Ah ! Les guétalis et kiosques de Hell-Bourg ! Qu’ils sont jolis ! Le premier vous accueille dès l’entrée du village. Vous découvrez les autres en cheminant le long des rues qui révèlent de charmantes demeures en bois, cossues ou plus modestes, la plupart nichées dans un décor fleuri de camélias, azalées et autres fleurs des hauts. On a la chance de pouvoir contempler encore ces constructions car le village a été préservé grâce à l’action initiée par des associations avec le soutien des habitants, de la Municipalité et des partenaires institutionnels (1). Ce qui fait de Hell-Bourg un « Village créole » classé parmi les « Plus beaux villages de France ». Un village dont le développement est lié à l’exploitation florissante des eaux thermales dans la 2ème moitié du XIXème siècle et au début du XXème.
La vie des habitants et le site se métamorphosèrent alors. Gens aisés et de la bonne société y venaient en cure ou en changement d’air depuis les bas de l’île, et même de Maurice et de Madagascar. Pour loger ce beau monde, s’édifièrent des constructions en rapport avec les positions sociales des uns et des autres, ainsi que quelques hôtels. Un air de vie mondaine touchait le village devenu un haut-lieu de rencontre des notables. Les yeux se délectaient du spectacle des curistes ou des habitants des hauts. Et les langues se déliaient dans les rues, maisons, kiosques et guétalis.
Car le Guétali/gèt a li (2), qui désigne cette construction à l’angle des rues et en surplomb, n’est-il pas le lieu idéal permettant de voir et entendre ce qui se passait dans la rue ? Dans la discrétion des façades plus ou moins ouvertes et ajourées. C’est le petit théâtre de la vie sociale, privée et amoureuse jouée discrètement en terrasse.
Ecoutons ces voix venues d’un autre temps…
– Guette ! La femme du gouverneur dans sa robe de bal ! On dirait qu’elle va exploser !
– Mon cœur se glace. Tous sont morts ? Plus personne à Grand-Sable ? NON !!! (3)
– Bourbonia, ma sœur, ne vois-tu rien venir ?
– Je vois ton fiancé qui revient des tranchées. Il n’avance pas vite ! Il lui manque une jambe !
– Tout est bon dans le chouchou ! Même la paille ! C’est la mode en France ! (4)
– Avec la dynamite aux fesses, elle a dû avoir chaud la statue de la Victoire ! (5)
– Mais c’est Auber ! Il rase les murs. Il a peur du léopard ! (6)
– Simone est encore en voie de famille ! Le 11ème ! Une bonne équipe de foot !
On avait ainsi radio percale avant Radio-Freedom !
Regardons les mieux maintenant ces guétalis et kiosques remarquables.
Les guétalis de la Villa Barau et de la Villa Lucilly, inscrits aux ISMH (2) depuis 1996 et datant de la fin XIXème siècle, sont de beaux modèles de ce type de bâtiment composé ici d’une construction en bois sur un socle maçonné. Ils se présentent en livrée blanche, à la croisée de deux rues et en surélévation par rapport à la route principale du village. Tous deux apparaissent dépouillés de végétation et excentrés de l’habitation bien mise en valeur dans son environnement naturel, en particulier la Villa Lucilly dont le terrain est aménagé en terrasses végétalisées. Les volumes des deux guétalis sont simples : une composition géométrique carrée faite de planches horizontales qui encastrent des boiseries verticales ajourées. Du côté de la rue principale, une façade ouverte par une large baie rectangulaire ornée de lambrequins. Du côté cour, une ouverture également. Au Nord et à l’Est, des façades fermées par des panneaux de bois ajourés. Des toits complexes avec un double faîtage en croix qui détermine des pentes multiples. Couverts de tôle plane, ils sont tous deux rehaussés d’un poinçon d’ornement en forme de bulbe surmonté d’une petite flèche et sont parés de lambrequins.
Ces deux guétalis seraient-ils jumeaux ? Pas vraiment, si on joue au jeu des différences. Le soubassement de celui de la Villa Barau est mis en valeur par un travail de maçonnerie qui s’appuie sur un magnifique mur de pierres taillées. Ses façades de bois montrent des pilastres (7) aux extrémités. L’ouverture des guétalis sur la cour intérieure diffère, l’une sobre, l’autre plus maniérée. Les jolis panneaux de bois ouvragés de motifs arrondis ou floraux des deux guétalis paraissent ressemblants mais ceux de la Villa Lucilly, plus déliés en S, semblent gagner en finesse et profondeur d’effet. Enfin les charmants lambrequins diffèrent de même que la frise qui orne la façade ouverte sur la rue telle un petit théâtre.
Le kiosque de la maison Folio, inscrit aux ISMH depuis 1989, s’offre aux regards, tel un joyau dans son écrin. Alors que la maison (8) reste cachée de la route, il trône au bout d’une belle allée de pierres taillées derrière une fontaine des trois grâces, dans un magnifique décor végétal. Sous le couvert des bambous séculaires, il ouvre la perspective sur les hauteurs de Terre Plate et du Gros Morne. Il fait romantique. Il fait aussi Belle Epoque telles les gloriettes des villes d’eaux européennes de ce temps. A l’inverse des guétalis du village plus exposés à la vie publique, il se prête au repos, invite à la méditation devant le cirque, à la lecture, à la broderie, aux jeux de société. Et, tout comme eux, à la discussion plus ou moins sérieuse et aux commérages des « ladi lafé ».
La construction, toute en bois, montre beaucoup d’élégance. Sa forme hexagonale détermine un toit à six pentes, couvert de bardeaux et surmonté d’un épi de faîtage. Un large auvent frangé de lambrequins et supporté par des contreforts moulés déborde en capeline. Le travail du bois est joliment souligné par un jeu des couleurs blanche et verte dans les caissons du toit, le pourtour d’aération, les aplats de la partie inférieure du kiosque et les façades qui présentent des boiseries pleines ou ajourées de dessins géométriques. On est invité à s’asseoir dans ce havre de verdure avec la présence d’un petit mobilier de jardin. Alors, on pénètre dans l’intimité du cirque.
Finalement, ces kiosques et guétalis remarquables, aujourd’hui désertés le plus souvent, sont des témoins d’une culture et d’une manière de vivre autrefois. Ils ont aussi une valeur esthétique et sont l’expression d’une architecture créole croisant des influences diverses. Ils sont peu nombreux de cette qualité, mais le village abrite nombre de kiosques privés et publics qui s’inspirent parfois (plus et surtout moins) des constructions anciennes. En contrebas du village, le joli et bien connu kiosque du Point du Jour a sombré il y a quelque temps, mais on peut apprécier une belle vue depuis celui bâti en surplomb de la mairie. Il y a des réussites. Et ici et là des constructions qui se font remarquer pour de toutes autres raisons ! Comme le kiosque délabré de la résidence du Préfet – qui fut aussi celle des gouverneurs -, ou d’autres édifices sur poteaux avec croisillons de plastique ou de fibro-ciment blanc.
Mais qu’importe ! Tout parle à l’imagination dans la douceur ou la fraîcheur du cirque… Les langues y vont toujours bon train comme ailleurs dans l’île. Gèt a li !
Marie-Claude DAVID FONTAINE
(1) https://dpr974.wordpress.com/2013/07/20/sauvegarde-et-renouveau-de-hell-bourg-dans-les-annees-198090/
(2) https://dpr974.wordpress.com/2010/06/16/choses-vues-du-haut-de-la-terrasse-%E2%80%A6-ou-du-guetali/
(3) En 1875, un pan du Grand Morne s’effondre et engloutit les habitants de la zone du Grand Sable. « 62 personnes ont péri » dans la catastrophe selon le Rapport du Dr J de Cordemoy, Album de La Réunion, A.Roussin.
(4) Allusion à la paille de chouchou, appréciée des Européens et utilisée pour les chapeaux dans la première moitié du XXème siècle. Elle était de bon rapport pour les villageois. Hell-Bourg a sa Fête du chouchou depuis 2003.
(5) Allusion à L’âme de la France : monument aux morts. Statue créée par C. Sarrabezolles et placée devant l’église de Salazie. Sa nudité ayant offusqué le prêtre et les paroissiens, elle a été dynamitée pendant le Régime de Vichy. Réinstallée à Hell-Bourg plus tard, elle est inscrite aux ISMH en 1998 et classée en 2004.
(6) Allusion au Gouverneur Aubert, réfugié à Hell-Bourg lors de l’arrivée des Forces françaises libres avec le navire Le Léopard en 1942.
(7) Pilastre : pilier engagé dans un mur ou un support et faisant une légère saillie ; ornement de boiserie, de mobilier figurant un pilastre architectural.
(8) https://dpr974.wordpress.com/2013/07/03/la-maison-folio-histoire-dune-restauration/
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