bohème dans « Ti Doré dans l’île »:

 

« Moin même Ti Doré

Moin la pas vantard

Mi aime bien chanter

Avec mon guitare

Dann toute le tour d’l’île

Même dann lé p’tit coin

En train tout part d’ l’île

Oilà où zot i pé trouve amoin. »

 

Madoré vu par Laurent Ségelstein.

Madoré vu par Laurent Ségelstein.

 

L’art de Madoré

Une voix originale, gouailleuse, pleine d’humour, reconnaissable entre mille. Une musique au rythme allègre qui nous met en mouvement, et par dessus tout son art époustouflant de l’improvisation : à partir du canevas plus ou moins  établi de ses chansons, Madoré était capable de s’envoler en improvisant textes et musiques, s’inspirant de ce qui se passait à l’instant même sous ses yeux : un événement de la rue, un incident, une panne de voiture, tout était prétexte à broderie instantanée, en temps réel comme on dit maintenant. Et il retombait toujours sur ses pieds. Les divers enregistrements dont nous disposons illustrent parfaitement ce don qui n’est pas sans rappeler les techniques d’improvisation des chanteurs de blues américains.

Madoré jongle avec les mots, leur attribue parfois des sens bien à lui que l’auditeur doit deviner  et manie à plaisir les allitérations : « Ah,Tantine tonton, mais té lé tenté par l’huile tantan, wayo ! »

Parmi les thèmes abordés, s’il parle de son enfance et des jeux auxquels il se livrait, comme dans « Marmaille la bit » (1):

 

« Allon Marmaille

Allon na biter

La pa besoin disputer

Ni chamaille »…

il traite aussi de thèmes plus graves comme la mort dans Madina où il rend compte de la tradition des veillées funèbres créoles avec café et rhum. D’autres fois, alors qu’on ne le voyait plus, qu’on le croyait mort, il ressuscite par la force de l’amour :

« Partout dans la ville

Mi entend in seul bruit

A cause té lé tranquille

Moin lété ki croit que té la fini

Non moin la pas fini

Malgré mon tranquille

Moin la gaingne la pépie

La fiève crapaud avec la bile.

 

Refrain:

« La pa besoin croire que moin lé mort

Oilà que moin la retourne encore

Tout lé nerf néna dans mon corps

I amène amoin dann bras d’Nonor ».

 

Dans le livre de Nathalie Legros sur Madoré  » Pas besoin croire moin lé mort « , Jean-Claude Legros, qui a bien connu l’artiste,  écrit :  » Madoré ne fait pas partie de notre « folklore » : il fait partie de notre patrimoine culturel…. Il appartient à l’univers de mon enfance, à ce quartier de l’Assomption des années cinquante (…) Dernier chanteur des rues et premier chansonnier créole moderne, il nous lègue la mythologie irremplaçable du petit peuple de Bourbon, à la charnière de la colonie et du département. »

 

Son legs artistique

 

Pochette du disque réalisé par le Pôle Régional des Musiques Actuelles (2)

Pochette du disque réalisé par le Pôle Régional des Musiques Actuelles (2)

 

« Auteur-compositeur-interprète, artiste musicien et artisan des mots, menant sa » carrière  » autant que le lui permettaient la bohème et la misère (…), il est ainsi entré, de son vivant, dans la légende » (Jean-Claude Legros.) Tout le monde est capable de fredonner ou de reprendre en choeur les chansons de Madoré, même les jeunes générations qui ne l’ont pas connu. Si dans une soirée les gens commencent à bailler d’ennui, demandez au guitariste de service d’entonner quelques airs de Madoré, vous verrez l’ambiance remonter en flèche. Parmi ses refrains les plus populaires, qui n’a jamais fredonné Zenfant bâtard ou  ABCD ?

Zenfant bâtard

Moin la pas zenfant bâtard

Moin la pas zenfant zarabe

Moin la pas zenfant chinois

Moin la pas zenfant créole

Moin zenfant sénégalais

(refrain)

Si mi mort dessus la terre

Enterre amoin dann cimitière

Si mi mort dann sous-marin

Yo ma serve zappât pou requin chagrin

Zot i dit de moune lé noir

I marié ec femme chinois

Zot i fé zenfant créole

Le zyeux lé rempli malole.

L’avis des contemporains

 

 Le livre consacré à Madoré par Nathalie Legros (3).-WEB

 

Dans le livre dédié à Madoré, ceux qui l’ont bien connu lui rendent hommage .

L’écrivain Boris Gamaleya :  » Dans les quartiers les plus bruyants de la capitale, Madoré, si je puis dire, avait entamé sa  » légende dorée « , celle d’un surdoué de la chanson créole et d’un être excentrique passablement secret « .

Patrice Treuthardt poète et militant du créole :  » Du strict point de vue de la langue, ses paroles directes, crues parfois, émouvantes, contiennent une charge poétique créole exaltante « .

Gora Patel, responsable de l’audiovisuel :  » Je crois bien qu’il était le premier à faire état sans honte de nos origines  » zenfant bâtard « , sénégalaises ou autres, nous ramenant à des racines que nous étions peut-être près d’oublier, nous y ramenant jusqu’à les dépasser, semblant dire avant d’autres : Cafres, Chinois, Zarabes, Malbars, Créoles ? Qu’importe ! Nous sommes tous des  » zenfants la Réunion  » !

Message particulièrement émouvant, celui du père Dattin dans son homélie lors de l’enterrement de Madoré le 1er janvier 1989 :

« Henri Madoré fut à La Réunion (…) un chansonnier au sens noble du terme : ses airs étaient fredonnés par tous. Henri était un musicien instinctif, ayant la cadence, le mouvement, les notes dans la tête et dans le corps…et de sa guitare naissaient sans cesse  des nouveautés qui devenaient bientôt classiques.

Toutes ces dernières années, lorsque, reclus, il vivait assis sur son lit, lui le mobile, paralysé, figé, fixé sur place, dès qu’il acceptait de reprendre sa guitare, tout à coup il changeait ; sa voix, ses yeux, ses épaules tout reprenait vie et il se donnait tout entier dans le chant qu’il entonnait, dans l’air qui naissait sous ses doigts de guitariste. Je me rappelle encore ce jour où Monseigneur Aubry, était venu (…) le visiter sur son grabat au fond de son garage et qu’ensemble, ayant repris la guitare, ils entonnaient des chants longtemps, des danses allègres, des rythmes déchaînés : il fallait voir son visage à ce moment, toute la lumière un moment réveillée, toute la joie et la force qui s’en dégageaient, la vivacité de son oeil et surtout son sourire, large, épanoui (…) et qui exprimait comme une illumination que lui procurait la joie de chanter et de jouer ».

Pour terminer nous redonnons la parole à Jean-Claude Legros, qui milite pour que la rue Malartic soit rebaptisée rue Henri Madoré :

« Sa la rue Malartic

La pas la rue le flic

Sa la rue lé en terre

           Na nid-de-poule na zornière

Trottoir lé en galet

Sa la rue Madoré »

 

La ville de Saint-Denis, ville d’Art et d’Histoire, du moins est-ce son ambition, n’a toujours pas pris la dimension patrimoniale exceptionnelle que représente notre dernier chanteur des rues, Henri Madoré. La rue Malartic, qui longe le Jardin de l’Etat, a vu fleurir et s’épanouir l’une des plus belles fleurs du florilège créole de la Réunion. l’ancienne municipalité dionysienne contactée pour faire de la rue Malartic la rue Henri Madoré  a fait valoir qu’il n’était pas concevable que le commissariat Malartic devienne le commissariat Madoré ! Et pourquoi pas, après tout ? Ceci dit, rien n’empêche que la rue s’appelle Henri Madoré et que le commissariat garde son nom de Malartic.  On peut se demander ce qu’attend la municipalité actuelle pour faire  avancer le dossier…

 Marcel Lenormand

 

1)    Le jeu de la butte consiste à lancer en direction du « but » un objet quelconque, bille, pièce de monnaie, capsule, etc … (Dictionnaire créole-français d’Alain Armand)… Mais cela serait trop long d’en exposer ici les règles…

2)    Le CD : « Henri Madoré, le dernier chanteur de rue » est un « collector » pour ceux qui s’intéressent à la musique et à la culture réunionnaises. Il a été produit  par le Pôle Régional des Musiques Actuelles de La Réunion. Réalisation Loy Ehrlich. Graphisme Kamboo 97.

3)    Le livre de Nathalie Legros : « Madoré 1928-1988. Pas besoin croire moin lé mort » (Éditions Réunion 1990 ; consultable à la Bibliothèque Départementale de la rue Roland Garros à Saint-Denis) s’impose  pour qui veut aller plus loin dans la découverte de ce chanteur populaire.

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 A l’occasion de sa causerie à Belle Pierre intitulée «  Jules Hermann, un grand Saint-Pierrois », Alain-Marcel Vauthier avait apporté un tableau qui lui avait posé une double énigme ; il nous raconte ici l’histoire de ce tableau :

«  Ma découverte de l’existence de ce tableau date des années 1990-2000 ; J’avais fait la connaissance à cette époque d’un couple, fort sympathique, Monsieur, cadre supérieur de banque, membre du Rotary et joueur de Golf et Madame, d’une grande distinction et très cultivée. Madame, s’ennuyant un peu, avait ouvert à la Cour carrée, rue Jean Chatel,  un magasin d’antiquités meublé avec goût, dont j’étais devenu, sinon un fidèle client (c’était un peu cher pour ma modeste bourse !) du moins un habitué et un assidu, car madame, dont la conversation était très intéressante et enrichissante, me mettait de côté les exemplaires de  » Paul et Virginie « qu’elle récupérait et me les proposait en priorité avant de les mettre en vente. En contrepartie je lui communiquais tout ce que je savais sur les livres locaux qu’elle connaissait moins bien.

Et c’est ainsi qu’un jour, je vis arriver Monsieur avec deux tableaux, en fort mauvais état, représentant deux personnages, manifestement des notables ; l’un des deux tenait entre ses mains un rouleau sur lequel nous pûmes déchiffrer, difficilement du fait d’un gros manque de peinture juste à cet endroit, les mots  » statuts  » et  » Académie « . Sans aucun doute possible il s’agissait là d’un  portrait, malheureusement non signé, du premier président de notre Académie, Jules Hermann…Je livrais ces réflexions au détenteur des toiles et essayais  sans succès d’en savoir plus sur leur provenance…Quant au prix qu’il en demandait, il n’était pas en rapport avec leur état de conservation… Je m’en désintéressais donc et n’en entendis plus parler.

Quelque temps  se passa et je vis un jour arriver dans mon bureau le détenteur des toiles, celles-ci toujours en piteux état…qui me déclara tout de go que son épouse et lui quittaient définitivement La Réunion et qu’il avait pensé que je pourrais lui acheter ses tableaux, cette fois ci à un prix tout à fait raisonnable…ce que je fis séance tenante!… en ne songeant pas du tout, d’ailleurs, à l’époque à l’Académie, mais plutôt à mon amie Aude Palant-Vergoz, que je savais être la petite-fille de Paul Hermann et donc l’arrière petite cousine de Jules…En attendant, je montai les tableaux à l’étage de ma maison du Brûlé et les oubliais quelque peu…

Puis, ce devait être dans le courant de l’année 2008 ou 2009, j’eus l’occasion d’admirer dans les salons d’apparat de l’ancien hôtel de ville de Saint-Denis, les immenses toiles du peintre de marine Maurice Ménardeau très bien restaurées par un jeune espagnol, Carlos Blanco, ami d’un de mes fils. Une idée me vint alors, que je soumis aussitôt à notre ancien président, monsieur Yves Drouhet, successeur de Serge Ycard à la tête de l’Académie. Cette idée était la suivante : j’étais disposé à faire don à l’Académie du portrait, à charge pour celle-ci de le faire restaurer et de procéder à son accrochage au mur de notre salle de réunion …Monsieur Drouhet accepta ma proposition, mais me déclara aussi que ce tableau, dont il ignorait l’auteur, dépôt de l’Académie à la Bibliothèque Centrale de Prêt, était certainement celui qui  y avait été dérobé dans les années 90.

Il s’adressa à la Caisse locale de Saint-Denis du Crédit Agricole qui  prit en charge, sur ces crédits  » mécénat « , les frais de restauration et d’encadrement du tableau. Je profite de l’occasion pour renouveler mes remerciements au Conseil d’Administration de la dite Caisse, qui a permis ainsi à mon prédécesseur de mener à bien sa dernière action à la tête de l’Académie.


Chapelle de l’ancien Hôpital militaire, devenue siège de l’Académie par arrêté du gouverneur Lapalud.

Voici donc l’Académie de nouveau détentrice de ce fameux tableau…reste à remplir la deuxième condition, à savoir le ré-accrochage au mur de notre salle de réunion, rue de la Victoire…En principe, elle nous est toujours dévolue, mais je doute fort qu’en cette période de pénurie, la préfecture, héritière du gouvernement, nous la remeuble et la réinstalle comme l’avaient fait les gouverneurs Lapalud et Repiquet en 1925…

Restait aussi le problème de l’identification de l’auteur de ce portrait remarquablement bien exécuté ! Je pense avoir trouvé la réponse à cette question en lisant  et relisant les procès-verbaux des séances de l’Académie fidèlement consignés par le Secrétaire général de l’époque, M. Adrien Merlo, Conservateur du Musée Léon Dierx.

En effet, au cours de sa séance du 3 novembre 1921, l’Académie acceptait comme Membre Associé, un certain Victor Gautrez, Professeur au Lycée Leconte de Lisle et homme de lettres auteur d’un roman intitulé :  » Amours de beaux mulâtres « dont l’action se passe en Guyane…Ce monsieur Gautrez est élu Membre Titulaire le 6 novembre 1924  et nous apprenons au détour d’un compte-rendu qu’il a été élève de l’école des Beaux-Arts, lauréat d’un concours de peinture et qu’il est pressenti pour exécuter un  » portrait à l’huile du gouverneur Garbit qu’on placerait en face de celui du président Hermann  »  ( P.V. du 5 novembre 1925) ; plus tard la même demande lui sera faite au décès du Président Guignard et  » le 30 novembre 1930 un portrait de M. Méziaire Guignard […] exécuté par M. Victor PERSINETTE-GAUTREZ, membre titulaire, fut placé dans la salle de réunion de l’Académie « . (Vol 10 du Bulletin)… Dans leurs allocutions, reproduites dans ce même volume, le gouverneur Repiquet et le Docteur Henri Azéma le qualifient  » d’excellent peintre  » et de  » peintre de grand talent « . A n’en pas douter, mesdames, messieurs, il est l’auteur du tableau que vous avez devant vous.

Je suis donc particulièrement heureux de vous présenter, ce soir, dans sa splendeur retrouvée, ce portrait de notre premier président…Il est des moments dans la vie où l’on se dit que la notion de divine providence existe vraiment…Sinon, comment expliquer le fait que se soit justement à moi, membre de l’Académie, qu’on vienne proposer le rachat des portraits de nos deux premiers présidents… » croûtes  » encombrantes qui auraient très bien pu terminer à la décharge…

Alain-Marcel VAUTHIER

Président de l’Académie de l’île de La Réunion.

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En ce mois de février 2012, à un an à peu près de la célébration du centenaire de cette  vénérable institution qu’est l’Académie de l’île de La Réunion, puisqu’elle fut créée au mois de mai 1913 par le gouverneur Garbit, (avec des statuts calqués sur ceux de sa prestigieuse aînée l’Académie Française) il m’a paru important, moi qui suis son lointain successeur, d’évoquer la vie (oh combien laborieusement remplie !) de celui qui fut à 67 ans et pendant huit ans, le premier Président de l’Académie.

Son œuvre, abondante et diversifiée, qui couvre ses différentes facettes   d’homme politique (particulièrement soucieux de sa région de Saint-Pierre !) de journaliste, d’historien, de  savant, de chercheur, de visionnaire, n’est pas totalement tombée dans l’oubli et a fait l’objet d’une réédition partielle aux éditions du Tramail, en 1990 ; le deuxième tome de cette réédition est en préparation aux éditions Orphie…J’ai aussi appris que des groupes de passionnés organisaient des excursions dans la montagne pour retrouver les signes et les rochers dont parle Jules Hermann dans son œuvre  maîtresse  » Les Révélations du Grand Océan « . En outre un jeune universitaire, monsieur Nicolas Gérodou, est sur le point de publier une thèse sur cet ouvrage.

C’est pourquoi, ce soir, dans le court laps de temps qui m’est imparti, je me contenterai d’évoquer à grands traits la vie et l’œuvre de cet homme exceptionnel que fut Jules Hermann…Il naît le 1er novembre 1845, à Saint-Pierre, rue du Tourbillon, devenue aujourd’hui rue Méziaire Guignard. Son père, Mathieu, commerçant de son état, ne déclare la naissance de son fils, Jules Toussaint, que onze jours plus tard, d’où la confusion apparaissant  dans certaines biographies qui portent le 11 novembre comme sa date de naissance…Jules est la quatrième génération des Hermann installés à La Réunion. Son ancêtre, Jean Hermann, natif d’Allemagne, arrive à l’île Bourbon en 1766 et s’établit à Saint-Pierre où il est concierge des Prisons. Il épouse une créole, Marie Payet, de onze ans sa cadette, descendante d’Antoine Payet, dit Laroche, arrivé à Bourbon en 1674.

Jules Hermann effectue ses études primaires à Saint-Pierre et ses études secondaires au seul Lycée de Saint-Denis, alors Lycée Impérial avant de devenir plusieurs décennies plus tard le Lycée Leconte de Lisle…Il en sort en 1864, titulaire du baccalauréat ès lettres obtenu avec la mention assez bien. Il se lance alors dans des études de droit et celles-ci terminées, nous le retrouvons en 1869, avocat au barreau de Saint-Pierre. Deux ans plus tard, il postule pour être nommé notaire en remplacement de Charles

Ernest Coulon installé depuis 1855 et démissionnaire en sa faveur. Le 13 mai 1872, il a alors vingt sept ans, un arrêté du Gouverneur de Lormel le confirme dans ses nouvelles fonctions.

En 1874, il épouse la fille d’un de ses anciens professeurs de rhétorique au Lycée : Laure Jenny Ange Renouard. Le couple ne put jamais avoir d’enfant, mais s’occupa des enfants d’un frère de Jules disparu tragiquement…

L’étude dont il est devenu propriétaire est riche de quarante six années de minutes accumulées. C’est la présence et la mise à sa disponibilité de si riches archives qui éveillèrent sa curiosité d’historien. Dans ces vieilles minutes il puisera aux sources authentiques de l’histoire de sa région. Sources tellement authentiques, d’après le député Louis Brunet, qu’il sera souvent dans le vrai, allant  même à l’encontre du discours de certains chroniqueurs officiels en ce qui concerne la biographie de personnages historiques comme Habert de Vauboulon par exemple…

Je ne sais si le portrait qu’en firent de lui les écrivains Marius et Ary Leblond dans leur roman  » Le miracle de la race » est véridique ou romancé. En tous cas, ils le mettent abondamment en scène, lui, son œuvre, et son amour des randonnées pédestres  sous le nom du notaire  » Edmond Vertère « …Je voudrais vous en lire quelques extraits :  » M Vertère passait […] en ville pour un peu  » toqué « […] parce qu’il vivait toujours enfermé avec ses livres, qu’il achetait les vieux papiers de famille, et qu’il étiquetait tout ce qu’il trouvait dans ses promenades. [………]  Savant, il aimait à raconter et il faisait alors pour un enfant attentif, des frais de conversation dont il ne se donnait pas la peine pour les dames…La passion d’écrire l’histoire de son île l’avait pris à remonter de nom en nom pour ses affaires de succession, la généalogie des premières familles. Mais le classement des familles humaines qui avaient fait souche dans la colonie avait bientôt conduit ce coureur de montagnes au classement des familles de plantes…puis, après la botanique, la géologie l’avait tenté, en sorte qu’il n’avait encore publié aucun de ses ouvrages. « 

 

 

En juillet 1911, il est alors âgé de 66 ans, il cesse ses fonctions de notaire mais reste, c’est le moins qu’on puisse dire, d’une activité débordante. Il fut en particulier un grand pourvoyeur d’articles, sur les sujets les plus divers…pour les  revues des deux grandes sociétés savantes de l’époque : la Société des Sciences et Arts et l’Académie de l’île de La Réunion.

En tant qu’homme politique, il fut Maire de Saint-Pierre, Président du Conseil Général et candidat malheureux à la députation contre François de MAHY. Il écrivit plusieurs brochures dans lesquelles il se fait l’apôtre du développement du port de Saint-Pierre et stigmatise les carences de l’État en ce domaine. Comme Président du Conseil Général, il voulut être un novateur épris de progrès économique…A partir de 1911, il se consacre à l’étude de Madagascar qu’il a visitée en 1899-1900 et y voit le berceau d’un continent englouti.

L’historien nous a laissé plusieurs œuvres dont les plus importantes sont sans conteste : « La colonisation de l’île Bourbon » et  » Fondation du quartier Saint-Pierre ». Mais il est une œuvre où éclatent ses talents de scientifique, d’érudit, de linguiste, de chercheur visionnaire, de précurseur, d’artiste passionné par la beauté de son pays (qu’il a parcouru à pieds en tous sens). Une œuvre qui, à elle seule, lui vaudrait de passer à la postérité et qui avait séduit un autre visionnaire…mauricien celui là…Malcom de Chazal. Cette œuvre, publiée en son entier trois ans après sa mort par sa veuve en 1927, a pour nom « Les Révélations du Grand Océan« . Jules Hermann y développe, entre autres, une théorie qui fait de Madagascar le berceau de l’humanité et qui voudrait que tous les noms de lieux de France soient d’origine malgache (par exemple LA CANEBIERE de Marseille viendrait de « lakanabe iera » qui signifie en malgache « l’endroit où les grands bateaux atterrissent »). Les théories de Jules Hermann sont tout à fait originales et quelquefois même extravagantes ; l’archiviste et historien mauricien Auguste Toussaint, parle même : « d’extraordinaire galimatias en deux volumes « … mais   certains développements méritent vraiment qu’on s’y arrête. Celui sur les fractures de la terre de Mantovani explicite clairement la tectonique des plaques, 30 ans avant Wegener…

La mort (survenue le 4 avril 1924) le surprit alors qu’il crayonnait un dessin du Cap Bernard qu’il voulait faire paraître à la fin du livre cinquième.

(Extraits d’une causerie prononcée le 22 Février 2012 au Lycée de Belle Pierre à l’occasion de la remise solennelle de médailles dans l’ordre des Palmes académiques).

Alain-Marcel VAUTHIER

Président de l’Académie de  l’île de La Réunion.

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