Ce qui se passe à l’île Maurice ne saurait laisser indifférent un Réunionnais un tant soit peu sensible et conscient : nos deux îles ne sont-elles pas sœurs par l’histoire? Les relations sportives, culturelles, humaines, touristiques sont multiples et anciennes. Pour beaucoup d’entre nous, l’île Maurice a été la première étape d’une échappée belle sur les pays – dehors. Nous avons été marqués à vie par notre prise de conscience de deux mondes si proches, si ressemblants et pourtant si différents.
Chacun de nous se souvient d’être tombé sous le charme des paysages mauriciens, d’avoir apprécié l’hospitalité de nos voisins, mais déjà, avant même d’arriver à l’île-soeur, la carte de Maurice nous faisait rêver avec ses noms évocateurs, Trou aux Biches, Poudre d’or, Gris-gris, Bel Ombre, Bois Chéri, Flic en Flac et tant d’autres.
À peine avions nous débarqué que les moindres détails nous frappaient l’esprit tant les choses étaient différentes de chez nous : tortues en quasi liberté de l’île aux cerfs, nénuphars géants du Jardin des Pamplemousses, nombreux îlots qui à La Réunion nous manquaient.
Nous surprenait aussi l’attitude décomplexée des Mauriciens à l’égard des langues, anglais et français, langues indiennes, chinoise, Bhojpuri et créole (1). Personnellement je lisais avec gourmandise la presse en français. Je me perdais avec bonheur dans les petites annonces entre les arpents et les perches que je renonçai rapidement à convertir. Les articles étaient en outre truffés de passés prétendument simples (!) dont le côté suranné me ravissait.
Mais le plaisir n’était pas toujours sans partage. Il me souvient, aujourd’hui encore, de ma déception de créolophone de ne pas comprendre immédiatement le créole mauricien et de mon bonheur décuplé, quand, après bien des efforts, j’ai enfin saisi, comme par magie, l’essentiel du créole mauricien.
Comme beaucoup de Réunionnais je me laissais emporter par le rythme de la musique mauricienne: qui n’a en mémoire les ségas plein d’humour de Serge Lebrasse :
« Samdi passé mon grand-manman,
té pou fér dansé dann son lakaz…
Lhèr ki rantré santi lotion,
lhèr ki sorti santi jak mir ! »
ou encore la soirée passée sur la plage autour d’un feu de camp avec ravanes, maravanes et triangle et Ti-frèr, entonnant « Anita resté dormi do mo piti… » ou expliquant « koman la kolèr pran moi » devant « Roséda» dont le comportement était loin d’être raisonnable…(2)
Maurice c’était aussi ses cases créoles, aux toitures de bardeaux noirs, ses haies de petits bambous derrière lesquelles ces coquettes faisaient semblant de se cacher ou les Bâtiments imposants de la Compagnie des Indes, témoins de l’importance de « l’étoile et de la clé de la mer indienne » (3).
Tout ce qui précède tend uniquement à montrer que l’auteur de ces lignes a longuement fréquenté l’île Maurice et que ce qui le motive c’est sa tendresse pour un pays qui lui a accordé en retour bien des jours de bonheur. Chez lui aucun désir de dénigrer systématiquement. Aucune
« sombre Envie, à l’œil timide et louche
versant sur les lauriers les poisons de sa bouche …»
Comme aurait dit Voltaire…
Ce qui le motive c’est la perte de ce trésor, le deuil qu’il commence à porter d’un pays aimé, trop tôt disparu (4). Vous ne me croyez pas ? Reportez-vous au blog « mauricederrierelacartepostale ». Regardez ce qu’il advient de l’environnement naturel : magnifiques allées d’arbres éradiquées, rivières comblées, espaces naturels protégés transformés en ghettos pour riches étrangers, nombreux sites pollués. Il suffit pour s’en convaincre de consulter l’article du blog: « Le Pouce, devant-derrière ! ».
Le Patrimoine architectural n’est pas logé à meilleure enseigne cf. sur le site de « mauricederrierelacartepostale » l’article fort documenté, intitulé « VIE ET MORT DE L’HOTEL DU GOUVERNEMENT (1736-2010) ». On ne respecte ni l’esthétique ni l’histoire (5). L’architecture authentique est détruite, remplacée par des constructions sans âme. Ailleurs, pour des « raisons religieuses » on a détruit les statues gigantesques de Bahmian… À Maurice comme à La Réunion ce sont les adeptes de la religion du Fric qui sont aux avants postes et la motivation – quels que soient les prétextes avancés – est toujours l’appât du gain. Que certains spéculateurs sans conscience procèdent ainsi ne saurait étonner, mais que penser des décideurs culturels et politiques qui sont chargés de défendre le Bien Public et qui seront, à juste titre, tenus pour responsables devant l’Histoire de tous ces errements.
Robert Gauvin
-1 Chez nous le français était sacralisé et le créole, langue maternelle, restait à la porte de l’église et hors de la classe dans les lycées et gare aux foudres du professeur si un créolisme ( !) vous échappait !
-2 Ces références culturelles ne sont pas d’aujourd’hui et révèlent que la jeunesse de l’auteur a pris quelques rides. Le talent des artistes cités est cependant toujours connu et admiré.
– 3 C’est la traduction de la devise en latin de l’île Maurice : Stella clavisque maris indici.
-4 Ce sentiment commence à être partagé par bien des connaisseurs de l’île Maurice : c’est ainsi que dans le n° de GÉO d’août 2013 un auteur de renom, d’origine mauricienne, Tatiana de Rosnay dit à propos de Maurice : « Je suis attirée par les pays où le melting-pot est fort. C’est aussi le cas de l’île Maurice, où sont nés mon père, grand-père et arrière-grand-père. J’y suis allée enfant, les plages étaient alors vierges. Grand Baie est aujourd’hui devenue un énorme centre touristique, Maurice a perdu son âme. »
– 5 Ce bâtiment aurait du être traité selon les principes de la conservation-restauration définis par la Charte de Venise : « la conservation-restauration contribue à la sauvegarde et à la connaissance des biens culturels au bénéfice des générations présentes et futures, dans le respect de leurs significations historique et esthétique, de leur intégrité physique, de leurs contextes et de leur usage social ».
-6 Merci à « mauricederrierelacartepostale »pour les deux illustrations.
Merci à R.Gauvin de nous rappeler combien nos histoires passées et futures sont liées. Ce qui se passe à Maurice n’est que la partie visible de se qui se passe ici en « missouk ». Les Mauriciens ont au moins l’honnêteté de ne pas s’embarrasser de préjugés et de croire que leur développement passe par là.. Chez nous, on veut nous faire croire que avons des institutions soucieuses de notre patrimoine et de notre environnement, des élus défendant corps et âme notre patrimoine historique et culturel, nos racines.. Mais la réalité est tout autre, les cases non classées ou non répertoriées, qui représentaient la majorité de notre patrimoine historique, disparaissent les unes après les autres, des bâtiments ou des lieux chargés d’histoire disparaissent également, sacrifiés sur l’autel des profits et des arrangements entre amis, sans soulever la moindre montée aux créneaux de ces dit « défenseurs », Il suffit de suivre les article de DPR pour s’apercevoir qu’il ne se passe pas très longtemps entre deux « disparition/démolition » et qu’à ce rythme notre patrimoine aura disparu, presque aussi vite qu’à Maurice, remplacé par une architecture « néo-créole-créolisante » sans âme et sans goûts, convaincue qu’il suffit de mettre un lambrequin au bord d’une toiture pour en faire une case créole.. mais même notre lambrequin à une histoire et des choses à dire.. Dans quelques années, ce patrimoine et ces richesses ne seront plus que des posters accrochés aux murs d’un musée, ou nos enfants paieront un guide qui leurs expliquera ce qu’était la Réunion « avant »…
Nous recevons de E. Ruhe, un fidèle correspondant de Würzburg, le commentaire suivant : » Triste blog, sur un si triste sujet. J’ai regardé l’envers de la carte postale sur « mauricederrièrelacartepostale ». Quel désastre! Un de plus après tant d’autres. Et lire que l’entrepreneur qui a bétonné l’Hôtel du gouvernement comme un champion est un parent…Faut bien s’occuper des siens.Quelle corruption! Et devoir se dire que c’est sans espoir puisque trop d’intérêts vont la mano en la mano, chacune graissant l’autre. Je comprends le sentiment de désolation de dpr974″
Cher ami,
Non pas de désolation mais d’indignation…Nous voulons que les coupables ne jouissent pas du silence complice. Si nous y parvenons, ce sera déjà un pas de fait…
dpr974.
Tout à fait d’accord. Il faut être conscient de ce qui est à l’origine du pays et ainsi voir où on peut aller et prendre les précautions adéquates.
Christian
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