Quand nous étions enfants, mon père nous racontait quantité d’histoires, qu’il tenait sans doute de ses parents. il y avait, entre autres, celle du soldat Laramée, une histoire venue de France, à moins que ce ne fût de Belgique.
(…) Cette semaine, je suis allé sur Internet où j’ai trouvé … l’histoire du vieux soldat Laramée. Elle ressemble fort à celle que mon père nous racontait. Je vais vous la narrer illico afin de bien jouer mon rôle de passeur d’histoires parce que nous autres, conteurs, il faut que nous fassions passer les histoires de bouche en bouche (1), de tête en tête, de mémoire en mémoire, de génération en génération : C’est le meilleur moyen de ne pas les oublier !
« Un jour, Monsieur Le Foie, mangea son foie avec un grain de sel ! » (1)
Il y avait une fois un homme qui s’appelait « Laramée ». On disait qu’il était soldat et qu’après avoir beaucoup roulé sa bosse, il avait pris sa retraite. Comme il avait souscrit un engagement dans l’armée d’un roi, qui, dit-on, avait perdu la guerre, celui-ci lui avait rendu sa liberté, lui avait fait don d’une petite somme d’argent et de quelques biscuits de guerre, pour qu’il retourne à la vie civile sans mourir de faim.
Mais à force de passer de bar en bar Laramée avait vu son peu d’argent fondre comme beurre au soleil. Et quant aux biscuits de guerre, il les avait distribués à droite et à gauche. On prétend également qu’il avait offert à boire à des gens aussi démunis que lui. Et depuis lors il traînait sa misère sur les chemins, sans savoir où aller, car à force de faire la guerre dans tous les azimuts, il ne savait plus, à vrai dire, à quel endroit il habitait.
De toute façon, il était très loin de sa maison, et, à une telle époque, il était très difficile de retrouver son chemin pour rentrer chez soi car, comme l’on a coutume de dire : « chez lui, ce n’était pas la porte à côté ! »
« Kriké, Monsieur, Kraké, Madame ! La clé dans ma poche, la crotte dans votre sac ! »
Sur son chemin, il rencontra un homme. Était-ce un mendiant …? Un vagabond…? Un promeneur sans but précis ?… Bien difficile à dire. Ils se mirent à parler et l’inconnu proposa à Laramée de continuer la route ensemble. « A deux on est plus fort que si l’on est seul! N’est-ce pas? »
Laramée lui dit alors :
-« La seule chose que je sache faire, c’est la guerre. Et comme je ne suis plus soldat, je ne sais pas ce que je ferai dans le civil! Je peux t’accompagner, si tu veux, mais je ne te servirai pas à grand chose!»
Son compère lui dit de ne pas se faire de souci : il avait seulement besoin d’un compagnon de route qui éventuellement lui serve de manœuvre, si cela était nécessaire : il possédait en effet, plusieurs secrets et pour mettre ces secrets en oeuvre, le mieux était d’être à deux. Intérieurement Laramée remercia chaleureusement son compagnon de route pour sa bonté car, à la place de l’autre, il ne se serait pas encombré de quelqu’un comme lui, Laramée, qui dans l’état où il était, ne savait quasiment rien faire.
« Kriké, Monsieur ! Kraké, Madame ! La clé dans ma poche, la crotte dans votre sac ! »
Et voilà les deux compères qui se remettent à marcher, à marcher…À un certain moment ils longent un grand champ de « mapinm »(2).Il y avait beaucoup de monde dans ce champ et les deux compères s’étonnèrent de voir la grande quantité d’épis que portaient les mapinms. Laramée dit alors bonjour à toute la compagnie et son camarade en fit autant, mais les travailleurs ne firent pas grand cas des deux arrivants.Ils leur posèrent juste une question: « Est-ce pour se moquer de nous que vous nous faites des politesses ? Vous voyez bien que la pluie va tomber et que nos épis de mapinm risquent de moisir. Et c’était pourtant la seule bonne récolte que nous aurions eue cette année. »
Le compagnon de Laramée leur dit alors qu’il avait un secret pour récolter rapidement tous les épis de mapinm : il alluma aussitôt son briquet et mit le feu au champ. Les travailleurs furent sur le point de tuer les deux malheureux. Mais le compagnon de Laramée ne se démonta pas. Il dit aux ouvriers d’aller voir dans leur magasin si les épis n’étaient pas bien rangés. Et c’était le cas ! Les ouvriers remercièrent les deux compères, mais c’est Laramée qui s’attribua tout le mérite.
Les ouvriers proposèrent alors aux deux compagnons de partager leur repas. Laramée se remplit la panse tandis que l’autre toucha à peine à la nourriture. Les ouvriers offrirent de l’argent au compagnon de Laramée mais ce dernier n’accepta que deux petites pièces. Une pour lui et une autre pour Laramée. Ce qui mit Laramée fort en colère. Son compagnon lui dit alors :
– « Tu n’en as jamais assez! Tu n’as strictement rien fait. C’est moi, qui ai tout fait. Et moi, deux sous me suffisent !».
Kriké, Monsieur, Kraké Madame! La rafle de maïs coule! La pierre flotte!
Il y avait une fois un Monsieur Le Foie qui vendit son foie avec un grain de sel!
À suivre…
Conte créole recueilli par Georges Gauvin et traduit en français par Dpr974.
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Notes:
1) Formule rituelle du conteur qui sert à s’assurer de l’attention de l’auditoire.
2) Nom réunionnais du sorgho.
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