C’est très vieux, c’est très ancien, ce sont des choses
très douces : la maison blanche au bout de l’allée
avec les souvenirs de l’enfance en allée
sous les palmiers, le long des grands hibiscus roses.
Ces vers écrits au début du siècle dernier par le poète réunionnais Georges-François soulignent avec nostalgie le passé des grands domaines créoles. Les journées du patrimoine, cuvée 2012, nous auront permis de découvrir, ou de redécouvrir, le » Domaine du Chaudron « , également appelé » Propriété Maureau « , à Sainte-Clotilde.
Un peu d’histoire et de géographie
Dans votre berline climatisée vous avez sûrement longé des dizaines, voire des centaines de fois, le Domaine du Chaudron sans le voir. Pourtant si après être passés sous le toboggan de la Jamaïque en direction de l’aéroport de Gillot, vous levez un tant soit peu le pied, vous apercevrez furtivement sur votre droite une majestueuse allée cocos qui mène directement à la demeure de la famille Maureau. A l’origine, la propriété s’étendait, selon la formule consacrée, » du battant des lames au sommet des montagnes « . Aujourd’hui ne subsiste du domaine qu’un îlot de verdure coincé entre la quatre-voies Saint-Denis/Gillot au nord et la zone industrielle du Chaudron au sud.
Le nom du domaine du Chaudron vient d’une cavité, en forme de chaudron, se trouvant au pied de la cascade et qui a donné son nom à la ravine. L’eau du domaine provenait du premier bras de la ravine du Chaudron, l’irrigation se faisant par des canaux en pierres, dont on peut encore apercevoir les vestiges. Une nappe d’eau souterraine sous la maison abritait, dit-on, des anguilles, qu’on entendait siffler la nuit. Entre la route et la mer prenait naissance en période de forte pluie une sorte de lac appelé « Bastian » non loin du petit cimetière de la grippe espagnole (1919).
Aux premiers propriétaires du domaine, les frères Lory (qui ont donné leur nom à une rue de Sainte-Clotilde), ont succédé les Sicre de Fontbrune, les Bellier de Villentroy et au début du dix-neuvième siècle Charles André Panon-Desbassyns, né en 1782, fils de la célèbre » Madame Desbassyns » qui eut neuf enfants.
En 1815, sous l’occupation anglaise, Charles Desbassyns, propriétaire du domaine du Chaudron ainsi que de terres à Sainte-Marie, et son frère aîné Joseph, propriétaire du Domaine du Grand Hazier à Sainte-Suzanne, se lancent dans la culture de la canne à sucre. Ils ont fait leurs études en France et sont allés en Angleterre et aux Etats-Unis.
Charles Desbassyns crée ainsi la première sucrerie de l’île. Il fait venir de l’île Maurice les plans de moulins à vapeur qui fonctionnent déjà sur l’île soeur. En 1817 sont mis en service à la Réunion les premiers cylindres broyeurs mûs par la vapeur. L’usine fonctionnera pendant près d’un siècle, mais la chute des cours du sucre, liée à la concurrence des betteraviers du nord de la France, finira par entraîner la fermeture de nombreux établissements au début du vingtième siècle.
Le Domaine Maureau
En 1918 le Domaine du Chaudron, d’une superficie de 400 hectares, est racheté par Charles André Maureau, qui a donné à la demeure sa configuration définitive. Lui succédèrent son fils Charles (1902-1992) qui eut trois garçons (dont Hervé Maureau, qui fut conseiller général du 8ème canton de Saint-Denis) et sa soeur, Mary, qui épousa Maurice Le Clézio (de l’Ile Maurice).
Entre les deux guerres, outre la canne à sucre (dont la culture persista jusque dans les années 60) le domaine vivait de l’exploitation des filaos, de cultures vivrières (ambrevades, légumes) et de divers élevages, dont un élevage d’oiseaux. Le personnel du domaine se composait de cuisinières, de femmes de chambre, de palefreniers (pour les soins aux chevaux) et de très nombreuses familles de colons.
La famille Maureau est actuellement propriétaire de la moitié du domaine, l’autre moitié appartenant à la famille Le Clézio qui lui est apparentée.
Au début des années 60, sous l’impulsion de Michel Debré, le domaine du Chaudron est amputé au sud pour cause d’implantation d’une » ville nouvelle « , la » Cité Michel Debré « , inaugurée en 1966, pour la première tranche. Quelques années plus tard, l’accès à la mer sera barré par le tracé de la quatre-voies Saint-Denis/Gillot.
La visite
Dans le cadre des Journées Européennes du Patrimoine, l’édition 2012 aura permis d’offrir au public la visite du Domaine Maureau. La visite guidée était assurée par de charmantes étudiantes en BTS-Tourisme, mais le charme ne fait pas tout. N’aurait-il pas été plus approprié de confier cette mission à des étudiantes (ou des étudiants) en Histoire-Géo ?… On brûle de voir la grande demeure créole, mais on ne la voit pas. On commence par le moulin à vent, qui porte l’inscription de 1827 et qui est en cours de restauration. S’ensuivent quelques vestiges, quelques ruines, un four à pain mal en point, du matériel agricole rongé par la rouille. L’imagination permet néanmoins de rêver à la magnificence de ce que fut ce monde révolu, lorsque soudain, au détour d’un potager, entre les frondaisons, l’on aperçoit la grande façade blanche de la résidence seigneuriale, dans ce qui avait dû être sa splendeur.
La maison est belle, elle vaut à elle seule le déplacement. Bien sûr elle est en état de délabrement (surtout à l’arrière), mais qu’importe ! La façade est splendide, avec son escalier de huit marches en pierres faisant toute la longueur du bâtiment, ses huit majestueuses colonnes de style toscan (quatorze colonnes en tout avec celles sur les flancs), son immense varangue et ses sept monumentales portes en bois à doubles vantaux. En vous retournant vous apercevrez l’allée cocos qui descend vers la mer, bloquée dans son élan par la quatre voies et son flot incessant de voitures. Vous pourrez découvrir le puits, les fontaines, les bassins, les canaux, la fontaine tortue, ou encore, retirée sous une charmille, une fontaine–statue de facture néo-classique. Avec un peu d’imagination vous pourriez vous croire dans les jardins de Versailles ou sur les terres de Scarlett O’Hara.
Un trésor caché
Le thème choisi cette année par le Ministère de la Culture pour les » Journées Européennes du Patrimoine » était celui des » patrimoines cachés « . Le domaine du Chaudron est effectivement un trésor caché de notre patrimoine. Le 22 novembre 1981 la maison proprement dite a été classée au titre des Monuments Historiques, le reste du domaine ayant été inscrit à l’Inventaire Supplémentaire. Un projet de restauration serait en cours. Il serait judicieux de faire vite, avant que ce joyau ne finisse dans la décrépitude.
Jean-Claude Legros
Sources
⁃ Entretien avec M. Joseph Luc, que nous remercions chaleureusement. Il est l’auteur d’une monographie sur l’histoire de Sainte-Clotilde et la mémoire vivante du Domaine Maureau.
⁃ » Les patrimoines cachés du Beau Pays « , (Office de Tourisme Intercommunal du nord de la Réunion)
⁃ » Famille Panon Desbassyns de Richemont » (Wikipedia)
⁃ » Le Domaine du Chaudron » (Wikipedia)
j’ai toujours plaisir à lire ces articles : parce que le patrimoine industriel de la Réunion le mérite (comme il mérite un préservation) et aussi parce que je découvre la statue (fontaine) par cette belle photo (je suppose que c’est une fonte d’art Ducel ou Val d’Osne) ; je vais faire quelques recherches sur le modèle. Si sur votre photo originale, on peut voir plus de détails, ce serait avec intérêt que je l’admirerais.
Une fois passées les journées du patrimoine, est-ce que le domaine est visitable dans le reste de l’année ?
Cordialement
D. Perchet
Merci pour vos encouragements. Nous essaierons,dès que possible,de satisfaire votre légitime curiosité.
Cordialement.
Pour dpr974,
R. Gauvin
Je ne sais plus d’où je tiens ça mais il semblerait que la maison soit d’apparence mauricienne en raison des liens des constructeurs / propriétaires avec Maurice. Elle n’est pas vraiment de style typiquement réunionnais en tout cas et ressemble beaucoup à une « campagne » des hauts de Maurice (varangue, perrons, chiens assis) comme Sorrèze à Vacoas, Ulverton à Phoenix ou plus encore le Clos Joli à Moka, tous démolis.
Par ailleurs est-ce que le gouverneur Manès n’a pas un lien avec la maison aussi? Je sais qu’il possédait des terres dans l’est de Maurice où il fit construire une maison (Constance-Manès) aujourd’hui démolie (deux corps de bâtiment à pignon enserrant une varangue créole) et une autre à la Reunion (fin XIXe début XXe siècle). Vous ne le citez pas, de mémoire il a possédé le Chaudron?
Merci à Thomas, notre lecteur, pour ses commentaires sur la Maison Maureau. Ses remarques nécessiteraient une recherche approfondie quant aux échanges et aux influences en matière architecturale entre les îles soeurs…
D’après ce que nous savons il n’y a pas de liens pertinents entre les constructeurs ou propriétaires réunionnais et mauriciens en ce qui concerne la Maison Maureau. C’est une maison néoclassique typique qui a été construite entre 1843 et 1848 alors que la famille Lory en était propriétaire et c’est la famille Maureau qui lui a donné » sa configuration définitive au début du XXème siècle ».(Cf. « Monuments historiques de Saint-Denis de La Réunion »; Impression Graphica 2005; distribué par Océan Éditions).
Il nous faut néanmoins signaler qu’une soeur de M. Charles Maureau a épousé un ressortissant mauricien, M. Leclézio.
En ce qui concerne le Gouverneur Manès, il n’a pas été propriétaire de la Maison du Chaudron mais de la maison du Domaine de Marencourt à Sainte-Suzanne.