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Archive for 4 février 2011



2010 : Comme le « château-Morange » vient d’être inscrit au titre des Monuments historiques, il nous a paru intéressant de retracer dans les grandes lignes l’histoire du « Château » et de l’un de ses  hôtes de marque : Abd-el-Krim.

Chronologie des propriétaires des lieux :

Début 19ème jusqu’en 1844 : Famille des Rieux

1844 : Rémy Lanchon

1853 : Jean-Baptiste Prosper Morange

1884 : Prosper Morange (fils du précédent)

1921 : Mathilde Dierx (Veuve de Camille Morange, 2ème fils de J-B

Prosper Morange)

1924 : Edouard Laurent

1925 : Guillaume Guinot

1930 : Lionel de Nas de Tourris

1967 : Commune de Saint-Denis qui en fait la Maison des Jeunes

du quartier.

Qui a construit le Château Morange ?

En 1853 Rémy Lanchon vend à son gendre Jean-Batiste Prosper Morange « un terrain à jardins situé dans les hauts de la ville de Saint-Denis, au lieu dit « le Butor », d’une superficie de 26 hectares… s’étendant de part et d’autre de la route qui mène à Montgaillard, traversé à l’ouest par le boulevard Doret ». C’est alors que commence une construction qui ne  se terminera qu’en 1860. Selon la tradition orale les plans de la maison auraient été réalisés par Victor Frappier de Montbenoît (conducteur de travaux aux Ponts et Chaussées et gendre de J-B Prosper Morange) qui aurait également surveillé la construction. Un document juridique daté de 1864 nous donne une idée de la réalisation. Il y est noté que sur la propriété « existe une maison principale d’habitation construite en pierres, à laquelle on arrive par une allée élevée de rez-de-chaussée avec cour intérieure et galerie à colonnades sur trois des faces extérieures, des bâtiments divers à usage d’écuries, remises et dépendances » … L’ensemble est entouré d’un « jardin et de terrains avec plantation de produits et d’agréments. » La demeure devait avoir fort belle allure, car le journaliste Simonin de passage dans l’île en 1861 l’avait qualifiée de « résidence princière ».

Comment expliquer ce goût du luxe, cette recherche d’apparat ?

Il faut se souvenir que nous sommes à l’époque de Napoléon III et que la Réunion connaît un véritable essor économique (qui est certes loin de profiter à tous) grâce au développement de la culture de la canne à sucre ; des fortunes se bâtissent alors ; des constructions publiques de prestige se multiplient. Que l’on pense par exemple à l’hôtel de ville de Saint-Denis (avec sa cour intérieure, sa fontaine en fonte d’art des ateliers Ducel, son grand salon avec ses miroirs dorés à l’or fin et ses lustres en bronze doré).  Les particuliers fortunés ne veulent pas être en reste. On s’endette sans souci du lendemain. De cette époque datent nombre de grandes cases de Saint-Denis et de Saint-Pierre. Dans les milieux privilégiés on vit dans l’euphorie, Ce ne sont que fêtes, représentations théâtrales, courses hippiques à La Redoute. On est à mille lieues de s’imaginer qu’une crise peut survenir…

C’est dans ce contexte que le Château-Morange a été construit et c’est là qu’Abd-el-Krim, le combattant du Rif, devait, avec 27 personnes de sa famille et de sa suite,  commencer un exil qui durera 21 ans.

A quoi ressemblait le « Château-Morange à l’arrivée d’ABD-EL-KRIM ?

Le problème n’était pas mince pour le gouverneur Repiquet, chargé par le Ministère de l’Intérieur de trouver une demeure pouvant recevoir dignement les exilés du Rif. Son choix finit par se porter sur le « Château-Morange » qui, bien que nécessitant des travaux, pouvait répondre aux besoins de tout ce monde. Voici comment le gouverneur la décrit dans une lettre adressée au Ministre de l’Intérieur : «  J’ai l’honneur de vous rendre compte que j’ai définitivement arrêté pour le compte du Protectorat du Maroc, la location du Château-Morange, propriété située à environ un kilomètre de Saint-Denis. Cette propriété d’une contenance approximative de sept hectares de terres cultivables comporte une vaste maison d’habitation construite en pierres, comprenant salon, salle à manger, sept chambres à coucher, deux cabinets de débarras, des dépendances à proximité de la maison (logements pour domestiques, cuisines, écuries)…Je ne crois pas qu’il eût été possible de trouver ailleurs une maison d’habitation susceptible de loger confortablement 28 personnes, permettant une surveillance facile, avec des terrains suffisants pour faire de la culture…. »

A propos de la végétation alentour le correspondant particulier du journal « l’Illustration » du18 décembre 1926 parle d’un « parc embroussaillé de 7 hectares où de grands arbres répandent leur ombrage : manguiers, cocotiers, letchis, jacquiers, papayers, cacaoyers, puis une véritable forêt de bananiers (15000 pieds) et un jardin potager ».

Qui était ABD-EL-KRIM ?

De gauche à droite l’oncle d’Abd-el-Krim, Abd-el-Krim, Mohamed Ali Carimjee Teraï, Si Mohamed Ben Abd-el-Krim (Collection Teraï).

Abbd-el-Krim el Khattabi est né en 1882 dans le Rif (Zone côtière du nord du Maroc, sous domination espagnole alors que le reste du pays était sous protectorat français.)Il est issu d’une famille de notables et fils de cadi (juge musulman).

Après avoir fréquenté des écoles traditionnelles et des écoles espagnoles il fera des études à l’université de Fès ainsi qu’en Espagne où il étudiera la mine et la technologie militaire.Entre 1908 et 1915 il fut journaliste au quotidien de Melilla. Par la suite il entrera dans l’administration espagnole et sera nommé cadi-chef de Melilla.

Dès 1917 il s’opposera à la domination espagnole. La réponse de l’Espagne fut militaire.  Après un certain nombre d’escarmouches dans ce pays montagneux qui se se prêtait bien à la guérilla, Abd-el-Krim  triomphera de l’armée espagnole du général Silvestre à la bataille d’Aroual ; l’armée espagnole perdit 16000 soldats. En 1922 sera proclamée la République confédérée des tribus du Rif.

La France colonisatrice du Maroc vint alors au secours de l’Espagne. Pétain fut placé à la tête d’une armée de 200.000 hommes.  Avec les Espagnols cela faisait en tout 450.000 hommes. Dès lors le combat devenait inégal. Abd-el-Krim vaincu en 1926 fut exilé à La Réunion avec 27 membres de sa suite.

Au bout de 21 ans d’exil, la France lui permit de venir s’installer sur la Côte d’azur, mais à l’escale de Port-Saïd Abd-el-Krim et sa suite  s’esquivèrent et restèrent en Egypte où Abd-el-Krim restera jusqu’à sa mort en 1963 sans jamais revoir le Maroc et son Rif natal.

L’Encyclopaedia Universalis le présente ainsi : « combattant souvent victorieux, diplomate habile, propagandiste avisé, il a été un des pionniers de la décolonisation ».

N.B. : pour ceux qui veulent aller plus loin à propos d’Abd-el-Krim deux lectures s’imposent :

1) Le Mémorial de la Réunion (Tome 5 et 6)

2) Abdelkrim, une épopée d’or et de sang, de Zakya Daoud, collection « Les colonnes d’Hercule ». Editions Séguier 1999.

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