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Archive for 15 Mai 2013


Entretien avec Edith WONG HEE KAM

Edith Wong Hee Kam, professeur de lettres et sinologue réunionnaise (1), a étudié l’implantation de la communauté chinoise à La Réunion, au XIXe et au XXe siècle principalement. Ses travaux posent la question de la préservation de la culture chinoise et de l’intégration à La Réunion, avec l’ouverture à la culture créole et française. Cette quête identitaire peut se lire à travers l’histoire des écoles franco-chinoises à La Réunion. Nous avons eu le plaisir de l’interroger sur ce sujet.

 

 

1. A quelle date et dans quel contexte les écoles franco-chinoises ont-elles été créées ?

E. WHK : La première a été créée en 1927, mais l’âge d’or des écoles franco-chinoises date d’après la guerre sino-japonaise qui éclate en 1937 et qui amène le retour à La Réunion d’un grand nombre d’enfants que l’on avait envoyés en Chine.

Au départ, les Chinois étaient venus temporairement à La Réunion. La majorité d’entre eux vivaient dans l’optique du retour en Chine où ils avaient laissé les leurs. C’est dans ce but que très souvent, vers 6 ans, les enfants, en particulier les garçons, étaient envoyés en Chine pour pouvoir maîtriser la langue, l’écriture, la culture chinoises.

Autre aspect historique, lors de la 2ème Guerre mondiale, La Réunion est dans une situation de blocus et du coup les gens sont amenés, à la fois pour des raisons externes et internes, à créer ces écoles.

2. A la Réunion, qui envoyait les enfants dans les écoles franco-chinoises ?

E.WHK : Dans la mesure où l’éducation dans la tradition chinoise et confucéenne a une immense importance, pratiquement tous les Chinois s’efforçaient d’y envoyer leurs enfants. C’étaient des parents de couples endogamiques ou mixtes. Ils avaient aussi la possibilité d’envoyer leurs enfants à l’école de la République française, ce qui se faisait souvent en début de scolarité pour certains. D’autres n’ont connu que les écoles franco-chinoises.

Ecole franco-chinoise de Saint-Paul (2)

Ecole franco-chinoise de Saint-Paul (2)


3. Où se sont-elles implantées à La Réunion ?

E.WHK : Si on distingue la période historique des années 40 au début 50, il y a eu la création à Saint-André d’une grande école où il y avait des Cantonais qui étaient scolarisés en internat pour ceux qui n’étaient pas de l’Est. L’autre groupe de chinois, les Hakka, a eu plusieurs écoles, dont celle de Saint Pierre créée en 1942 et qui était une grande école du sud. Il devait y avoir une douzaine d’écoles avant les années 1950. Après, il y en a eu d’autres, en particulier celle de Saint Paul, qui était soutenue par l’église et le Kuomintang. Elle était dirigée par le père Antoine Lang, lequel avait dû quitter la Chine au moment de la prise du pouvoir par les communistes en 1949.

4. Qui étaient les enseignants ?

E.WHK : Les enseignants étaient des gens venus de Chine, en général, et avaient eu une scolarité en Chine. A La Réunion, c’étaient souvent les parents qui devaient financer leur travail et, vu qu’ils étaient payés avec des salaires de misère, ils étaient amenés souvent à avoir une autre activité  de commerçants. Certains ont laissé parfois des souvenirs d’une très grande sévérité puisque les châtiments corporels étaient autorisés. D’autres ont été des pédagogues remarquables. Un ingénieur se souvient de son maître comme étant quelqu’un de très intelligent, consciencieux et patient qui lui a donné le goût de la langue et de la culture chinoises et lui a appris qu’il était important d’utiliser la « patience et la douceur plutôt que la force ».

 

5. Quel type d’enseignement était dispensé dans ces écoles ?

E.WHK : À La Réunion, on avait essentiellement le cursus de l’école primaire. Six années où tous les enseignements « classiques » étaient dispensés en chinois. A savoir : écriture, calcul, mathématique, histoire, géographie – de la Chine -, et gymnastique. La journée débutait par un chant au drapeau, un défilé. Tous les ans, en fin d’année, il y avait aussi le théâtre en chinois, des saynètes à caractère politique ou moral jouées par les élèves.

Ces écoles n’avaient elles pas aussi un programme de culture française ?

E.WHK : Théoriquement, d’après la législation, il aurait fallu puisque ce ne sont pas des écoles chinoises mais franco-chinoises. Mais de fait, la partie française était réduite à la portion congrue. Il y avait souvent une maîtresse d’école âgée qui donnait un peu d’enseignement… Mais ce n’était pas la parité entre enseignement du français et du chinois. Pour les enfants, l’enseignement du français ne servait pas à grand chose, leur milieu familial les poussait à s’investir plutôt dans le chinois.

L’ironie de l’histoire, c’est que dans les années 80, c’est exactement l’inverse qui s’est produit. Les parents disaient alors que ça ne sert à rien d’apprendre le chinois : « C’est pas ça qui va leur donner un métier ».

Ecritures

Ecritures


6. De quand date et qu’est-ce qui explique le déclin des écoles franco-chinoises ?

E.WHK : Vers 1954/60, nombre d’écoles ferment. On fait encore quelques cours du mercredi ou du week-end. Dans les années 60, le déclin est inexorable. Les jeunes qu’elles forment ne trouvent pas de débouchés. Le choix des parents se tourne vers l’école française qui permet d’avoir le brevet, le Bac, de faire des études supérieures, d’accéder au statut de fonctionnaire. Dans les années 90, il n’y a plus aucune école franco-chinoise.

7. Quel bilan de ces écoles ?

E.WHK : Elles ont contribué au maintien de la culture chinoise. Ces écoles ont évité un fossé trop profond générateur de violence et de déséquilibre. Elles ont aidé les élèves à ne pas avoir une déculturation totale et permis une acculturation par paliers à la culture créole et française. Elles ont été des lieux de rencontre pour les Chinois. Par exemple celle de Saint-Pierre était un lieu de vie de la communauté chinoise du sud, où on célébrait mariages et fêtes.

Boulier

Boulier


8. Peut-on aujourd’hui parler de permanence, de recul, d’intérêt renouvelé pour la culture chinoise  et pour la langue ? 

E.WHK : Les parents de la première génération avaient un lien très fort avec la Chine ; pour les gens de la 3ème, 4ème génération, ça paraît loin. C’est un constat dans l’ordre des choses. On note cependant que, vers 40 ans, un mouvement existentiel se produit : on s’interroge sur son identité.

Aujourd’hui, les jeunes sont beaucoup plus occidentalisés, créolisés. Mais on est actuellement dans une bascule nouvelle. Presque tous les parents veulent que leurs enfants suivent des cours de mandarin en disant que la Chine est un pays émergent, qu’elle sera amenée dans l’avenir à occuper un rôle important au plan mondial. Ils envoient les enfants suivre des stages en Chine, y faire des études supérieures. En 2050, la moitié de la planète parlera le chinois.  Comme dit la fable : «La raison du plus fort est toujours la meilleure». Le développement de l’option Chinois dans les écoles traduit la loi de La Fontaine.

10. Vous même, avez vous fréquenté une école franco-chinoise ?

E. WHK : Non. Pas à plein temps à la différence de mes aînés ; mais on suivait des cours le mercredi après-midi, à Saint-Pierre, dans une classe unique à plusieurs niveaux.

D’où vous vient votre profonde connaissance de la Chine et de la communauté chinoise de La Réunion ?

E. WHK : De la famille. Mon père était un homme cultivé. Il ne parvenait pas à expliquer, car sa maîtrise du créole et du français était insuffisante, mais, par osmose, il arrivait à faire passer sa passion pour son pays d’origine. Cette culture vient aussi de ma mère, des fêtes qu’on célébrait, de la nourriture chinoise, de la fréquentation des temples de Saint-Pierre, d’émissions de radio, de lectures…

11. Le mot de la fin ? Votre triple culture (chinoise, créole, française) est-elle vécue comme conflit ou richesse ?

E.WHK : Il n’y a pas de conflit ouvert ou violent. Peut-être des réactions que je ne comprenais pas très bien… Cette triple culture m’a plutôt permis d’entrer en contact avec les gens de toutes origines. L’école a été un moment de bonheur avec mes camarades… On allait cueillir des goyaves, manger des bouts de cannes. On n’était pas dans une société de consommation. On vivait dans une Réunion pauvre mais on avait l’impression d’être heureux ensemble.

 

Avec nos remerciements à Edith WONG HEE KAM pour son accueil chaleureux    

Entretien réalisé pour DPR 974 (3) par Marie-Claude DAVID FONTAINE

(1) Ouvrages d’Edith WONG HEE KAM:

La diaspora chinoise aux Mascareignes : le cas de La Réunion, co-édition Université de La Réunion – L’Harmattan, 1996 .

L’engagisme chinois, combat contre un nouvel esclavagisme, Océan éditions, 1999.

Entre mer de Chine et Océan Indien, 1999, Orphie, réédition 2011.

Pierre le métis, Orphie, 2005.

De Confucius à Qu Yuan, Azalées éditions, 2006.

Guan-Yu – Guan Di, Héros régional, Culte impérial et populaire, Azalées éditions, 2008.

L’arbre aux étoiles, édition privée, 2012.

 

(2) L’école franco-chinoise de Saint-Paul s’est installée dans la grande demeure appartenant à l’origine à la famille Desbassayns, puis ultérieurement à l’évêché de la Réunion. Vendu à un office notarial, le domaine est plus récemment revenu à la Mairie de Saint-Paul. Depuis 1984 la façade et la toiture sont classées ; le portail d’entrée, le jardin et la fontaine sont inscrits sur la liste supplémentaire des Monuments historiques.

(3) Articles du site dpr974, en particulier : La Réunion et la Chine, 30/09/2012.

(4) Photos privées. 

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