Feeds:
Articles
Commentaires

Archive for 7 juin 2016

Philippe Defaud, sculpteur


 

«  Il n’existe rien de constant, si ce n’est le changement » (Bouddha)

«  Il n’existe rien de constant, si ce n’est le changement » (Bouddha)

Originaire des Hauts de l’île de La Réunion Philippe Defaud n’est pas né avec une cuiller d’argent dans la bouche : il est issu d’une famille modeste, dont la seule richesse et le grand souci était le nombre des enfants qu’il fallait « soigner » (1), éduquer et former à un métier. L’urgence première était de gagner sa vie dès que possible. Le destin de Philippe semblait tout tracé, le menant vers un métier manuel dans l’agriculture ou dans le bâtiment permettant juste de survivre.

Dans ces conditions comment s’ouvrir à l’art, à la création : la passion qu’il éprouvait pour le dessin – comment avait-elle pu voir le jour ?- n’était pas toujours comprise de ses proches. Le papier nécessaire, les crayons de couleur, le temps, étaient un luxe que l’on ne pouvait s’offrir. C’était gaspillage d’argent, gaspillage de temps … Il y avait bien cette grand-tante chez qui il se réfugiait parfois pour s’adonner à cette folie du dessin, mais elle était bien la seule à le soutenir. Dans cette première moitié du XXème siècle quelles expositions de peinture ou de sculpture aurait-il pu aller voir ? Bien sûr il y avait un musée à Saint-Denis…mais comment s’y rendre ?

Gestation.

Gestation.

Et malgré tout le goût était né, l’envie était là qui l’amenait à concourir avec Michel, son camarade de classe, à qui ferait le plus beau dessin, respecterait le mieux les volumes, saurait créer l’harmonie des couleurs. Déjà les volumes c’était son affaire alors que Michel le battait à plate couture pour les couleurs.

Dès la sortie du primaire, son père dont on devine la force de caractère et l’ardeur au travail, l’emmène sur les chantiers, où le fils s’initie au travail de la pierre, à la pose des carrelages. L’on sent à la manière dont il parle de cette expérience, de ses outils, des techniques de construction de murs en moellons de basalte que Philippe, jeune adolescent, manifeste déjà l’ardeur de se mesurer à la matière, éprouve le goût du travail bien fait. En secret il cultive le désir de voir autre chose, de voyager, afin d’élargir son horizon, de progresser, de se dépasser.

Après la Bretagne et Rennes où il fait un stage au Centre FPA pour se perfectionner dans le bâtiment, il aura l’occasion de voyager. Ses voyages le mettront au contact de l’art et en particulier de la sculpture ; il visitera églises romanes ou gothiques, châteaux médiévaux ou Renaissance et musées qui lui dévoileront l’Égypte des Pharaons. Il sera en outre profondément marqué par ses escapades à Florence, Herculanum et Pompéi.

Ce n’est cependant qu’à la retraite – il fallait sans doute davantage de loisir et le temps de maturation nécessaire – pour qu’il se lance dans la sculpture. Le déclic viendra d’un clin d’œil du hasard : un jour, il découvre dans son jardin un morceau de corail. Il le retourne du pied, machinalement, et à son esprit surgit soudain l’image, la vision d’une tête « grecque ». Il retourne le corail dans tous les sens. Finalement il saisit son burin, son marteau et se met en devoir de tailler le corail, montre ensuite l’œuvre réalisée à sa femme qui lui demande : «  Où donc as–tu trouvé cela ? » « Cela, je viens juste de le tailler ! ». Sa femme tombe des nues…Et c’est ainsi que tout a démarré…

Le Grec, avant ...

Le Grec, avant …

et après la bataille…(2)

et après la bataille…(2)

Depuis lors il n’a pas arrêté… il sculpte le bois, le grès, la pierre, mais son matériau de prédilection reste la « roche » dure de notre île, le basalte. Sa rencontre avec Gilbert CLAIN, le sculpteur du Petit Serré sur la route de Cilaos, a été l’occasion d’un défi que ce dernier lui a lancé : « Depuis plus de trente ans– lui a dit Clain – Je travaille dans ce domaine ; vous allez vous casser les dents sur le basalte ! » Philippe est du genre d’hommes à relever les défis. Du basalte il apprend à connaître toutes les qualités et toutes  les nuances : roche bleue, roche pintade, roche incrustée d’olivine…C’est l’objet de toutes ses recherches. Sur ce matériau il essaie toutes les techniques qu’il imagine pour le tailler, le poncer, le colorer. Dans le basalte il inscrit les visages et le mouvement des corps en attachant une attention particulière à l’expression de ses créatures. Mais laissons la parole au sculpteur au sujet de son art dans un texte qu’il a intitulé :

Rêve d’adolescent

« Projeté dans un grand rêve d’adolescent, autodidacte (3) tardivement amené à la sculpture après une vie active enrichissante, je laisse aller mon imagination en fonction de la matière, selon une légère esquisse directement effectuée sur le bloc. C’est le départ d’une aventure…

Le nu au chapeau… (Toujours sortir couverte !… )

Le nu au chapeau… (Toujours sortir couverte !… )

Mon travail est une recherche et une union avec la matière telle que le basalte que l’on retrouve dans tous les recoins de mon île. C’est une matière très noble par ses différents coloris. Elle m’amène avec des techniques diverses et une recherche de formes simples à représenter la vie et la nature qui nous entourent. Avec des formes épurées, entre le poli et le brut, le basalte me procure le désir d’aller plus loin dans mon inspiration. La taille directe de la matière me guide, grâce à sa nature, et l’œuvre prend forme peu à peu pour aboutir à une totale complicité entre la matière et moi-même. » P. Defaud

Le sculpteur a fait sien le credo de Pierre LAGÉNIE qui dit : «  Une sculpture est une aventure pour celui qui la fait, mais aussi pour celui qui la regarde. Le volume et la pensée communiquent. Si une sculpture est réussie c’est que la pensée s’est bien incarnée dans le volume. Mais cela, seuls les autres peuvent le dire. »

Virevolte

Virevolte

 

 Texte, R. Gauvin/ Illustrations, Christian Fontaine.

 Notes :

(1) « Soigner » en créole signifie ici : « en prendre soin, nourrir, élever, faire grandir ».

(2) Le visage en corail a subi un accident, mais le sculpteur l’a gardé précieusement comme déclic de sa vocation.

(3) Autodidacte, du grec ancien autodidaktos : qui s’est instruit soi-même. Combien de fois P. Defaud ne l’a-t-il pas entendu de ses interlocuteurs, certains admiratifs, d’autres ayant le plus souvent sur les lèvres un sourire de supériorité parce que « sortis des écoles » ? Oui, autodidacte ! Ce qualificatif P. Defaud l’assume, il le revendique, car il exprime toute la force, tout le courage qu’il faut pour s’affirmer, pour progresser et se réaliser.

(4) Se reporter également à l’article intitulé : « Récit de vie de Philippe Defaud ». Voir lien ci-dessous:  https://dpr974.wordpress.com/2016/04/17/recit-de-vie-de-philippe-defaud/

Read Full Post »