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Archive for 9 février 2011



On connaît relativement bien la première partie de la vie d’Abd-el-Krim, son rôle de chef politique et militaire dans la lutte qui l’a opposé aux Espagnols, seuls d’abord, qui reçurent ensuite l’aide des Français. De même l’on est relativement bien informé  sur son séjour en Egypte et son rôle politique jusqu’à son décès au Caire en 1962 ; mais son exil à La Réunion n’a pas encore, à notre connaissance, été l’objet d’une recherche approfondie et d’une publication exhaustive. Et même si cette période est moins fertile en événements, elle est importante pour nous car elle  fait partie de l’histoire de La Réunion. A quand donc une thèse sur  Abd-el-Krim et La Réunion ?

En attendant voici le texte d’une chronique concernant un épisode controversé de la vie d’Abd-el-Krim, à savoir son départ de La Réunion en 1947.

Il serait contraire à la vérité de dire qu’Abd-el-Krim aurait été accueilli à bras ouverts à La Réunion : la presse, en particulier le journal « Le Peuple », parlait de lui en octobre 1926 comme d’ un chef de bande, coupable d’avoir fait couler trop de sang français, trop de sang créole dans le Rif  et il invitait ses lecteurs à venir assister à l’arrivée du captif «  comme nous aurions été assister au débarquement d’un canon pris aux Boches, d’un trophée quelconque de victoire. Cet homme après tout c’est un trophée et il symbolise une grande chose : l’achèvement de notre établissement en Afrique du Nord… »

Au fur et à mesure cependant l’hostilité céda la place à la compassion. Abd-el-Krim, par son comportement, par le fait qu’il s’était mis à apprendre le français, qu’il avait envoyé ses fils au Lycée Leconte de Lisle à Saint-Denis, attira des sympathies. Des liens d’amitié s’établirent avec quelques musulmans réunionnais. La relation avec les gouverneurs, en particulier avec le gouverneur Capagorry fut courtoise. La famille de l’exilé  était enfin acceptée, mieux même, respectée.

Photo prise dans la cour de Mr Mamode Dindar, rue Pasteur à Saint-Denis : au premier rang debout, de gauche à droite, les enfants Dindar, Issop, Hassim et Ibrahim. Derrière eux un serviteur d’Abd-el-Krim, puis Mr. Mamode Dindar, Si Mohamed, frère d’Abd-el-Krim, Abd-el-Krim, son oncle et Issop Affejée . Au troisième rang Ismaël Cadjee, Mustapha Abd-el-Krim, Osman Dindar, Abd-el-Mussim, Saïd Abd-el-Krim et Salah Abd-el-Krim. Au fond : Amode Dindar, Abdullah Mohamed, Gora Omarjee et un jeune de la famille de l’exilé. (Collection Carimjee Teraï)

Fin de l’exil, ce temps où le présent est confisqué…

Il y avait cependant dans la vie d’Abd-el-Krim un manque, une douleur lancinante : il vivait en exil, loin de son Rif natal, loin de son peuple. En 1938 sa vieille mère était morte qu’il n’avait pu enterrer en terre d’Islam. Combattant pour la liberté il se voyait enfermé dans les étroites limites d’une petite île tropicale ; homme d’action il était condamné à l’inaction. Ils ne savaient pas ce dont ils parlaient ceux qui prétendaient qu’il avait droit à un exil doré. Seuls parlent ainsi ceux qui n’ont jamais connu l’exil, le réel exil qui « commence lorsque le présent est confisqué. Quand on est condamné à rêver le temps d’avant et à attendre l’avenir », comme l’a écrit le poète irakien Chawki Abdelamir.

On imagine aisément l’état d’esprit d’Abd-el-Krim et son rêve de revoir son pays. A de nombreuses reprises il avait demandé aux autorités françaises de pouvoir partir, de trouver un asile en pays d’islam ou sur la rive nord de la Méditerranée. Ses demandes étaient toujours restées sans réponse. Enfin, un jour, au bout de 21 longues années d’exil, le gouvernement français lui accorda de pouvoir s’installer à Villeneuve-Loubet sur la Côte d’Azur. Abd-el-Krim remercia alors chaleureusement le gouverneur Capagorry d’être intervenu en sa faveur et au moment de partir il fit publier dans le journal « Le Progrès »  du 28 avril 1947 un mot d’adieu à l’intention des Réunionnais.  En voici un extrait : «

Mohamed Ben Abdel-Krim,

M’Hamed Ben Abdel-Krim,

Abdesselam Ben Mohamed,

Leurs enfants, leurs familles et leur suite prient les Réunionnais de trouver ici les sentiments de leur vive gratitude pour l’hospitalité et le bon accueil qu’ils ont reçu pendant leur long séjour dans leur charmant pays pour lequel ils garderont le meilleur souvenir et de l’amitié. »

Un coup de tonnerre dans un ciel serein…

Le 2 juin 1947 cependant La Réunion apprend une nouvelle incroyable : Abd-el-Krim aurait disparu ; il n’aurait pas regagné le « Katoomba »,le bateau qui l’emmenait en Europe, à l’escale de Port-Saïd.

Ici, à La Réunion, quelques uns se réjouirent, d’autres, dont les journaux, crièrent à la trahison. Mais en fait, qui avait organisé la disparition d’Abd-el-Krim ? Comment cela s’était-il passé ?

D’aucuns prétendent que La France était de mèche, qu’elle aurait fermé l’œil sur l’évasion d’Abd-elKrim… Mais la France n’avait-elle pas promis à l’Espagne de ne pas libérer Abd-el-Krim ? En outre on voit mal La France se prêter à un jeu où elle se couvre de ridicule.

Selon une autre théorie, ce serait Abd-el_Krim lui-même qui aurait tout machiné depuis La Réunion. Mais il n’était guère libre de ses mouvements ; les contacts avec l’extérieur n’étaient pas faciles ; le courrier était censuré. Cette thèse est difficilement acceptable.

Une version qui nous semble plus crédible est celle qui est rapportée par Zakya  Daoud dans « Abdelkrim, une épopée d’or et de sang ». Selon l’auteur, une délégation du comité du Maghreb, dont Bourguiba, (qui fut plus tard à la tête de la Tunisie), s’est présentée à l’escale de Suez (entrée sud du canal) pour rencontrer  Abd-el-Krim. Voici comment la rencontre est présentée : « …Abdelkrim s’est enfermé dans sa cabine. Bourguiba tambourine à la porte : «  Ouvre nous, nous venons pour ton bien ! » Abdelkrim répond : «  Tout le monde peut dire cela et, d’abord, qui êtes vous ? » Finalement il ouvre et toute la délégation s’enferme avec lui, son frère et son oncle, pendant que, sur le pont, les gendarmes français jouent à la pétanque »… La délégation fait le voyage de Suez à Port-Saïd sur le Katoomba et «  là, elle débarque avec Abd-el-Krim et toute sa famille qui n’ont pris que quelques sacs à main, abandonnant 7 tonnes de bagages ainsi que les 780 kg  du cercueil de la mère d’Abd-el-Krim. Les gendarmes croient donc à l’habituelle promenade de l’escale »… En fait Abd-el-Krim reçu rapidement par le gouverneur de la province, prendra avec sa suite la route du Caire ou on les retrouvera au siège du Maghreb arabe. Ils seront ensuite reçus avec tous les honneurs par Farouk, le roi d’Egypte…Il apparaît donc clairement qu’Abd-el-Krim a bénéficié de l’aide des représentants du Maghreb arabe, avec l’assentiment des autorités égyptiennes.

Dès lors le vieux lion du Rif, qui s’était battu pour la liberté de son pays, a continué à militer au Caire sans concession  pour l’indépendance du Maghreb. Lui qui avait passé 21 ans d’exil au fin fond de l’Océan Indien refusera de rentrer dans un pays qui n’est pas réellement libéré et mourra en Egypte à l’âge de 80 ans sans jamais revoir son pays.

DPR974

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