Dans l’une de ses savoureuses chroniques sur Radio Arc-en-Ciel, David Huet a récemment fait revivre un personnage hors du commun, Joseph Napoléon Sébastien Sarda Garriga, plus simplement connu sous le patronyme double de Sarda Garriga, du nom de son père Sarda et de celui de sa mère Garriga. David Huet a eu l’art de nous raconter comment ce fils de berger, né en 1808 dans les Pyrénées Orientales, monté à Paris à l’âge de vingt ans, militant des Droits de l’Homme, devenu receveur des Finances, fut pressenti en 1848 par son ami Etienne Arago (frère du ministre François Arago, qui venait de faire voter l’abolition de l’esclavage) pour libérer les 63 000 esclaves de l’Ile de la Réunion.
Il n’entre pas dans mon propos de vous raconter l’histoire de cet homme exceptionnel, David Huet le fera mieux que moi. Il vous racontera comment Sarda Garriga, nommé Commissaire de la République, débarqua à la Réunion en octobre 1848 avec les pleins pouvoirs. Comment il fit, de novembre à décembre 1848, le tour de l’île à la rencontre des esclaves, qui l’accueillirent avec ferveur et le surnommèrent Papa Sarda.
Il vous dira comment après la journée historique du 20 décembre 1848, saluée par 21 coups de canon devant l’Hôtel du Gouvernement, marquée par un Te Deum à la cathédrale de Saint-Denis et couronnée par la sarabande des ségas maloyas sur la place du Barachois, les esclaves se remirent au travail, dès le lendemain, comme Papa Sarda les y avait exhortés.
Il vous racontera aussi comment, sur décret de Louis Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III, Sarda Garriga fut révoqué en 1849 et dut rentrer en France en 1850, pour être renvoyé en Guyane en 1852. Et comment, de retour en France en 1853, il finit par acheter en 1863 le prieuré d’Heudreville, dans la commune de Mesnil-sur-l’Estrée, en Normandie, où il s’éteignit, complètement ruiné, en 1877, à l’âge de 69 ans.
J’eus récemment l’opportunité de me rendre dans le département de l’Eure, à Mesnil-sur-l’Estrée. C’était un dimanche. Il était midi. Presque tout était fermé. J’ai avisé une boulangerie où les gens faisaient la queue pour acheter leur baguette et le gâteau du dimanche.
Lorsque je demandai à l’une des vendeuses où je pourrais trouver la trace d’un certain Sarda Garriga, ce fut la panique dans la boulangerie. Sarda Garriga ? Un nom pas très répandu en Normandie ! Ce fut la boulangère en chef qui sauva la situation en m’aiguillant vers la mairie, qui se trouvait dans la même rue, un peu plus loin. C’était dimanche, la mairie était fermée. La cour de la mairie également, clôturée par une grille. Et c’est ainsi qu’à travers les grilles de la mairie de Mesnil-sur-l’Estrée j’ai aperçu la stèle dédiée à Sarda Garriga. N’ayant pu faire de photos qu’à travers les grilles, je programmai une nouvelle visite un jour de semaine.
Au cimetière j’avais cherché en vain la tombe du commissaire de la République. Personne n’ayant pu m’indiquer où se situait le prieuré d’Heudreville qui fut la demeure de Sarda-Garriga, je repartis quasiment bredouille.
J’eus plus de chance à ma seconde visite. D’abord la cour de la mairie était ouverte, ce qui m’a permis de faire des photos de la stèle et de découvrir ainsi une plaque apposée en 2006 par les élèves de l’école élémentaire Victor Schoelcher de Cilaos, de passage dans le village, en l’honneur du Commissaire Général de la République, libérateur de 63 000 esclaves à la Réunion en 1848.
Deux employés de la mairie ont pu me situer l’emplacement précis de la tombe dans le cimetière ainsi que celui du prieuré d’Heudreville, qui se trouvait en fait juste en face, de l’autre côté de la route. Au cimetière, qui comme dans beaucoup de campagnes françaises, entoure l’église, je n’ai eu cette fois-ci aucun mal à trouver la tombe, une belle tombe toute neuve située à l’entrée, alors que la première fois je cherchais une tombe ancienne vers le fond du cimetière. C’est à l’initiative du président de l’Académie de la Réunion, le Dr Serge Ycard à l’époque, que la tombe de Sarda Garriga fut entièrement rénovée. Sur la tombe, une plaque témoigne du passage en 1998 d’une association de Réunionnais de Draguignan dans le Var, Rev’Filaos.
Les employés de la mairie m’avaient prévenu : du prieuré d’Heudreville, propriété privée, je ne verrai que les murs d’enceinte et la porte monumentale en bois. Mais la chance était au rendez-vous : le jardinier de la propriété était devant la porte. Après m’avoir expliqué que le domaine appartenait à des Parisiens qui n’y venaient que le week-end, il me fut possible de jeter un coup d’oeil rapide sur le jardin intérieur, le bâtiment d’habitation et la chapelle (désaffectée).
Rentré à la Réunion, je suis allé revoir au Barachois la plaque commémorative du débarquement de Sarda Garriga le 14 octobre 1848 (plaque quasiment invisible, quasiment illisible), ainsi que celle, plus poétique, apposée devant le tamarin de Sarda, sur la route de la Ravine-à-Malheur à la Possession, en souvenir de la halte qu’y fit le Commissaire de la République. Mais pas la moindre statue, pas le moindre buste à l’horizon. Ne serait-ce pourtant pas là le moindre des témoignages de reconnaissance de la part des Réunionnais ?
Jean-Claude Legros
J’ai beaucoup aimé.Un grand bravo aux élèves et surtout aux enseignants de cette école de Cilaos qui ont eu cette initiative et ont réussi à la concrétiser.