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Archive for 20 janvier 2013


Connaissez-vous le sentier littoral qui court de l’Etang-Salé les Bains jusqu’à l’Etang du Gol à Saint-Louis ? Après le gouffre, on longe une côte de roche volcanique noire, bordée de filaos aux troncs tordus qui s’étagent sous la poussée des vents.

Alors, parmi les merveilles de cette côte sauvage travaillée par les vagues, le promeneur découvre les premières installations de galets de bord de mer montés les uns sur les autres, tels des cairns (1) diraient certains. Merveille encore : plus le promeneur du bord de mer avance, plus il pénètre dans un univers peuplé de pierres. Sa vue s’étend à un horizon crêté par les silhouettes des installations. On dirait un champ à l’infini, un monde minéral magique et mystérieux ; baroque, gothique et même sépulcral qui s’étend sur deux à trois cents mètres jusqu’à une petite plage de sable creusée par les vagues… Certaines formations gagnent même les filaos de l’autre côté du sentier ! Face à la mer, environ 5000 m2 de galets dressés par la main de l’homme dans ce décor naturel où les pierres ont été d’abord travaillées par la mer et les vents.

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Combien d’installations ? Plus d’un millier… On a d’abord l’impression de voir une multitude de formations élémentaires par leur structure : 3, 4 à 5 pierres simplement étagées à partir d’une assise plus large. Mais, en réalité, elles sont toutes uniques par les volumes, formes, couleurs et agencement choisis. L’emplacement lui-même permet de singulariser chaque création : à même le sable ou sur un socle naturel de pierre, soit polie, soit feuilletée soit alvéolée… Telle installation atteint la perfection dans la pureté des formes, la rondeur des galets et/ou l’harmonie des teintes. Telle autre s’impose par son caractère massif ou sa légereté ou sa sobriété très zen. Ici, un monumental galet, rehaussé de pièces de belle taille, se place dans l’échancrure naturelle de deux blocs rocheux. Plus loin, une installation sur pilotis rocheux semble défier la pesanteur. On finit par découvrir des silhouettes et voir surgir tout un monde de ce champ de pierres. Des familles naissent du rassemblement de galets de tailles et volumes divers. Des tribus lilliputiennes se partagent ce vaste espace de manière aléatoire et pacifique. Des petites silhouettes traversent au-dessus d’un pont fait de bois. Le regard est parfois accroché par une forme. Ici, une esquisse d’homme aux yeux tristes ou rêveurs. Là, un totem. Tiens, ici, un champignon géant… Et là, quelle étrangeté troublante : des galets incrustés avec art dans les alvéoles de la roche ! Et sur cette autre pierre trouée, des incrustations faisant l’effet de moules s’agrippant à leur rocher… On peut faire parler les pierres à l’infini…

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Mais comment telle chose est-elle advenue ?

A l’échelle humaine, c’est une histoire d’aujourd’hui… Sur ce sentier littoral, on voyait ici et là un cairn, comme il y en a sur bien d’autres sentiers de l’île et ailleurs dans le monde, en particulier dans les paysages celtiques et tibétains. A l’Etang-Salé, ils se sont multipliés depuis environ deux ans et ont métamorphosé la côte en quelques mois jusqu’à devenir une marque d’identité, d’expression artistique et de créativité populaire.

A l’échelle géologique, le promeneur est ramené à l’origine volcanique de notre île. En regardant ces galets ovoïdes, il peut imaginer le patient et perpétuel travail de façonnage de la mer qui les a fait glisser et rouler les uns contre les autres à la manière d’un immense kayamb.

Quel nom et quel sens donner à ces installations ?

Il y a longtemps que ces pierres ne sont plus de simples cairns balisant le sentier littoral. Mais, comme certains cairns, elles gardent trace de ceux qui sont passés par ce lieu. Elles pourraient même relever d’une dimension plus mystérieuse et sacrée pour quelques uns. Ces pierres sont-elles pour ceux-là des signes ? Seraient-ils adressés à ceux qui ont disparu en mer ? Quand le soleil s’évanouit, sous les assauts de la houle, des embruns et des vents, le site prend parfois une allure fantastique voire funèbre.

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J’ai choisi de les appeler galé bord’mer/galé domoun pour signifier la belle rencontre de l’homme et des éléments naturels à travers cette forme d’art populaire. Il y a certes de nombreuses formes qui ne sont que compilations rapides de 2 à 3 galets posés furtivement par quelque promeneur ou coureur qui, gagné par la magie du lieu, a senti le besoin d’y laisser une marque existentielle pouvant parfois avoir du charme. Et il y a de vraies créations. On peut imaginer le patient travail de quelques uns choisissant et charroyant leurs pierres – dont de beaux volumes – puis élaborant des échafaudages plus ou moins complexes et recherchés, même dans l’épure. J’ai vu des silhouettes poser des galets non loin du sentier, mais la réalisation des plus grands travaux – sans doute collectifs – garde son mystère pour moi.

Qui sont donc ces créateurs anonymes ?

Y-en a t-il autant que le nombre d’installations ? Inspirés par le lieu, certains renouvellent-ils leur contribution au gré de leur passage ? D’autres, ont-ils trouvé là un lieu d’élection ? Saluons comme une belle réussite le caractère anonyme des créations dans cet espace colonisé avec respect : aucun saccage de la roche ou du sable ou des branches, aucune souillure, aucune trace de passage humain à l’exception des réalisations. Dans ce champ de pierres, on se déplace avec précaution, soucieux de ne pas déranger l’ordonnancement des galets et respectueux du travail d’autrui.

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Ainsi, ces créateurs ont réalisé une forme d’art populaire par sa dimension collective et anonyme. A la manière des bâtisseurs anonymes de pyramides, de temples et de cathédrales, ils ont apporté chacun leur pierre à l’œuvre commune qu’ils nous donnent en partage aujourd’hui. Il nous appartient de respecter et garder un témoignage de ces galé domoun, galé bord’mer, devenus notre patrimoine, et de préserver l’esprit de cette forme d’art, oeuvre précaire soumise aux aléas climatiques : houle marine et vents qui déferlent parfois violemment sur cette côte du littoral sud.

Marie-Claude David Fontaine

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