Dpr974 a interviewé Christiane Fauvre-Vaccaro
Enseignante à l’Ecole des Beaux-Arts du Port.
dpr : Je voudrais savoir comment vous est venue l’idée d’écrire votre livre « Des cases et des couleurs à La Réunion » ?
Christiane Fauvre-Vaccaro : Ce qui m’a frappée quand je suis arrivée à La Réunion, c’est la proximité de l’habitat et du végétal. Ce végétal était placé sous le signe de la couleur ; partout il y avait des fleurs. Cette végétation, cette couleur constituaient comme un bain de lumière. C’était féerique !
J’ai voulu voir avec mes élèves quel était leur rapport à la couleur : j’ai été sidérée par la réponse qu’ils m’apportaient dans leurs travaux, une réponse extrêmement colorée. J’arrivais alors de Métropole où les enfants avaient « peur » de la couleur. Ils voulaient bien faire du dessin mais pas de la peinture.
La couleur m’a semblé dès le départ être quelque chose de très fort à La Réunion, un « marqueur » de la culture créole, un « marqueur d’ethnicité » Ceci était d’autant plus évident que j’habitais alors à Bras-Panon, puis à Saint-André où les maisons sont très colorées.
dpr : ceci était-il valable pour toutes les cases ?
Christiane F-V : Non, il y avait une différence nette entre les cases des maîtres qui étaient blanches et les cases des gens plus modestes. La couleur était non seulement un « marqueur d’ethnicité », mais aussi un marqueur social, indiquant manifestement une différence de classe. Avoir une case blanche, c’était montrer un statut. Le petit peuple pouvait, lui, s’adonner à la couleur…Il faut se souvenir que la couleur sous d’autres latitudes a été connotée comme vulgaire, pratiquement jusqu’au XXème siècle.
Case blanche= statut.
Il y avait donc chez les Réunionnais un rapport très fort aux couleurs dans leur habitat. Ceci était également valable pour les vêtements, alors que maintenant les gens, les jeunes surtout, sont vêtus de manière assez uniforme.
Autrefois, en Europe le « bon goût », c’était la non-couleur. Que l’on se souvienne du débat entre les Florentins et les Vénitiens. Les Florentins, plus cultivés, plus intellectuels, étaient « plus » sur le dessin, alors que les Vénitiens étaient davantage dans le carnaval, dans la couleur, dans le côté « corps qui exulte ».
C’est ce rapport au corps qui m’a intéressée : on retrouve en effet le corps à travers la couleur. La non-couleur c’était la négation du corps.
dpr : Quelles étaient les couleurs utilisées pour les cases créoles ?
Christiane F-V : il y avait souvent du rouge-pétard, du vert-flashy, bref des couleurs vives. Les gens aimaient ces couleurs et mettaient aussi des couleurs vives sur leurs cases, parce qu’avec le soleil les couleurs passaient vite et si on voulait qu’elles durent un peu, il fallait qu’elles soient très vives au départ.
Le choix des couleurs relève également de la tradition culturelle. Sur la côte Est de La Réunion, il y a beaucoup de gens d’origine indienne et pour les hindous, le rouge, le jaune, l’orangé sont des couleurs ayant une signification symbolique forte : l’orange est une couleur sacrée de l’Hindouisme. Pour les Chinois le rouge est une couleur faste. Le rapport à la couleur vient d’un fond culturel très fort : étant donné l’origine ethnique des gens, les cases n’étaient pas colorées de la même manière, si bien que les passants pouvaient reconnaître l’origine des habitants de telle ou telle case. En fonction des couleurs on disait : « C’est un malbar qui habite là ! » Pour le « zarab » la couleur souvent utilisée était le blanc. Le vert, couleur préférée de Mahomet, symbole du salut était également considéré comme bénéfique (cf. le drapeau vert du Pakistan, celui de l’Arabie Saoudite et de bien d’autres pays musulmans). Bref, les « marqueurs d’ethnicité » sont multiples et la couleur en fait partie.
dpr : La différence ethnique était-elle toujours marquée aussi nettement ?
Christiane F-V : Pas toujours ; avec le métissage, le clivage ethnique avait tendance à s’estomper ; les couleurs des chapelles de Saint-Expédit, le culte qui lui est rendu, me semblent relever d’un syncrétisme, d’un métissage certains. Quant aux couleurs des temples hindous d’autrefois, elles me paraissent relever également d’un certain métissage, correspondant aux diverses origines des fidèles. Ce n’étaient pas les couleurs qu’on retrouvait en Inde, à Pondichéry, par exemple.
J’ai l’impression actuellement que l’on veut « corriger » l’histoire. L’on parle d’une « mise aux normes » : on va chercher des prêtres, des sculpteurs, des peintres en Inde ; on effectue une sorte de retour aux sources, à ce que l’on croit être « l’authenticité » originelle. En fait on s’aligne sur des modèles extérieurs, on renie une partie de son histoire, ce que l’on a été dans le passé, ce que l’on a partagé avec les autres. Depuis quelque temps on reconstruit un passé qui n’existait pas. Ce pourrait être l’objet de tout un débat. (Ci-contre le temple Hindou en construction à Commune Primat, à St Denis, selon les « normes » importées).
dpr : Que penser des « coups de peinture » des collectivités et du fait que, par exemple à Hell-bourg, on trouve tant de toits rouges que cela en devient uniforme ?
Christiane F-V : les toits rouges sont un index ; c’est-à-dire que cela montre : ceci est un toit. La tôle n’est pas un matériau « noble »…Il se peut que d’une certaine façon ce soit une « identification » à la tuile. En Europe les toits sont majoritairement rouges, ocre, en terre cuite. Ici c’est peut-être une façon un peu métaphorique de dire : ceci est un toit, une vraie toiture. C’est une indication quant au fait que c’est « architecturalement » une « vraie » toiture.
L’explication selon laquelle les anti-rouille au minium étaient naguère rouges ne se justifie plus maintenant où les anti-rouille sont de couleurs variées. Il me semble que dans le végétal, dans la verdure, la maison est « indexée » par son toit. En outre c’est une association qui fonctionne, étant donné que le rouge est la couleur complémentaire du vert.
Quand les toits rouges étaient peu nombreux ils ne choquaient pas. Maintenant c’est son uniformité qui peut gêner ; la faute en incombe sans doute aux industriels qui produisent toujours les mêmes rouges.
dpr : N’avez-vous pas ouvert la boîte de Pandore en écrivant votre livre « Des cases et des couleurs à La Réunion » et en montrant ce goût des Réunionnais pour la couleur ?
Christiane F.V : J’ai effectivement mis le doigt sur la couleur et maintenant on met de la couleur n’importe où, n’importe comment. Autrefois cela correspondait à quelque chose de fort ; c’étaient les habitants qui étaient paysagistes. Ce n’était pas les architectes qui avaient pensé pour eux. Ce côté spontané de la couleur est devenu quelque chose qui dépend du bon gré de tel ou tel architecte. Cela ne correspond plus à rien du tout, car on a oublié l’autre volet qui est pour moi essentiel, à savoir le végétal. Pour moi la couleur est indissociable du végétal. On met de la couleur sur du béton et nulle part il n’y a du végétal. C’est une incompréhension complète de ce que j’ai voulu dire. Ce n’est peut être pas moi qui ai influencé les architectes, mais mon livre a peut être lancé une mode. Avant que je ne fasse mon livre, personne, à part Corinne Etave dans son travail sur les cases du Sud de La Réunion, n’avait vraiment « vu » les couleurs à La Réunion. On les trouvait moches, criardes, trop bariolées. On parlait d’architecture créole et on ne voyait que les « cases de maîtres » blanches. Les petites cases ont relancé la mode de la couleur, mais l’orientation qui a été prise par la suite ne va pas dans le bon sens
dpr : Pourquoi cela ?
Christiane F-V : C’est qu’on assiste, avec une densification mal maîtrisée, à la disparition quasi-totale du végétal. On aura beau mettre les couleurs les plus vives, les mieux assorties, cela ne fonctionne pas sans le végétal. Ce qu’on appelle « la belle couleur », si on la sort du contexte, peut très bien ne plus être belle. Un rouge va être beau sur un fond vert ou bien parce qu’il y a un bougainvillier fleuri à côté, s’il y a un croton devant. Le contexte végétal était là pour exalter la couleur.
Immeuble récemment construit à Ste Clotilde aux dépens du végétal, seules les petites cases maintiennent le végétal.
dpr : on voit ici ou là une construction géométrique flamboyante sur un flanc de colline. Cela est parfois choquant…
Christiane F-V. Il n’y a pas de règle générale. Il faut étudier cas par cas. Il y a deux options en architecture : soit on intègre la maison au paysage. C’est ce que fait Frank Lloyd Wright pour la maison à la cascade (1) ; la maison est dans ce cas parfaitement intégrée à la cascade. Ou alors on prend le parti de faire une architecture qui va être, elle-même, une mise en valeur du contexte. L’architecture sera là pour exalter ce qui l’entoure. De toute façon le site est extrêmement important pour prévoir l’architecture.
dpr : je vous remercie infiniment au nom de tous nos lecteurs.
Christiane FAUVRE-VACCARO est enseignante et formatrice en arts plastiques et en histoire de l’art à La Réunion depuis 1976.
Elle enseigne à l’école des Beaux-Arts de La Réunion.
– En 1984 elle a écrit et publié avec le CAUE et village TITAN un livre intitulé : Des cases et des couleurs à La Réunion
– Elle a participé à la publication universitaire : « cultures empiriques et identités culturelles ».
– En 2006 elle a publié avec l’Ecole des Beaux-Arts de La Réunion « Paysages fertiles » avec la collaboration d’Edward Roux, Jean-Louis Robert et Laurent Zitte.
(1) On trouvera aisément sur Internet un site présentant « la maison à la cascade » de Frank Lloyd Wright.
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