(Version originale en créole)
La, po fé pérd mon vié zansèt le gou la liberté
Zot la koup son pié.
Rouj parèy flèr flanboiyan
Son san la kay atèr dann karo kafé.
Li minm la gonn la tèr Larénion
Plibon langré lavé poin…
Oté, sien la manj la poud fizi !
La pa zot kras taba masé
La pa zot dégobiyé d rak
La pa pisa la sèk dan la toil zot morès
La pa zot zirman, la pa zot bous-sal
La pa zot ralé-pousé rantre zot
La rofé la tèr mon péi,
Mé soman la transpirasion zésklav
Le pléré le momon zot la vann le zanfan
Le san nout vié zansèt minm
La angrès la tèr Larénion.
La doulèr banna
La soufrans banna
Le martir banna
Té i sanz
– An rézon n sak péi déor lavé bezoin –
An kafé lodèr i ral
An poiv gro grin
An blé zépi plin
An sik le gou de miel.
Épisa tout sa la son tour
Té i vien an lor dan la kès la konpani…
Kan kamayann Colbert
Dan la bonne ville de Paris
Té rouvèr zot blad-larzan-la-po-bèf
Sa té i plèr
Sa té i kri
Soman banna té i sirfou :
Ek le san zèsklav Larénion
Zot té i ashèt
Inn mal doré èk sèt soval blan
Po kado zot métrès
Sinon klavsin ti-zoli
Po la fèt zot ti-fi.
Axel Gauvin
COLBERT AND CO.
(Version française)
Alors, / À mon ancêtre, pour lui faire passer le goût de la liberté / On trancha le pied. / Rouge comme la fleur du flamboyant / Son sang sécha dans les champs de café / C’est lui qui féconda la terre réunionnaise / De meilleur engrais il n’y en avait pas…
Ah ! Chiens enragés ! / Ce n’est pas le jus de vos chiques / ce ne sont pas vos vomissures d’alcool / Ce n’est pas la pisse qui a séché dans vos caleçons / Ce ne sont pas vos grossièretés, vos jurons / Ce ne sont pas vos querelles / Qui ont fertilisé la terre de mon pays / C’est la sueur des esclaves / Ce sont les pleurs des mères dont vous avez vendu les enfants / Et le sang de nos ancêtres / Qui ont engraissé la terre de La Réunion.
La douleur de ces ancêtres / leur souffrance / Leur martyre / se transformait – selon les besoins de l’exportation -/ En café odorant / En poivre au grain lourd / En blé aux épis gonflés / En sucre au goût de miel / Et tout cela / À son tour / Se changeait en or dans la caisse de la Compagnie.
Et quand la clique à Colbert / Dans la bonne ville de Paris/ ouvrait / Les bourses de cuir / Des pleurs s’en échappaient / Des cris / Mais il s’en contrefoutaient / Avec le sang des esclaves de La Réunion / Ils achetaient / Un carrosse doré et sept chevaux blancs / En cadeau à leur maîtresse / Ou alors un petit bijou de clavecin / pour l’anniversaire de leur fille.
Note :
Ce poème d’Axel Gauvin est extrait du recueil paru en 1983 intitulé : « Romans pou détak la lang, pou démay le kër », illustré par Geneviève Koenig. Il était intéressant de le republier à la veille de ce 27 Août, date anniversaire de la création de la Compagnie des Indes Orientales et de poser aux historiens la question de la colonisation de Bourbon, du développement de la traite et de l’esclavage, du rôle de Colbert et de sa conception de la colonisation.
Quelle langue
Quel charabia
Quel outrage aux mots
Quel plaisir à broyer notre passé
Créole de père en fils et de mère en fille depuis bien longtemps tout comme beaucoup ,la nov’langue, le sabir de quelques intellectuels pourrait laisser à croire que c’est la transcription du parler de nos ailleux.
Je m’inscrit en faux devant cette transfiguration.
Ce n’est pas le parler de mon enfance,ce n’est pas l’écriture de ma grande mère,ce n’est tout juste qu’une façon de rendre incompréhensible ce qui était qu’une simple transcription d’un langage vernaculaire.
De lui trouver une grammaire pourquoi pas
De lui trouver un vocabulaire c’est normal.Mais de transformer systématiquement les mots en les compliquant c’est certainement le meilleur moyen de le réserver à une petite élite, à un petit cercle d’initiés.
Vive le sabir
Dommage pour le créole de mon enfance et de mes grands parents.
Pou combien’temp
Pou lontan
Pou jet vavangues👺
Zot lé bon pour boire tembave ça lé bien amer
H-P Grondin
En réponse à Mr Grondin .
Axel Gauvin, poète et romancier, est un écrivain reconnu à La Réunion, en France et ailleurs. Écrivain créolophone et francophone, il est résolument engagé dans la défense de la langue et de la culture créoles. Dans le texte que nous avons publié, sa volonté était de montrer à quoi et à qui servait la Compagnie française des Indes Orientales créée sous Colbert. Il tenait, en outre, à rendre hommage aux esclaves qui ont fécondé de leur travail, de leur sang, de leur douleur, la terre réunionnaise.
Quelle n’a pas été notre surprise de recevoir quelques jours après une réponse vengeresse de Mr Henri-Paul Grondin qui nous a laissés perplexes : Que fallait-il faire ? Publier ou ne pas publier ?
Nous nous sommes alors souvenus de la phrase de Chateaubriand qui disait : «En ces temps difficiles, il convient d’accorder son mépris avec parcimonie, tant est grand le nombre des nécessiteux ! » Et puis, tout compte fait, nous avons pris la décision de faire connaître cette lettre de Mr Grondin à nos lecteurs : ne pas la publier eût été le summum du mépris !
Nous aurions pu souligner les problèmes que connaît Mr Grondin avec l’orthographe du français (Cf : les ailleux, par exemple), également avec la syntaxe de notre langue nationale (laisser à croire que), l’utilisation d’un vocabulaire qui lui sert à se pousser du col et à montrer son savoir (sabir, nov’lang). Le sommet étant atteint avec la « transfiguration », que nous ne connaissions – honte à nous ! – que pour l’emploi qu’en fait la Bible, concernant Jésus sur le Mont Thabor.
Parmi nous, certains ont pensé que vouloir corriger le style et la langue française revue par Mr Grondin, serait peine perdue. Nous aurions pu essayer de rattraper le retard que Mr Grondin a accumulé au cours de sa scolarité, mais c’était là, – disaient certains – une tâche au-dessus de nos forces. Nous aurions pu, au moins, tenter de lui faire admettre que la graphie d’une langue n’est pas donnée naturellement, mais un code qu’il faut établir, qu’il faut enseigner… Nous y avons renoncé.
À l’égard de Mr Grondin nous n’avons ni mépris, ni colère. Notre seul sentiment à son égard est la compassion.
La rédaction de DPR974.