Entretien avec Pascale MOIGNOUX (1)
1. Pourquoi la création d’un pénitencier à L’îlet à Guillaume ?
P. MOIGNOUX : Le pénitencier de l’îlet à Guillaume a été créé par décret le 6 juin 1865, même si des détenus y étaient dès 1864. La 2ème moitié du XIXème, soit la période du 2nd Empire, a été marquée par la création de pénitenciers pour enfants en Métropole comme à La Réunion, seule colonie concernée. A l’époque, un enfant pouvait être jugé à partir de 7 ans, et selon son discernement, lourdement condamné. Jusque-là les enfants étaient dans les prisons pour adultes, et un grand mouvement pseudo-humaniste a décidé de créer des pénitenciers exclusivement pour enfants. On parlait de «colonies de bienfaisance». On se disait qu’on allait les redresser par l’enfermement tout en permettant leur rédemption par le travail et la prière.
La majorité des colonies pénitentiaires de France étaient privées, souvent dirigées par des congrégations mettant l’accent sur l’apprentissage de métiers.
Le Pénitencier de L’Ilet à Guillaume ; album de Roussin
A La Réunion, la Congrégation des Pères du Saint Esprit était propriétaire de l’énorme domaine de La Providence où il y avait déjà un pénitencier. Quand les spiritains ont acquis l’îlet à Guillaume, leur idée a été que, en pleine nature, ils allaient remettre les enfants plus facilement dans le droit chemin, avec moins de surveillance et, ne le cachons pas, la possibilité d’exploiter le domaine. Dans l’île, il n’y a pas eu de pénitencier de filles même s’il en a été question.
2. Quelles étaient les populations concernées et les motifs de condamnation ?
La basse-cour du pénitencier. ; archives Cssp
P. MOIGNOUX : Après l’abolition de l’esclavage, un certain nombre de camps d’anciens esclaves et leur descendance se sont montés autour des grandes villes. A cause de la misère, il y avait des vagabonds -comme en Métropole-. Ces va-nu-pieds effrayaient la bourgeoisie et on a tenté d’éradiquer ces populations galopantes. Dans le registre tenu par le Directeur du pénitencier durant ses 15 années d’existence -indiquant le nom, le motif de la condamnation, par quel tribunal, la race et l’âge- on constate que 80 à 90% étaient, soit des enfants d’affranchis, soit d’engagés, soit des créoles métis. Il y avait aussi des orphelins. Passé 21 ans, ils allaient dans les prisons d’adultes.
Le premier motif de condamnation était le vagabondage : un enfant réputé vagabond pouvait être arrêté par un gendarme, puis déféré auprès du juge sans obligation d’en référer aux parents. Le deuxième motif était le vol, considéré comme crime. Or, à cette époque difficile, il était fréquent que des petits miséreux volent pour manger. Les crimes plus graves étaient, eux, marginaux.
3. Comment les spiritains envisageaient-ils leur mission ?
P. MOIGNOUX : Il faut se replacer dans le contexte du XIXème : un enfant n’avait pas la valeur qu’on lui donne actuellement. A La Réunion, c’était la crise de la canne, une grande misère pour beaucoup. Il n’y avait aucune commisération pour ces enfants et leur condamnation. Les Spiritains eux-mêmes étaient persuadés de faire œuvre de bienfaisance car, contrairement à la Métropole, quand les enfants sortaient de l’îlet à Guillaume, en règle générale,
ils avaient appris un métier. En retour, ils avaient mis en valeur le domaine sur lequel ils avaient travaillé. L’état versait pour chaque enfant une certaine somme, en moyenne 75 centimes par jour et « par tête ». Pour l’îlet à Guillaume, la somme était moindre car les spiritains faisaient travailler ces enfants sur leur domaine et ils leur étaient productifs.
Par cet établissement, la Congrégation du Saint-Esprit confortait sa position dominante, tout en permettant un avenir meilleur aux enfants. Du moins était-ce leur argumentation car on peut raisonnablement penser que tous n’étaient pas très à l’aise avec ce rôle de garde-chiourme. Le Père Pineau par exemple, a quitté plusieurs fois son poste de directeur pour « raisons psychologiques ».
4. A t-on des informations sur l’aménagement de l’espace ?
P. MOIGNOUX : Pour accéder à l’îlet, les enfants, encadrés par les religieux, ont élargi, solidifié le sentier à flanc de falaise, construit un pont sur le Bras Guillaume ainsi que la fameuse route carrossable restée inachevée.
Enfants et Frère Amable, infirmier/cuisinier ; archives Cssp
Par chance, on a des plans aux archives de la Congrégation du Saint Esprit -qui pourraient servir si une réhabilitation se faisait-. On voit la route de la Montagne, le chemin en sous-bois, la case de Frère Alexandre, le sentier, l’église. Sur un autre plan, sont positionnés les bâtiments sur la place centrale : logement, infirmerie, ateliers, basse-cour, logement de la communauté. Tous bien orientés. Sur le plateau, les Pères ont beaucoup planté : camphriers, eucalyptus, deux magnifiques Agathis Robusta, un Châtaignier d’Australie…
Ils s’étaient efforcés de faire un beau domaine qui, en plus, les rendait autonomes grâce au verger, au potager et aux productions agricoles qu’ils vendaient comme la vanille, le quinquina, le café…
5. Que peut-on dire de la vie au pénitencier ?
P. MOIGNOUX : Le travail représentait environ 10 à 12 heures dans la journée des pénitentiaires. Les plus âgés et les plus robustes travaillaient sur la route carrossable et le pont, les plus jeunes, plus faibles et ceux qui étaient momentanément malades, sur les plantations.
Les enfants avaient une heure par jour pour apprendre à lire et écrire et étudier le catéchisme. Un minimum. Le plus important pour les Spiritains était de leur apprendre un métier pour subvenir à leurs besoins.
Pour ces enfants d’affranchis et d’engagés, la religion était une autorité : c’était une obligation de croire. Pour les religieux, c’était un bienfait de convertir.
Il n’y avait pas d’enfance. Il est évident que la partie sentiment et affection était absente. On le voit d’autant plus que les enfants n’avaient le droit de recevoir ni visite ni lettres de leur famille.
6. Peut-on parler de mauvais traitements et de mise en danger de la vie des enfants au pénitencier ?
P. MOIGNOUX : Officiellement, la loi de 1850 sur la délinquance des mineurs interdisait les coups. Parmi les peines référencées, on peut citer le pain/riz sec, le piquet à genoux, le manège dans la cour. Je doute qu’on se tenait à ces légères punitions. Des témoignages évoquent l’existence de cachots, de chaînes. Des fouilles archéologiques seraient nécessaires pour les trouver.
7. En ce qui concerne le travail, peut-on parler de mise en danger des enfants ? Le Procureur parle même « d’homicides involontaires » ?
La Section des routes ; cliché archives Cssp
Oui. Il suffit de se rendre sur les lieux pour être d’abord impressionné par le travail accompli, ensuite horrifié que ce travail ait été confié à des enfants. Vu la dureté et la dangerosité des chantiers (9 morts pour ceux de la route carrossable et du pont), étant donné l’utilisation d’explosifs, il y avait un risque inqualifiable pour les enfants, même avec un encadrement professionnellement compétent. Quant à la position du procureur, gardons aussi à l’esprit que son but était plus d’abattre la Congrégation, que de soulager les misères des détenus.
8. Pourquoi le pénitencier a-t-il fermé ?
P. MOIGNOUX : Toujours la même raison : la volonté de l’Administration de mettre à bas la Congrégation du Saint Esprit. Dans la 2ème moitié du XIXème, à La Réunion comme en Métropole, laïcs et religieux s’affrontaient. Le pouvoir public et politique estimait que l’église devait rester à sa place et ne plus se mêler de politique ni de justice. Pour mettre à bas les Spiritains, il fallait les atteindre économiquement et pousser leurs établissements à la fermeture. Pour l’îlet à Guillaume, ce fut fait en 1879.
Les religieux ont lutté contre cette mise à bas : ils sont allés jusqu’au procès, qu’ils ont gagné. L’administration locale a été condamnée, vu la rupture du contrat passé, à des dommages et intérêts (qui ne furent jamais versés).
Les fondations qui restent : Soubassements du pénitencier. Cliché P. Moignoux
9. Vous avez beaucoup contribué à la prise de conscience de la valeur historique et patrimoniale de ce lieu abandonné. A-t-on avancé sur ce dossier ? Quels espoirs et inquiétudes aujourd’hui ?
P. MOIGNOUX : Aujourd’hui, il ne se passe rien. Il ne reste que les fondations et les culées du pont. Le seul moment où le projet a avancé, c’est à l’époque du préfet Pierre-Henry Macchioni quand le site a été protégé au titre des monuments historiques (2008).
Depuis, aucun acteur local n’a vraiment pris le relais. Cela ne bloque pas pour le plateau lui-même mais pour les deux sentiers d’accès qui sont officiellement fermés par arrêtés préfectoraux. On se trouve dans une grande complexité : le site appartient au département, il est géré par l’ONF, il est situé sur le territoire de la commune de Saint Denis, il est dans le Parc National et c’est sur son tracé que passe la canalisation du Bras-Citron, la SOGEA étant locataire de la passerelle (interdite d’accès maintenant), ladite passerelle appartenant au département mais implantée sur le sol de la Commune… Le site étant protégé au titre des monuments historiques, les simples associations ne peuvent intervenir. Le gros investissement est de désenclaver le site ; la réhabilitation des ruines ne sera, elle, pas excessive. Chez nos décideurs, il y a eu beaucoup de déclarations de bonnes intentions, mais aucune mesure concrète. Chat échaudé craint l’eau froide : je croirai vraiment en un projet officiel quand les bonnes intentions quitteront les bureaux pour œuvrer enfin sur le terrain.
A La Réunion comme en métropole, les histoires de ces pénitenciers émeuvent beaucoup, mais on ne veut pas trop en parler. De plus, le pénitencier de l’îlet à Guillaume se situe dans une période historique qui n’est pas privilégiée à La Réunion. A croire qu’il n’y a rien d’intéressant hors l’histoire de l’esclavage. Pourtant, ces petits bagnards sont en grande majorité des enfants d’affranchis ; « les oubliés du 20 décembre » comme je les avais appelés lors d’une conférence.
Entre la Providence, la Léproserie et l’îlet à Guillaume, on a un périmètre historique extraordinaire. Périmètre que l’on peut prolonger vers la côte, le Chemin des Anglais, la Grande Chaloupe, le Lazaret de la Ravine à Jacques. Tout un espace merveilleux d’un point de vue historique et touristique, situé à deux pas de Saint Denis : il faut le préserver et le mettre en valeur, très rapidement…
(1) Pascale Moignoux est l’auteur d’un roman intitulé « Graine de bagnard, roman d’une enfance sacrifiée à l’îlette à Guillaume », paru à Azalées Éditions et dont la lecture est indispensable pour tous ceux qui veulent mieux comprendre l’histoire de notre île. Tous nos remerciements vont à l’auteur pour l’entretien et les documents gracieusement communiqués.
Entretien réalisé par Marie-Claude DAVID FONTAINE
je ne veut pas faire la boue avant la pluie mais j’ai monté un dossier pour la restauration de ce site on a les fonds 2013 ils seras restaurer avec d’autre site de sd denis
En 1970, j’allais avec des scouts sur ce site dont je ne connaissais pas vraiment l’importance. Tout était abandonné et on se demandait qui avait vécu là. Le lieu est magique et mérite encore aujourd’hui le détour. Merci à P. Moignoux de nous le resituer dans son époque et de nous rappeler que des enfants défavorisés y ont passé leur jeunesse dans le travail et la peine. Christian
Ces faits n’apparaissent dans aucun livre d’histoire !!
Et pourtant, c’étaient des enfants d’affranchis , et d’engagés!!
notre imagination ne peut que s’emballer à la vue de ces tombes alignées. on ne peut que s’interroger sur ce qui s’est passé dans un lieu aussi retiré. Il faut faire preuve de retenue et de compassion devant tant de jeunes vies malmenées.
Bonjour,
Qu’en est-il de ces fonds promis en 2012 pour la restauration du site en 2013 ?
Selon les informations que nous avons recueillies auprès des services et organismes concernés (Conseil Général, DAC OI, Commission des Sentiers Patrimoine de La Montagne), le dossier de restauration du sentier et du site de l’Ilet à Guillaume est toujours à l’ordre du jour. Il y a eu des visites sur le terrain et des réunions. Mais cela reste encore à l’état de projet. Nous restons donc nous aussi vigilants et suivons attentivement l’avancée de ce dossier. On ne peut reculer ni traîner. C’est un site patrimonial. Et c’est un devoir de mémoire.
Marie-Claude David Fontaine
J’ai terminé ce jour la lecture de « Graines de bagnard ». Je suis bouleversée par cette histoire que je méconnaissais. Un pan de notre histoire mis à jour qui mérite sa place dans la grande histoire coloniale de l’ile.
Je soutiens votre initiative et vos engagements pour la réhabilitation de ce site de la mémoire.
Pour le respect de la mémoire de ces petits oubliés du 20 décembre 1848. Pour tous ces petits Théo et Michel.
Merci Pascale Moignon pour votre travail de recherche et d’écriture.
Marie Louise CLERVIL – 93160 Noisy Le Grand.
Bonjour, nous avons réalisé un court reportage sur Ilet à Guillaume, est-il possible de citer des pasages de votre article et de projeter les photos à l’écran afin d’illustrer les propos tenus par notre guide du jour.
Vous pouvez le faire sans problème en donnant les références de l’article, le nom des auteurs, interviewer et interviewée et les coordonnées du blog.
Cordialement,
Dpr974
très bien merci de votre rapidité!
Je pense que l’on pourrait faire un gîte à l image de Bélouve.
Avec une partie musée consacrée au pénitencier
Bonjour,
J’ai un projet pour L’ilet à Guillaume pouvez vous me contacter. tibwoy1@gmail.com @gmail.com
Bonjour,
J’ai bien reçu votre message. Vous pouvez me rappeler sur le 0692.69.89.42. Merci.
Bonjour ! J’aimerai grandement contacter Mme Moignoux (un mail possible ?), je suis étudiante en architecture à Bruxelles et je travaille ce semestre sur l’héritage colonial des Ilets et le devoir de mémoire. Impossible de trouver « Graines de Bagnards » sur le net ou librairie depuis la métropole. Voici mon email: eva.leblatier@laposte.net
Je vous félicite pour vos articles, ce sont des choses qu’on ne devrait jamais occulter !