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Archive for juillet 2020


(La citation ci-dessus est attribuée à Brillat-Savarin.) 

 

Un ami a récemment  attiré mon attention sur un article du fameux « Album de  l’île de La Réunion » de Roussin, réédité en 1975 aux Editions Jeanne Laffitte de Marseille, qui est un véritable trésor de notre patrimoine historique, géographique, culturel voire gustatif… car l’article en question traite sous la plume de P. de Monforand dans les années 1860 du piment et de son importance dans la nourriture créole ; en voici un extrait : «

… Il semble que la science culinaire ne soit employée ici (à La Réunion) qu’à mettre le piment en usage : la volaille est pimentée, les viandes de boucherie sont pimentées, le poisson est pimenté, les légumes de toute espèce sont pimentés ; les fruits eux-mêmes – proh pudor ! (1)-  n’échappent pas à la loi générale : oranges, fruits de Cythère, ananas, tout est pimenté. C’est le piment qui est la chose nécessaire, indispensable, ou plutôt c’est lui qui est le véritable mets : ce qu’on lui adjoint n’est que le prétexte pour le produire ; il combat, il efface, il confisque despotiquement à son profit tout autre goût : que vous importe le nom de l’animal ou de la plante que l’on vous sert, du moment que le piment y domine et que lui seul a le droit de s’y faire reconnaître ? Votre bouche est brûlée, vos lèvres sont deux charbons ardents, votre langue est cuite comme un damné après mille ans d’enfer, des larmes involontaires s’échappent de vos yeux rougis : cela suffit et de reste, la chère était divine. – N’est-il pas vrai, Mesdames et Messieurs ; n’est-ce pas à ces indices caractéristiques que vous reconnaissez l’excellence d’un plat ? »

Il me semble que l’auteur, emporté par son élan littéraire exagère…mais à peine. Il me souvient par exemple que lors d’un repas officiel où force huiles politiques et culturelles étaient réunies, on servit dans un restaurant de la côte Ouest un des ces repas dits de « cuisine moderne » où les mets parcimonieux ont toutes les couleurs de l’arc en ciel mais dont la fadeur est faite pour ne pas  choquer un tant soit peu les bouches tendres…Quel ne fut pas alors notre soulagement de voir que l’un de nos collègues prévoyants et flairant l’embrouille, s’était muni d’un bon bocal de piment crazé avec force ail et gingembre qui circula autour des tables à la grande joie des initiés.

 

Un peu plus loin le même Monforand nous fait part d’une découverte inattendue qui surprendra plus d’un d’entre nos lecteurs. Je ne résiste pas au plaisir de la partager avec vous «  … l’usage du piment, nous dit-il, est fort ancien dans les pays chauds ; j’en ai trouvé une preuve assez curieuse dans l’ouvrage du médecin hollandais Bontius, établi à Batavia au commencement du 17ème siècle, et dont les observations ont été revues et annotées après sa mort, par un compatriote et confrère, Guillaume Pison, qui les a publiées avec ses propres travaux sur le Brésil qu’il avait visité. Dans cet ouvrage, imprimé par L. et D. Elzévir, Amsterdam 1658, Bontius nous donne la recette du Rougail, tel, ou à peu près, que nos créoles le font encore aujourd’hui: « 

Sumunt fructus illius mandragoroe quam Itali melansana vocant, Neoterici poma amoris, Lusitani tamatas et poma doro a pulcherrimo et lucido in maturis rubro colore. Discidunt fructus hos cum pipere chilensi in minutissimas particulas, easque crudas oleo et aceto perfundunt cum pauco sale, eoque pro cupediis utuntur. (Jacobi Bontii, Hist. Nat, et med. Lib.VI, pag. 131.)

Rougail tomates du 21ème siècle avec Kalou et pilon.

On prend les fruits de cette espèce de mandragore que les Italiens nomment melansana, les habitants du Nouveau-monde, pommes d’amour, et les Portugais tomates ou pommes d’or, à cause du beau rouge vif qui les colore quand elles sont mûres. On coupe ces fruits très menu avec du piment et, sans les cuire, on les arrose avec du vinaigre et de l’huile : on ajoute un peu de sel, et l’on s’en sert comme d’assaisonnement. (2)

Ce qui me plaît dans le texte de Bontius, cité par Monforand c’est qu’il atteste de l’ancienneté du rougail tomate… quoique depuis lors bien des améliorations aient été apportées à la recette initiale : emploi de l’oignon, du gingembre ou du combava.… et je m’attends de la part de nos lecteurs à une avalanche de recettes personnalisées. Par avance, merci à tous !

 

DPR974

1)   ô honte !

2)    Mes condisciples, adeptes comme moi du latin de cuisine, me pardonneront de donner la traduction française de cette recette historique.

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