Ma-ca-tia. Voilà un joli mot pour dire notre petit pain rond sucré. Doux et sonore à la fois. Musical et rythmé. Une image subliminale de notre île creusée par ses cirques. Un petit pain qui porte la marque d’une histoire, d’une identité et d’une société réunionnaise affectée par le bouleversement des modes de consommation.
Mais il y a macatia et macatia !
Pour moi, un bon macatia a une jolie rondeur. Une croûte ambrée. Une semelle de bonne tenue. Une fente éclatée en sillons qui annoncent la mie. Une mie ni compacte ni trouée de grosses alvéoles. Au goût suave et à peine acidulé de pain légèrement sucré. Et surtout un macatia frais, du jour. S’il est tiède encore, c’est le top. Un vrai plaisir, sur le chemin de l’école, du travail ou lors d’une randonnée, avant ou après l’effort.
A ne pas confondre avec pain ou brioche ! Trop brun, blême, trop gros, écrasé, rassis, à la mie durcie comme béton ou ramollie et élastique. Merci. On s’en passe. Les souvenirs suffisent de scènes où nos mâchoires macatiassaient avec obstination avant de déglutir péniblement une mie qui collait au palais. Si vous souhaitez éviter ceux-là, n’entrez pas dans la boutique Law-law, sise à L’îlet Titby et fréquentée par le jeune Tiburce, dans la BD imaginée avec humour par Téhem !
On a heureusement aujourd’hui le choix des macatias agrémentés pour tous les goûts – nature, chocolat… – et des points de vente – « boutique chinois », station d’essence, boulangerie… -. Chacun a ses bons fournisseurs qui ne sont pas toujours ceux qui ont pignon sur rue !
Quel est donc le secret de fabrication de notre macatia ?
On a l’embarras du choix entre les nombreuses recettes proposées en ligne surtout ; les proportions, ingrédients et gestes techniques variant plus ou moins de l’une à l’autre. Faire un macatia, c’est faire un mélange de farine, d’eau, de levure ou levain, de matière grasse, de sel, de sucre et d’air. En fait, tout tient à l’art du boulanger. L’essentiel est de trouver les bons dosages et de faire lever la pâte par l’adjonction de levures ou de levain qui donneront au macatia son acidité spécifique. Et c’est le travail de cette pâte par l’artisan qui fera la qualité de la mie et sa structure alvéolaire. Quel plaisir de voir le boulanger à l’œuvre ! De le voir rassembler les bords de ses pâtons en une « clé » qui s’ouvrira à la cuisson. Façonner ses boules d’un geste sûr et rapide avant de les placer en attente sur une grille couverte de sa « couche » enfarinée. Et dans les dernières heures de la nuit, les disposer au four prêtes à lever et « cracher » joliment pour le plaisir des yeux et des papilles de ceux qui dorment encore !
Mais d’où nous vient notre macatia réunionnais ?
En l’absence de données sur l’origine des tout premiers macatias, on peut broder sur l’histoire et la légende du pain. On peut imaginer des restes de pâte de pain fermentés et récupérés mais adoucis par du sucre car trop aigrelets vu la densité des acides lactiques et acétiques. Dans un temps qui ignorait sans doute les avancées de Pasteur sur les procédés de fermentation et l’usage plus affiné des levures.
L’historien Prosper Eve rattache le macatia aux temps de l’esclavage à Bourbon (1). Le mot lui-même, selon le linguiste Robert Chaudenson et d’autres auteurs, viendrait du Swahili, langue bantoue parlée en Afrique de l’Est, où Mkate signifie pain, alors que pour Alain Armand il serait d’origine malgache (2). Quoi qu’il en soit, on sait qu’il y eut une importante circulation des hommes entre ces espaces d’où venaient massivement les esclaves de Bourbon. Mais comment penser l’articulation entre le mot et la réalité ? Les Bourbonnais d’alors connaissant le pain de tradition française – même si tous n’en mangeaient pas -, est-ce la nature et la consommation par les esclaves de ce petit pain qui auraient imposé ce mot swahili ? Mot et petit pain qu’on retrouve dans l’Océan Indien, à Maurice en particulier. Et après un parcours mystérieux également.
Dans Histoire d’une Révolution à la Réunion, Claude Wanquet note qu’un député ayant proposé, le 28 octobre 1795, la fabrication d’un 3ème type de pain (non désigné) pour « venir au secours de citoyens qui, ne possédant pas de terre, se trouvent dans la difficulté de nourrir leurs esclaves vu l’extrême rareté du maïs », voit sa demande refusée par le Directoire (3). Quelques années plus tard, le règlement n°7 du 28 janvier 1819 émanant de l’Administrateur Pierre-Bernard Milius associe le macatia aux esclaves en divisant les boulangers en « 3 classes : Ceux qui fabriquent le pain blanc et le pain bis pour la consommation habituelle des citoyens. Ceux qui ne fabriquent que du pain fantaisie (…). Ceux qui ne font que du pain de son, appelé macatia pour les Noirs » (4). Par là, se révèle une fois de plus une société de discrimination. Mais ces macatias ne seront aucunement l’ordinaire des esclaves. Leur nourriture étant composée à Bourbon essentiellement de maïs, manioc, riz et grains jusqu’à l’abolition. Ainsi, lors d’un procès relaté par Prosper Eve (5), un propriétaire croit assurer sa qualité de bon maître car il veille à l’alimentation de ses esclaves et leur donne, en plus de leur ration usuelle, pains et macatias « lorsque passe le marchand ». Dans son roman Clotilde, de la servitude à la liberté, situé aux alentours de l’abolition, Expédite Laope-Cerneaux évoque également ces macatias, « gourmandise(s) préférée(s) des Noirs ».
Comment devient-il alors le goûter de référence des Réunionnais ?
Au XXème siècle, le macatia affirme progressivement sa place dans notre tradition alimentaire. Plus ou moins accessible selon les conditions sociales dans la Réunion pauvre de la première moitié du siècle. Et selon qu’on habite en ville ou dans les zones rurales où le goûter était fait de riz chauffé, de maïs et patates bien souvent. Entre les deux guerres, le jeune Jean Albany parti à la chasse dans les hauts du Cormoran se fait offrir « un macatia, un petit pain rond fourré de graisse de porc tranche-la faim » par « Madame Cadet, la boutiquière » (6). Jacqueline Dussol dans Le temps des moustiquaires, évoque Saint-Denis et « la boutique chinois du coin (…) et la chinoise, (…) prête à servir aux écoliers qui passeraient bientôt, macatias, gâteaux de chemin de fer à la croûte toute rose ou morceaux de colle-au-dent. »
Lors de la 2ème guerre mondiale, La Réunion, en état de blocus, tente d’assumer son existence et en vient à légiférer sur le pain. L’arrêté du 12 novembre 1940 rend « obligatoire l’incorporation (…) de 25 % de farine de manioc ou de tapioca pour la fabrication du pain ordinaire » et autorise « l’incorporation dans la farine de froment de 30% de farine de manioc ou de tapioca pour la fabrication du petit pain rond dit « macatia » (7). Nous voilà donc anticipant les recommandations des programmes alimentaires du FAO ! Dans son roman autobiographique Ti Krever, l’enfant bâtard, situé à Saint-Benoît dans les années 1939, Dhavid Huet évoque sa vie difficile d’enfant recueilli par Berthe macatia, « ainsi surnommée à cause de son habileté à fabriquer de bons, de gros, de chauds « macatias » de manioc, que les hommes achetaient volontiers les dimanches après-midi, lorsqu’ils se rendaient à la « bataille coqs » ». Il évoque aussi Law Ké, colporteur, lui, de macatias « de farine » qu’il portait sur ses épaules avec « un long bâton aux extrémités duquel étaient accrochés deux « fer-blancs » recouverts par un couvercle adapté. »
Cette figure du colporteur est restée dans les mémoires. A Petite-Ile, autrefois, le bonhomme macatia, qui montait des bas avec son gros panier de beaux macatias, était attendu des enfants qui économisaient avec soin la plus petite piécette pour s’offrir le privilège d’un goûter autre que les « ravages » usuels, manioc et patates. Ils n’étaient peut-être pas si chauds que les « so bouillante(s) macatia(s) » chantés par le marchand ambulant qui amusait l’écrivain mauricien Guy Ng Tat Chung (8), mais ils étaient si bons, si frais, qu’on n’avait pas besoin d’y mettre beurre et chocolat – qu’on n’avait pas toujours -. Que de souvenirs attendris !
Les générations venues après la départementalisation ont connu un temps plus prospère avec la multiplication des boutiques et l’implantation des boulangeries ici et là. D’où des changements dans les modes d’alimentation. Le pain s’intégrant à nos usages alimentaires sans jamais détrôner le riz ! La concurrence aidant, la parole se libérait pour désigner bons et mauvais macatias ! Sans aller jusqu’à la guerre des macatias, la génération Tiburce pouvait causer.
Finalement à chacun son vrai macatia. A chacun son graal.
En effet, parlons-nous bien du même macatia ? N’y a-t-il pas bien des différences gustatives entre le macatia proposé aux esclaves en 1819, le macatia de farine et de manioc des années 40/50 et ceux d’aujourd’hui ? D’autant plus que les professionnels du pain ayant diversifié leurs produits selon les impératifs de la société de consommation, notre macatia se trouve en situation de concurrence avec le marché des viennoiseries et des biscuits d’importation. Il résiste. Se décline nature, aux pépites de chocolat, au coco, mais aussi à l’orange, au fromage et de manière plus iconoclaste avec dakatine, ketchup, bouchons ainsi que le dit la chanson Parodie974macatia. Il y a certes de quoi satisfaire des gourmands mais irriter les puristes. Car la tradition est ignorée. Bousculée. Et certains usages du mot font fi de l’histoire !
Ainsi donc, malgré une modeste présence sur nos étals, notre macatia tient sa place. L’art du macatia s’enseigne au lycée hôtelier et dans les ateliers proposés lors des fêtes de Miel vert où enfants et adultes apprennent à tourner et bouler. Notre petit pain sucré se fait connaître sur la scène internationale ! Il est présent sur la toile. Marqueur d’identité pour la diaspora des « Réunionnais du monde ». Se décline en recettes multiples d’amateurs allant jusqu’au défi culinaire ! Est répertorié parmi les milliers de pains qui attestent de l’ingéniosité des hommes ! Le voilà à Paris, à Notre Dame où 2 500 macatias ont été bénis et offerts aux visiteurs de la cathédrale par nos jeunes artisans boulangers représentant le savoir-faire réunionnais !
Finalement, même si nous avons encore beaucoup à apprendre de notre petit pain sucré et de notre histoire, ne boudons pas le plaisir de savourer nos bons macatias ! Mais que le plaisir des sens devienne aussi « manger pour le cœur ».
Avec nos remerciements aux personnels de la boulangerie La Nougatine, à la Grande Montée, Sainte-Marie, pour leur accueil et l’autorisation de faire les photos de macatias.
Et nos remerciements à Tehem pour l’aimable autorisation de reproduire la planche de Tiburce en exclusivité.
Marie-Claude DAVID FONTAINE
1. Prosper Eve, Les esclaves de Bourbon, la mer et la montagne. « Ne plus consommer des macatias (pain des esclaves) ou de la morue salée, poisson distribué aux esclaves, c’est tourner le dos à des habitudes de l’époque de l‘esclavage. »
2. Robert Chaudenson, Le lexique du parler créole de La Réunion, 1974, avec référence à I. Richardson. Alain Armand, Dictionnaire Kréol rénioné – Français, 1et 2ème éditions, 1987, 2014
3. Claude Wanquet, Histoire d’une Révolution à La Réunion, T I, p 410
4. Cité dans Commandants et Gouverneurs de L’île de La Réunion, Raoul Lucas et Mario Serviable.
5. Procès Dutrévou Pierre, ADR, cité p79/80 dans Le corps des esclaves de l’île Bourbon, Prosper Eve, 2013.
6 .Vavangue, 1972, de Jean Albany, né en 1917.
7. Cité dans Le Mémorial de la Réunion, années 1940 à 1963, Tome 6, Rédacteur en chef Daniel Vaxelaire.
8. Guy Ng Tat Chung, De l’île Maurice à l’exil, 2013
Comme toi Marie-Claude et comme bien d’autres, je suis attachée au bon macatia ! A ta description de ce petit pain rond adoré des Réunionnais, je l’entends craquer sous mes dents, surtout quand il est encore tiède! Quel régal! C’est la saveur de mon enfance qui remonte en moi un peu à la manière de la madeleine de Proust. Merci pour cette belle page qui a -ô combien!- sa place dans notre patrimoine. Huguette.
Le macatia, peut-on l’oublier? On salive quand on le voit! Il remonte au bon temps de l’enfance et de la « boutique chinois ». Merci de le faire vivre comme tu sais le faire, Marie-Claude! Encourageons nos « boulangers-pays » à le répandre par toute la Terre, amen!
Xian
Bonjour, Je suis Guy Ng Tat Chung l’écrivain de « De l’île Maurice à l’exil ». Heureux d’apprendre que vous faites référence à mon livre dans ce blog. Même si mon intention était d’évoquer des souvenirs de l’époque qui ont compté pour moi, je suis touché que ce petit détail sur les macatias ait retenu votre attention. Je suis heureux qu’à travers mon livre je participe à ce que le macatia soit connu « par toute la terre » comme le dit si bien Fontaine. A ce propos, pourrez-vous me dire comment vous avez connu mon livre? merci et bon courage.
Guy
Merci pour votre message Mr Ng Tat Chung. J’ai eu le plaisir de découvrir votre livre en ligne sur la toile. A retrouver des situations et une manière d’être au monde qui rappellent que nous vivons dans des îles singulières et proches à la fois. Et j’ai été touchée par votre parcours personnel et votre expérience de l’exil, expérience partagée par tant de migrants autrefois et aujourd’hui encore… Merci pour cette oeuvre qui est une plongée dans le passé et un face à face avec vous. Entre souffrances et élan vital. Avec les paradoxes de l’exil.
La puissance d’évocation d’un mot est à proprement parler fabuleuse ! La célèbre madeleine de Proust est surtout un plaisir de l’esprit. Elle ne m’a jamais fait saliver. En découvrant le « macatia » façon Marie Claude David Fontaine, l’eau me vient à la bouche. Je lis « Ma-Ca-Tia » et la magie opère ! La boutique des souvenirs s’ouvre avec son mélange d’odeurs de jute, de grains secs et de poisson séché. Puisse le verbe « macatiasser » rester dans notre langue pour désigner la longue et savoureuse mastication d’un bonheur d’enfance.