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Archive for 28 février 2011


Un ami de dpr974, un peu facétieux, nous a mis il y a quelque temps de cela à l’épreuve ; il nous a présenté le texte ci-dessous, écrit en 1963, traitant de la protection du patrimoine historique de La Réunion, sans nous donner le nom de l’auteur. Il nous mettait au défi de le trouver. Nous avons bien évidemment relevé le défi… pour admettre après lecture et relecture, à notre grande honte, que nous n’en savions rien. Nous avons dû, comme le dit la formule consacrée « donner notre langue au chat ». Et vous, amis lecteurs, serez-vous plus perspicaces que nous ? Ce texte, le voici :

« Parmi les graves et urgents problèmes de La Réunion, il en est un qui ne paraît pas des plus importants et qui mérite cependant d’être pris en considération par les pouvoirs publics, par les hommes de l’art et aussi par chaque Réunionnais : je veux parler du classement des sites, des quartiers de villes, des monuments qui méritent d’être protégés pour leur beauté, leur intérêt artistique ou historique.

«  Jusqu’à présent le problème a été laissé de côté, mais la modernisation de l’île, son expansion démographique les multiples transformations que l’on constate et celles que l’on imagine imposent un examen. Encore une fois, il ne s’agit pas, tant s’en faut, du premier de nos problèmes, mais il existe. Ce serait une erreur de ne pas l’examiner, pire encore de le mépriser.

« La Réunion est fière de son passé, et le sentiment populaire est tissé d’une longue tradition. Il est dommage que la grotte où habitaient les premiers débarqués soit laissée à l’abandon. Il n’est pas indifférent que demeurent ou soient détruits les bâtiments de la Compagnie des Indes, l’ancien collège des Lazaristes ou le vieux portail du Lycée Leconte de Lisle. Toutes les générations se retrouvent, ou se recherchent dans le passé. Des prêts à bas taux pourraient consentis aux propriétaires de vieilles maisons créoles pour les aider à les restaurer : c’est, en faveur du tourisme, une dépense qui en vaut bien d’autres.

« Le tourisme peut-être un utile appoint. Mais si on laisse se gâcher le site de Cilaos, si la plage à la mode perd son charme, si les maisons créoles disparaissent, si le style nouveau est dépourvu de tout caractère, pourquoi venir à La Réunion ?

« Il faut protéger sites, monuments, maisons et rues typiques. Une action en ce sens, modérée dans son extension mais rigoureuse dans son application, doit prendre place désormais dans les préoccupations des autorités publiques.

« Tout urbanisme rénovateur doit laisser sa place à la sauvegarde d’un passé qui est à la fois expression d’une âme et la source d’une richesse. »

Alors ? De qui est-ce ?

Vous n’en savez rien ? Allons, un petit effort ! N’avez-vous pas constaté comme nous, combien les arguments avancés pour la défense de notre patrimoine architectural sonnent juste. Ce texte écrit en 1963 ne vous semble-t-il pas avoir valeur prémonitoire ? Nous  qui vivons en 2011 et qui connaissons la suite de l’histoire, ne devons nous pas déplorer que ces principes de bon sens ne soient pas toujours mis en œuvre ?

Nous ne voulons pas vous faire languir davantage ; il s’agit d’un texte de… Michel Debré… datant de près de cinquante ans !!! Certes, il n’est pas étonnant que l’auteur ait été sensible à ces questions de patrimoine architectural : ayant vécu et étudié à Paris, puis ayant été pendant près de 25 ans maire d’Amboise, ville célèbre pour son château, il a eu largement le temps de connaître le patrimoine architectural de la France, de l’admirer et de le promouvoir.

Pour ce qui concerne plus particulièrement le patrimoine réunionnais, M. Debré, outre sa sensibilité propre, a appris à mieux le connaître grâce à ses amis proches et aux lieux où il a vécu : n’était-il pas très souvent hébergé à la Maison Repiquet, sise rue de Paris ? Il lui suffisait d’ailleurs de traverser la rue pour se rendre à l’actuelle Direction de la Culture du Département, véritable joyau de l’architecture créole, où il recevait fréquemment ses interlocuteurs.

Le point de vue de DPR974

Ce texte, écrit en 1963, a des résonances très actuelles et nous le rejoignons pour l’essentiel. Il nous faut cependant le compléter, car entre temps les idées ont évolué, les conceptions du patrimoine réunionnais également. Il serait  d’ailleurs malvenu à nous de reprocher à l’auteur du texte de ne pas avoir eu en 1963 des conceptions qui résultent d’une évolution culturelle qui s’est développée tout au long d’un demi-siècle à La Réunion : en l’espace de 50 ans une vision essentiellement européo-centriste  a cédé la place à une conception plus ouverte sur d’autres courants culturels… On reconnaît maintenant les différents apports de l’Inde hindouiste, de l’Inde musulmane, de l’Afrique, de Madagascar, de la Chine à notre patrimoine.

Un exemple de l’évolution des idées : autrefois, dans les années 40-50(nous sommes encore nombreux à nous en souvenir) certains prêtres interdisaient à leurs fidèles d’assister à des marches sur le feu ; à cette époque-là, l’hindouisme n’était pas, pour le moins, en odeur de sainteté ; quant à voir dans les chapelles un élément du patrimoine architectural, il ne fallait pas y songer. Ces temps sont heureusement révolus : les idées ont évolué et un temple hindou, celui du Gol, a été inscrit sur la liste supplémentaire des bâtiments historiques en 1996 (Certes plus de 2O ans après le classement de l’Hôtel de la Préfecture et de la Cathédrale de Saint-Denis) avant d’être rejoint  en 2010 par quatre autres chapelles.

Il y aurait encore bien d’autres choses à faire en matière de reconnaissance patrimoniale : Il y a-t-il une mosquée déjà classée ou inscrite ? Celle de Saint-Denis inaugurée en 1905 ne se pare-t-elle pas à bon droit  du titre de première mosquée de France ?

Quelle reconnaissance accorde-t-on aux pagodes chinoises de l’île ?

S’est-on réellement penché sur ce qui reste des apports africain et malgache ? Un effort est-il réellement fait pour la mise en évidence des longères où ont habité esclaves ou engagés ? Respecte-t-on leurs lieux de sépulture ? Il suffit de se remémorer l’épisode révélateur du bulldozer roulant sur une partie du cimetière de Basse-Vallée à Saint-Philippe pour se rendre compte qu’il y a encore bien du chemin à parcourir (1).

En ce début de XXIème siècle, en regardant le chemin parcouru, nous devons reconnaître la diversité des apports qui ont fait La Réunion d’aujourd’hui. Nous devons assumer cet héritage, le mettre en valeur, le partager et dans un même élan nous devons magnifier ce que nous avons bâti ensemble et « mettre en l’air » ce qui nous unit.

(1)         A lire la presse régionale, on se rend compte que le feuilleton est loin d’être clos.

(2)         Les deux premières photos concernent la maison Repiquet au 25 rue de Paris; la troisième nous montre l’entrée du temple Hindou rénové de Commune Primat.

DPR974.

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